Publication finale

Des conditions de détention conformes aux droits humains

Publié le 29.09.2022

Introduction

Cas pratique : Pas de place en institution thérapeutique spécialisée

I.L., condamné à une peine privative de liberté de 14 mois, voit l’exécution de cette dernière ajournée, car un traitement institutionnel lui est ordonné. Il passe alors plus de quatre ans en détention avant que les autorités lui trouvent une place dans une institution résidentielle appropriée.

Cas pratique : Régime de détention plus sévère

« En raison du comportement dont il a fait preuve jusqu’à maintenant lors de l’exécution de sa peine, T.R. est transféré dans le SIA II (un petit groupe) pour une durée provisoire de six mois. » C’est avec cette seule phrase d’explication que T.R. apprend son transfert dans un régime de détention plus sévère. Durant les six mois qui vont suivre, il ne se douchera que trois fois par semaine, travaillera seulement les demi-journées, ne pratiquera presque pas de sport et n’aura plus accès aux formations proposées. Il ne peut pas se permettre les services d’un·e avocat·e qui l’aiderait à recourir contre cette décision.

Cas pratique : Suicide en détention

R.K., chez qui on a diagnostiqué une schizophrénie paranoïde, est arrêté par la police pour divers délits en janvier 2019. Détenu à la prison régionale de Berne, il ne peut sortir à l’air libre qu’une heure par jour et voir ses proches qu’à travers une vitre. Après sept mois de détention préventive, il est transféré dans une unité pour détenu·e·s souffrant de troubles psychiques. Lors d’une des deux visites que ses parents ont été autorisés à lui rendre, R.K. leur dit avoir tenté de se suicider. Au début août 2019, il se pend dans sa chambre et meurt à l’âge de 25 ans.

Ces trois cas pratiques1 mettent en évidence que les personnes en privation de liberté se retrouvent par la force des choses dans une relation de proximité très marquée avec l’État. Étant donné que ce dernier détermine dans une large mesure leurs conditions de vie, il lui incombe de satisfaire leurs besoins fondamentaux. Le respect des droits humains dans les établissements pénitentiaires représente par conséquent une question très délicate pour tous les États2. Ces 10 dernières années, le Domaine thématique Police et justice du CSDH a étudié de nombreuses problématiques en lien avec le respect des droits humains des personnes en détention en Suisse. Dans une série d’avis de droit, il a attiré l’attention en particulier sur divers types de privation de liberté tels que la détention provisoire, l’internement, la détention en quartier de haute sécurité ou encore l’internement administratif en application du droit des étrangers (abrégé en internement administratif)3. Il en ressort que le principe de proportionnalité joue un rôle essentiel lorsqu’il en va du respect des droits humains : pour être licite, il faut qu’une restriction à la liberté des personnes détenues permette d’atteindre le but concret de la détention ou d’assurer la gestion et la sécurité de l’établissement concerné.

Parmi tous les aspects de la vie en détention, le présent chapitre traite quatre thématiques dans lesquelles, à notre avis, les droits humains devraient davantage être respectés. L’accès à Internet, comme moyen de garder le contact avec l’extérieur, est le premier aspect analysé ; nous estimons que la Suisse dispose en la matière d’un potentiel encore largement inexploité. Nous nous penchons ensuite sur un mode poussé d’incarcération fréquent dans les établissements pénitentiaires suisses, à savoir l’isolement de fait ou ordonné par la justice, en nous demandant quelles conditions il lui faut remplir pour être valide au regard des droits humains tout en respectant le principe – fondamental – de la proportionnalité. Nous poursuivons avec une autre question de proportionnalité, cette fois en lien avec des formes spécifiques de détention telles que l’internement ou l’internement administratif : ces types de détention devraient, pour respecter les droits humains, se dérouler dans des institutions ou des unités spécialisées, ce qui n’est pas systématiquement le cas en Suisse. Nous étudions enfin un aspect procédural : une fois incarcérées, les personnes détenues se voient souvent refuser un accès facilité à des conseils et à une représentation juridiques, quand bien même la détention est elle aussi susceptible de restreindre sévèrement leurs droits. Nous n’abordons pas ici, par manque de place, des problématiques pourtant importantes, telles que la prise en charge des détenu·e·s souffrant de troubles psychiques ou les conséquences de la détention sur les droits humains des proches de la personne incarcérée.

