Publication finale

Préfaces

Publié le 18.10.2022

Il ne faut pas s’y tromper : les droits humains ne sont pas gravés dans le marbre. Les normes reconnues actuellement ne sont pas acquises une fois pour toutes. Peut-être devons-nous même admettre que les droits humains n’auraient probablement pas connu une telle consécration dans le monde entier sans l’horreur de la Seconde Guerre mondiale. En Suisse, leur essor politique et juridique n’intervint toutefois qu’avec un certain retard par rapport à d’autres pays. Sous l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme, le Tribunal fédéral créa une jurisprudence progressiste qui renforça les droits humains ; quant aux organes politiques, ils rati†èrent des conventions internationales dans le domaine (notamment la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 – ratifiée en 1974 –, le Pacte social et le Pacte civil des Nations Unies de 1966 – ratifiés en 1992 –, la Convention contre le racisme de 1965 – ratifiée en 1994 – et la CEDEF de 1979 – ratifiée en 1997). On peut donc qualifier la seconde moitié du XXe siècle de véritable âge d’or des droits humains, qui se caractérise par la volonté d’ancrer ces principes dans les législations et les jurisprudences tant nationales qu’internationales. Cette phase a bénéficié d’un large consensus au sein de la société, que le monde politique partageait également.

Un déclin s’amorce à la fin du millénaire, si ce n’est avant, et diverses tendances se conjuguent. Toujours plus d’acquis sont remis en question et il arrive même que l’on dénigre, dans le débat public, le système des droits humains. Dans les milieux qui les défendent, un constat aussi incontournable que dégrisant s’impose : reconnaître formellement des droits ne suffit de loin pas à en faire une réalité. Laisser aux tribunaux la tâche de les concrétiser, c’est intervenir en fin de processus seulement, et accepter d’importants coûts transactionnels. Or, ce sont justement les personnes les plus vulnérables qui n’ont souvent pratiquement aucune possibilité de saisir la justice. Si les litiges stratégiques peuvent de prime abord sembler apporter une solution, on ne parvient cependant à un jugement définitif qu’au terme d’un parcours long et coûteux pour les victimes. Actuellement, pour améliorer la mise en œuvre des droits humains, on s’efforce par conséquent de les ancrer en amont, au sein de la société, notamment en traitant de manière différenciée les individus, en fonction de leur vulnérabilité et de leur résilience. Enfin, des phénomènes comme la pandémie de COVID-19, la migration et le réchauffement planétaire montrent toujours plus clairement que les violations de droits humains ne connaissent pas de frontières. Dans le domaine des droits humains comme dans d’autres, les tenants et aboutissants doivent donc toujours plus être analysés dans leur contexte international également. Une telle démarche exige d’aborder les problématiques au niveau international, tout en gardant présent à l’esprit le large spectre des porteurs·euses de droits fondamentaux.

Il suffit de jeter un coup d’œil aux chapitres de cet ouvrage pour voir que la Suisse n’échappe pas à ces tendances. Les lignes directrices pour une lutte contre la pandémie de COVID-19 respectant les droits humains (chapitre 10) se révèleront très utiles dans d’autres contextes également. L’un des principaux défis de ces prochaines années consistera à aborder les problématiques en lien avec les droits humains à des échelons divers (local, régional et international). Le renforcement conceptuel des droits humains est traité dans trois chapitres, consacrés aux pratiques policières (chapitre 5), au système pénitentiaire (chapitre 4) et au fédéralisme (chapitre 2). Plusieurs chapitres traitent de la vulnérabilité de divers·es porteurs·euses de droits humains (chapitres 6, 7, 8, 9 et 11 notamment). Quant à l’approche qui vise à aborder les problématiques dans le contexte national et transnational, elle fait l’objet de deux chapitres (13 et 14) consacrés aux entreprises. Enfin, le chapitre 1 sur l’État de droit cerne le déclin du consensus au sujet des droits humains que l’on observe dans de nombreux domaines aujourd’hui.

Ces contributions, dans leur diversité, ne mettent pas seulement en évidence l’engagement du CSDH en faveur des droits humains, elles montrent aussi à quel point la Suisse est bien inspirée de se faire conseiller en la matière par des spécialistes du domaine.

Helen Keller
Professeure de droit public, de droit européen et de droit international public à l’Université de Zurich, juge à la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine et ancienne juge à la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH).

S’assurer que toutes les personnes bénéficient d’un traitement en accord avec les droits humains constitue une des bases d’un pays démocratique. Une majorité de la population s’accorderait sûrement à dire que respecter les droits humains est essentiel, en citant, à juste titre, des exemples de pays dictatoriaux où des atrocités sont commises. Mais la situation suisse, pays reconnu pour sa neutralité, son économie florissante, est quant à elle rarement mise en cause. En effet, certain·e·s pourraient se demander : pourquoi devrions-nous nous imposer une telle rigueur concernant le respect des droits humains ?

Ma réponse est la suivante : il ne s’agit pas ici d’une liste de droits à la carte selon les intérêts de chacun·e, mais bien d’une ligne directrice qui inscrit comment les personnes doivent être traitées de manière juste, tout en respectant les mœurs et coutumes du pays. Les droits humains permettent de nous protéger contre l’arbitraire des États. Et en Suisse aussi, des lacunes sont à déplorer dans le respect des droits humains. Ce constat est rendu possible par le travail que réalise le CSDH depuis des années. Justement, la crise du COVID-19 a permis d’en mettre un certain nombre en lumière.

En s’arrêtant plus particulièrement sur les droits des enfants et des jeunes, on remarque certains manquements, alors que ces derniers·ères constituent pourtant les adultes de demain. Il me semble donc d’autant plus important d’assurer leurs droits. Le chapitre 12 thématise une question devenue centrale durant la pandémie : qui décide de la vaccination pour un enfant ? Un consentement éclairé de sa part suffit-il ? D’autre part, alors que le droit à la participation fait partie des droits humains, durant la pandémie les jeunes et surtout les enfants ont été peu écouté·e·s, consulté·e·s et invité·e·s à participer. Bien que les mesures sanitaires ont en grande partie impacté leur vie, ils et elles n’étaient que peu représenté·e·s au sein de la COVID-19 Science Task Force.

L’absence de participation des enfants et des jeunes est une problématique plus générale, comme nous pouvons le lire dans le chapitre 3 au sujet des bonnes pratiques relatives à la participation des enfants au processus judicaire. Ce manque de consultation des jeunes est d’autant plus étonnant que nous nous targuons d’être le pays de la démocratie. Mais comment espérer qu’un·e jeune commence à voter à 18 ans, qu’il ou elle prenne position sur des sujets d’importance nationale, alors qu’il ou elle n’a jamais été amené·e à prendre position auparavant ?

Toutes ces réflexions me poussent à rappeler l’importance du respect de tous les droits humains en Suisse et d’user des spécificités de notre pays pour en faire une force.


Yasmina Savoy
Ancienne présidente du Conseil des jeunes du canton de Fribourg et d’une jeunesse de parti cantonal, actuellement étudiante en sciences politiques à l’Université de Genève.

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