Pour chacune des quatre problématiques traitées, nous terminons notre propos en formulant des recommandations destinées avant tout aux cantons, puisque l’exécution des peines et des mesures relève de leur compétence4.

Analyse

Garder le contact avec le monde extérieur grâce à un accès règlementé à Internet

Pour les détenu·e·s et leur resocialisation, préserver le contact avec le monde extérieur, et surtout maintenir les liens sociaux existants, est fondamental. Cela passe par diverses mesures, dont principalement les visites des proches ; certains établissements disposent maintenant à cet effet de parloirs individuels ou familiaux permettant aux visites de se dérouler sans surveillance. La communication numérique, quant à elle, prend une importance croissante dans la vie sociale et vient compléter ces contacts directs.

Devenu, dans le monde entier, le moyen de communication par excellence, Internet s’est imposé dans tous les domaines de la vie. Or, en Suisse, les personnes détenues sont le plus souvent exclues de cette évolution, car la plupart des établissements pénitentiaires gèrent l’accès à Internet de manière restrictive5. Leur incarcération ne se limite donc pas au monde physique, puisqu’actuellement, elle devient aussi synonyme d’exclusion de l’univers numérique. Combler ce fossé numérique dans les prisons pourrait notamment ouvrir de nouvelles perspectives de resocialisation, en facilitant, outre les contacts avec le monde extérieur, l’accès aux formations en ligne et l’acquisition de compétences numériques6. Par ailleurs, permettre aux détenu·e·s d’accéder – de manière règlementée – à Internet se défend également du point de vue du respect des droits humains.

Accès à Internet et droits humains

Pour l’heure, la jurisprudence n’a certes pas reconnu aux personnes détenues un droit général à l’accès à Internet qui découlerait des droits humains7, mais il semble incontesté qu’un accès règlementé offre aux détenu·e·s davantage de possibilités d’exercer plusieurs de ces droits. On pense tout d’abord à la liberté d’information, partie intégrante de la liberté d’expression (art. 19 PIDCP8, art. 10 CEDH9) : Internet est devenu un outil incontournable de réception et de diffussion d’informations, cela d’autant plus que certaines données ne sont accessibles que sur la Toile10.

L’exercice du droit au respect de la vie de famille (art. 10 ch. 1 PIDESC11, art. 17 et art. 23 al. 1 PIDCP ainsi qu’art. 8 CEDH) peut être facilité par des formes de communication passant par Internet, comme les courriels, les messageries ou les appels vidéo12. Le contact numérique avec le monde extérieur prend d’autant plus d’importance qu’il consolide non seulement les droits des personnes détenues, mais aussi ceux de leurs proches. Lorsque, par exemple, on permet à un parent de rester en contact avec ses enfants, on préserve aussi le bien de l’enfant13.

Internet permet aussi d’accéder à d’innombrables formations données dans toutes sortes de langues, ce qui en fait un outil favorisant l’exercice du droit à l’instruction (art. 13 PIDESC, art. 2 PA n° 1 CEDH14)15. Y accéder ouvre de nouvelles possibilités d’instruction, en particulier aux détenu·e·s ne maîtrisant pas les langues des ouvrages proposés par la bibliothèque de la prison.

Enfin, Internet rend également plus facile l’accès à la justice pour les détenu·e·s (voir ci-après). En ligne, il est en effet souvent plus aisé de trouver des informations juridiques ou de contacter des services de conseil juridique ou des avocat·e·s.

Le respect des droits humains exige par conséquent un changement de paradigme : pour les détenu·e·s, l’accès à Internet devrait à l’avenir représenter la règle plutôt que l’exception, une règle à laquelle on déroge dans une certaine mesure seulement, et exclusivement pour des raisons propres à la détention ou au cas particulier (recommandation a).

Règlementation de l’accès à Internet dans les prisons

Dans les établissements pénitentiaires, l’accès des détenu·e·s à Internet doit être organisé de manière à préserver la sécurité et l’ordre publics ainsi que l’intérêt de la poursuite pénale. Il ne saurait être question d’autoriser toutes les personnes détenues à y accéder de manière illimitée, en raison de divers risques pour la sécurité, en particulier celui de voir certaines d’entre elles commettre des délits sur Internet. Nous pensons par exemple à des propos pénalement condamnables proférés par voie numérique (harcèlement sexuel ou injures, par ex.) ou à l’implication dans des infractions commises avec des comparses agissant à l’extérieur de l’établissement pénitentiaire ; ou encore au danger de collusion, présent en détention préventive16.

Il existe toutefois des moyens techniques de limiter ces risques, en contrôlant et en restreignant l’utilisation d’Internet. On peut ainsi recourir à des « listes blanches », qui ne permettent d’accéder qu’à des sites web bien définis17. Les contacts numériques – via courriels, messagerie ou appels vidéo – peuvent aussi être limités à un groupe de personnes restreint et faire l’objet d’une surveillance en cas de risques. Un modèle à plusieurs niveaux pourrait régir l’accès des détenu·e·s à Internet, en fonction des risques liés à chaque situation. En cas de risque de collusion lors d’une détention préventive, seul l’accès à certains sites web serait autorisé par exemple, et tout contact numérique avec l’extérieur rendu techniquement impossible. Une personne purgeant une peine, qui ne présenterait pas de danger de récidive et dont la sortie serait déjà prévue, pourrait en revanche bénéficier d’un plus large accès à Internet : dans ce cas, on établirait une « liste noire », qui l’empêcherait d’accéder à certains sites web problématiques, mais pas aux autres. Comme l’illustre l’exemple allemand qui suit,18 il est possible d’appliquer de tels modèles dans les établissements pénitentiaires.

Good Practice: Tablets für Inhaftiert

Depuis juin 2018, 70 personnes purgeant une peine dans l’établissement pénitentiaire de Heidering, en Allemagne, disposent de tablettes configurées exprès pour elles, qu’elles sont autorisées à utiliser en cellule. Elles peuvent ainsi non seulement accéder à une liste de sites web (sites web publics, portails de location de logements et Wikipédia par ex.), mais aussi échanger des courriels avec les membres de leur famille, leurs ami·e·s et certains services de l’administration.

En Suisse aussi, on observe des premières démarches de numérisation19. Durant la pandémie de COVID-19, de nombreuses prisons ont prévu des moyens d’entretenir des contacts au moins par voie numérique, ou les ont étendus20. Il serait bienvenu de profiter de cette dynamique pour faire avancer la numérisation des établissements pénitentiaires.

L’isolement, une exception à justifier

Il est très important, pour les personnes détenues, d’avoir des possibilités adéquates de contacts sociaux, d’emploi et de loisirs, sans quoi des conséquences graves pour leur santé psychique peuvent souvent survenir. C’est particulièrement le cas pour les personnes en préventive : dans les premières heures et jours suivant leur arrestation, nombre d’entre elles souffrent d’un choc psychologique qui les met durement à l’épreuve21. Arrachées sans préavis à leur vie quotidienne, elles se retrouvent, dans de nombreuses prisons de Suisse, dans des conditions de détention difficiles. Certaines d’entre elles passent ainsi jusqu’à 23 heures par jour en isolement dans leur cellule, qu’elles ne quittent que pour une heure de promenade dans une cour intérieure bétonnée22. Ces conditions expliquent qu’à l’échelle nationale, les détenu·e·s en préventive affichent des taux de suicide nettement plus élevés que ceux et celles purgeant une peine23. Toutefois, même ces derniers·ères, qui exécutent généralement leur peine en groupe, sont susceptibles de se voir imposer un isolement, lorsque leur sécurité ou celle de tiers est en jeu24. Enfin, l’isolement concerne également les détenu·e·s considéré·e·s comme particulièrement dangereux·euses, qui sont placé·e·s dans des quartiers de haute sécurité. Il s’agit là la plupart du temps d’individus souffrant de troubles psychiques25.

Détention en groupe et droits humains

Pour le bien-être psychique des détenu·e·s et le respect du principe de resocialisation, il convient, autant que possible, de privilégier l’exécution en groupe d’une peine ou d’une mesure à une forme de détention restreignant les contacts sociaux, telle que l’isolement. Des considérations relatives aux droits humains vont aussi en ce sens. Ainsi, le droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH et art. 17 al. 1 PIDCP) comprend en particulier celui de pouvoir entrer en contact avec d’autres personnes26. En raison de ses conséquences potentiellement graves, l’isolement touche aussi à l’intégrité psychique, protégée par le droit à la vie privée. Quant à un isolement général sur une longue durée, il est susceptible de constituer une violation de l’interdiction de toute peine ou traitement inhumain ou dégradant (art. 3 CEDH et art. 7 PIDCP)27. Sans compter qu’en évitant d’isoler socialement les détenu·e·s, on respecte leur droit à la vie (art. 2 al. 1 CEDH ; art. 6 al. 1 PIDCP), puisque c’est une manière de prévenir les suicides (voir le cas pratique « Suicide en détention »).

La détention doit, pour respecter les droits humains mentionnés ci-dessus, toujours se dérouler dans des conditions satisfaisant au principe de proportionnalité. Il en découle que les possibilités d’interaction et d’occupation ne peuvent être restreintes que dans la mesure nécessaire pour garantir l’ordre et la sécurité au sein de l’établissement pénitentiaire ainsi que l’intérêt de la poursuite pénale28. Du point de vue des droits humains, il convient donc que l’incarcération se fasse en principe en groupe. Toute restriction à ce principe – en dernier recours sous la forme d’un isolement – ne saurait être ordonnée sans justification spécifique au cas (recommandation b).

Incidences sur la détention préventive et l’isolement

On comprend donc que le fait d’isoler sans autre procès les personnes en préventive durant plus de 20 heures par jour constitue une violation de leurs droits fondamentaux29. Il n’est en particulier pas possible de justifier un tel régime de détention par le risque de collusion, car on peut écarter ce dernier grâce à des moyens moins contraignants, par exemple en plaçant les différentes parties à un même procès dans différents groupes ou différents établissements. L’exemple qui suit30 montre qu’une organisation plus libérale de la détention préventive n’est pas seulement indiquée du point de vue du droit, mais aussi tout à fait réalisable.

Good Practice: Offene Zellentüren, gemeinsames Mittagessen und Sport

Dans la prison de la Croisée, dans le canton de Vaud, qui accueille des hommes en détention préventive, ces derniers peuvent faire trois quarts d’heure de sport d’équipe par jour sous la direction d’un moniteur sportif. Le repas de midi se prend dans l’espace commun et les portes des cellules restent ouvertes au moins une heure par jour.

La plus grande retenue étant de mise au moment d’imposer un isolement cellulaire, les motifs31 permettant d’ordonner cette mesure doivent faire l’objet d’une interprétation restrictive : un risque d’évasion ou une simple perturbation du fonctionnement de l’établissement ne suffisent pas. De plus, l’isolement ne doit pas durer davantage que ce qui est strictement nécessaire. Un isolement de longue durée, sur plus de 15 jours consécutifs – une pratique parfois encore observée en Suisse –, est difficilement compatible avec les obligations découlant des droits humains32.

Des établissements ad hoc pour des types de détention particuliers

Le droit suisse connaît divers motifs d’incarcération, qui doivent donner lieu à des modes de détention spécifiques. Les pouvoirs publics doivent par conséquent prévoir des établissements ad hoc ou tout au moins des unités spéciales pour certaines catégories de détenu·e·s. C’est le cas pour la détention administrative, les mesures thérapeutiques institutionnelles et l’internement.

Détention administrative

La jurisprudence du Tribunal fédéral veut que la détention administrative se déroule en principe dans des établissements spécialisés, c’est-à-dire « dans des bâtiments spécialement conçus à cet effet, mieux adaptés à un régime de détention plus souple [...], et dont on peut aussi reconnaître à leur aspect extérieur qu’ils servent à l’exécution d’une détention administrative [...], et non à l’exécution d’une sanction pénale »33. Les juges de Montbenon ont explicitement précisé que les quartiers particuliers d’une prison classique ne constituent pas des établissements spécialisés34. Les exceptions à cette règle ne sont permises que pour quelques heures ou quelques jours au plus, lorsqu’« il existe des raisons importantes empêchant une autre forme de détention administrative », comme un transfert imminent vers un aéroport pour un renvoi35. Or, de nombreux cantons se refusent encore à appliquer pleinement ces dispositions36.

Mesures thérapeutiques institutionnelles

En vertu de l’article 59 alinéa 2 du code pénal (CP), les mesures thérapeutiques institutionnelles s’effectuent dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution de mesures. En Suisse, on manque toutefois de places dans ce genre d’institution, ce qui retarde souvent la prise en charge thérapeutique et amène à héberger les personnes concernées dans des établissements inadaptés (voir le cas pratique « Pas de place en institution thérapeutique spécialisée »)37. Un nombre non négligeable de personnes condamnées à suivre un traitement en milieu fermé attendent donc dans des prisons régionales suisses qu’une place adéquate se libère pour elles.

Il convient de remédier d’urgence à cette situation, intolérable du point de vue des droits humains. Priver un individu du traitement qui lui a été ordonné met en effet non seulement en danger son intégrité physique, mais réduit aussi ses perspectives de libération, ce qui est susceptible de prolonger la durée de sa détention. Ce raisonnement a amené la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) à considérer l’hébergement durant six mois d’une personne malade psychiquement dans une institution inadaptée comme une atteinte au droit à la liberté (art. 5 al. 1 CEDH)38.

Internement

Les prescriptions découlant des droits humains laissent supposer qu’il faille accorder aux personnes condamnées à être internées, au plus tard dès qu’elles ont purgé leur éventuelle peine de privation de liberté, un régime d’incarcération plus souple, qui vise avant tout à assurer la sécurité du monde extérieur39. L’internement devrait prévoir des conditions de détention correspondant à son but, et par conséquent moins strictes que l’exécution des peines40. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies exige par conséquent explicitement, dans son Observation générale n° 35 sur l’article 9 PIDCP, que les conditions de détention des personnes internées se démarquent de celles purgeant une peine et reflètent le caractère non punitif de cette mesure41. Le fait qu’en Suisse, on continue généralement à calquer le régime de l’internement sur celui de l’exécution des peines est par conséquent difficilement compatible avec les droits humains42.

Des établissements spécialisés en fonction du type de détention

Les cantons qui ne disposent pas d’établissements ou de quartiers spécialisés pour les trois types de détention dont il est question ici sont tenus d’en créer (recommandation c)43. Ils doivent concevoir ces derniers (infrastructure des cellules, liberté de mouvement au sein de l’établissement, communication avec l’extérieur) en fonction du but de chaque type de détention. De plus, les régimes de détention doivent tenir compte des besoins propres aux personnes vulnérables (personnes âgées ou malades) ainsi que des besoins liés au genre.

Faciliter l’accès aux conseils et à une représentation juridiques

Les personnes poursuivies pénalement doivent sans exception bénéficier des services d’un·e avocat·e lorsqu’elles sont détenues plus de 10 jours, ou qu’elles encourent une peine privative de liberté de plus d’un an, ou une mesure entraînant une privation de liberté44. Si la détention administrative n’octroie pas forcément un droit à l’assistance gratuite d’un·e avocat·e, les détenu·e·s qui en font la demande et n’en ont pas les moyens financiers ne peuvent en principe toutefois plus se la voir refusée après trois mois de détention45. Pendant l’exécution des peines, aucune représentation juridique n’est prévue. Il s’ensuit – du moins pour l’exécution des peines ou des mesures46 – une situation dans laquelle les détenu·e·s commencent par bénéficier d’une défense, mais la perdent purement et simplement une fois que leur jugement entre en force.

Cette lacune est problématique puisque les droits des détenu·e·s peuvent aussi être fortement limités lors de l’exécution de leur peine ou de leur mesure : il suffit de penser par exemple à des conditions de détention insatisfaisantes, à des sanctions disciplinaires, à des durcissements des conditions de détention ou à des refus d’accorder des assouplissements. Les personnes incarcérées ont certes formellement la possibilité de recourir contre ces dispositions ou ces actes matériels47, mais dans les faits, elles ne seront généralement en mesure de le faire que si elles bénéficient de conseils ou d’une représentation juridiques. Comme il leur est souvent difficile de comprendre les ordonnances d’exécution, elles ne peuvent en effet guère recourir contre elles sans l’assistance d’un·e spécialiste du droit48.

Droit à l’assistance gratuite d’un·e avocat·e

Les garanties procédurales relatives aux droits humains (art. 6 et 13 CEDH ainsi qu’art. 2 al. 3 et art. 14 PIDCP) ne prévoient en principe pas de droit à une assistance judiciaire gratuite pour les détenu·e·s49, mais la Constitution fédérale (Cst.) le fait en son article 29 alinéa 350 pour les personnes ne disposant pas de ressources suffisantes, pour autant que leur cause paraisse avoir des chances de succès et dans la mesure où la sauvegarde de leurs droits le requiert. Dans la pratique, en cas de décision d’exécution de portée particulière, comme la libération conditionnelle, les personnes détenues qui en font la demande se voient souvent accorder une assistance judiciaire gratuite. Elles acceptent en revanche, sans consulter de professionnel·le·s ni se faire défendre, la grande majorité des ordonnances d’exécution portant – à première vue – moins à conséquence, comme les mesures disciplinaires ou les transferts (voir le cas pratique « Régime de détention plus sévère »).

Le déroulement de l’exécution est particulièrement important pour les personnes en application de mesures en milieu fermé. Les assouplissements accordés, les mesures disciplinaires prononcées, les rapports de thérapie et les expertises psychiatriques déterminent de manière décisive la date de leur remise en liberté ou si, par exemple, une mesure thérapeutique institutionnelle sera prolongée de cinq ans (art. 59 al. 4 CP). Durant la procédure de prolongement d’une mesure, les personnes détenues bénéficient certes d’une défense (la « défense obligatoire »)51, mais c’est sur leur dossier de détention – sur lequel elles n’auront pratiquement pas pu avoir de prise, par manque de conseils et d’assistance juridiques – que les juges devront fonder leur décision52.

Nécessité de conseils juridiques à bas seuil

Pour pouvoir faire valoir leur droit constitutionnel à l’assistance gratuite d’un·e avocat·e (art. 29 al. 3 Cst.), il faut que les détenu·e·s en aient connaissance. Il apparaît donc essentiel qu’ils et elles puissent avoir accès à des informations juridiques et à des conseillers·ères, qui pourront constater le cas échéant la nécessité de recourir aux services d’un·e avocat·e53. Dans les prisons suisses, il reste toutefois difficile pour les détenu·e·s d’accéder à des conseils juridiques indépendants et financièrement abordables54. Le CSDH recommande par conséquent de faciliter l’accès des détenu·e·s aux informations juridiques et à des conseillers·ères juridiques indépendant·e·s (recommandation d).

Grâce à l’intervention d’un service de conseil juridique financé par des fonds privés55, T.R. (voir le cas pratique « Régime de détention plus sévère ») a finalement pu se faire défendre par un membre du barreau et recourir contre son transfert en régime de détention plus sévère. Il a obtenu partiellement gain de cause, l’instance de recours ayant annulé la décision en question pour défaut de motivation56.

Tou·te·s les détenu·e·s en Suisse devraient avoir accès à des conseils juridiques à bas seuil. Un financement public s’impose ici, qui doit toutefois respecter l’indépendance de ces prestations. Un accès règlementé à Internet (voir ci-dessus) pourrait contribuer à rendre disponibles des informations juridiques et à proposer des conseils juridiques par chat ou par appel vidéo. Signalons en fin un modèle qui vaut également la peine d’être envisagé : celui d’une « défense constante », dans lequel toute personne détenue aurait le droit, durant toute la durée de l’exécution, d’être représentée en justice57.

Recommandations

Pour une protection efficace des droits humains en Suisse :

a Les détenu·e·s ont accès à Internet, pour autant qu’il n’en découle pas de risques pour la sécurité à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement.
b La détention en groupe est prévue pour toutes les personnes détenues, quel que soit le type de détention. Toute exception à cette règle – et en particulier l’imposition de l’isolement – doit être spéci quement justifiée.
c Les personnes en détention administrative, en exécution de mesures, en détention préventive ou en internement sont hébergées dans un établissement ou un quartier destiné spécifiquement à leur type de détention.
d Les détenu·e·s ont un accès facilité à des conseils et une représentation juridiques.
Notes de bas de page
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