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Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne inscrit à l’article 9 du Pacte international de l’ONU relatif aux droits civils et politiques

Les commentaires de l’Observation générale no 35 du Comité des droits de l’homme sont également utiles à la Suisse pour interpréter les garanties à observer en matière de privation de liberté

Abstract

Auteure : Maria Schultheiss (Traduction de l'allemand)

Publié le 24.03.2015

Pertinence pratique :

  • Bien que les Observations générales du Comité des droits de l’homme ne lient pas juridiquement les Etats parties, elles font autorité.
  • L’Observation générale no 35 codifie de manière détaillée la pratique du Comité. Non seulement elle facilite l’application en Suisse de l’art. 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l’ONU), mais elle peut aussi servir à interpréter de manière conforme au droit international l’art. 31 Cst, dont la formulation s’inspire de celle du Pacte.
  • La garantie de la liberté de la personne inscrite à l’art. 9 du Pacte II de l’ONU ne doit pas être comprise comme la liberté d’action de l’individu au sens général, mais comme le droit d’être protégé contre les arrestations et les autres formes de privation de liberté («d’enfermement physique» pour reprendre les termes de l’Observation).
  • La sécurité de la personne est décrite comme le droit à l’intégrité physique et psychique. Elle protège les individus de la violence physique ou psychique, que ceux-ci soient ou non privés de liberté. Les personnes déposant plainte, pour violence policière par exemple, peuvent par conséquent évoquer non seulement l’interdiction de tout traitement inhumain, mais aussi le droit à la sécurité.
  • La notion de privation de liberté doit être comprise au sens large. Aussi ne se limite-t-elle pas à la seule peine privative de liberté, mais comprend également les atteintes suivantes à la liberté de mouvement: la garde à vue, la détention provisoire, l’assignation à résidence, la détention administrative (notamment en application du droit des étrangers), l’hospitalisation non consentie dans une institution psychiatrique, le placement d’un enfant dans une institution sur ordre des autorités ou le transfert d’une personne contre son gré. Les mesures prises à l’encontre de personnes déjà en détention, comme l’isolement ou l’application de dispositifs de contention physique, constituent elles aussi une privation de liberté supplémentaire.
  • Le Comité des droits de l’homme considère qu’il y a arrestation arbitraire notamment lorsque la légalité de la privation de liberté n’est pas réexaminée régulièrement.
  • L’internement à vie prévu à l’art. 64, al. 1bis, CP est difficilement compatible avec l’art. 9 du Pacte II de l’ONU en cela qu’il ne prévoit de réexamen de l’internement des délinquant-e-s sexuel-e-s ou violent-e-s extrêmement dangereux/dangereuses ou non amendables que lorsque de «nouvelles connaissances scientifiques» apportent des éléments attestant qu’une thérapie pourrait être efficace.
  • Le Comité des droits de l’homme exige des Etats parties qu’ils prévoient pour les personnes internées des conditions de détention bien moins restrictives que pour celles purgeant une peine pénale.
  • Le Comité des droits de l’homme reconnaît une différence fondamentale entre la détention en application du droit des étrangers et celle en application du droit pénal. Il estime que des atteintes supplémentaires à la liberté de la personne détenue ne sont admissibles que si les intérêts en matière de sécurité qui sont à l’origine de la détention l’exigent. Les personnes sous le coup d’une mesure de détention administrative appliquée en vertu du droit des étrangers ne doivent par conséquent pas être détenues dans les mêmes conditions que les personnes purgeant une peine pénale.
  • Dans la suite de cet article, nous proposons une comparaison des explications de l’Observation générale no 35 avec la situation juridique en Suisse en matière d’internement à vie, de détention administrative en vertu du droit des étrangers, de placement à des fins d’assistance et de détention provisoire.

Le droit à la liberté et à la sécurité qui constitue, avec l’habeas corpus, un droit fondamental des détenu-e-s ne figure pas qu’aux art. 31 Cst et 5 CEDH. Le Pacte II de l’ONU, qui traite des droits civils et politiques, contient en effet lui aussi une disposition similaire, qui est rarement évoquée en Suisse. En automne 2014, le Comité des droits de l’homme a publié l’Observation générale no 35, c’est-à-dire un nouveau commentaire officiel de l’art. 9 du Pacte II de l’ONU, dans laquelle il présente son interprétation des garanties en matière de privation de liberté. Pour la Suisse, ce sont en particulier les affirmations concernant l’internement, la détention administrative et la détention préventive qui devraient se révéler intéressantes.

Des interprétations qui font autorité

Le Comité des droits de l’homme, organe de surveillance composée de 18 personnes, n’est pas seulement autorisé à examiner les plaintes déposées par des individus contre les Etats qui ont reconnu explicitement cette voie de recours, mais il prend aussi connaissance, en vertu de l’art. 40 du Pacte II de l’ONU, des rapports que les Etats parties sont tenus de lui soumettre régulièrement sur la manière dont ils s’acquittent de leurs obligations. Le Comité tient ensuite compte des conclusions tirées de ces rapports et de la jurisprudence en lien avec les procédures de recours individuels pour formuler des principes et publier ses «Observations générales». Ces dernières, qui servent en premier lieu à aider les Etats parties à remplir leurs obligations, fournissent des explications concrètes sur la portée de ces engagements. Les Observations générales constituent aussi de précieuses aides à l’interprétation pour les tribunaux nationaux amenés à juger des plaintes pour violation des garanties qui découlent directement du Pacte II de l’ONU et de dispositions similaires du droit interne telles que l’art. 31 Cst.

Le Comité des droits de l’homme a maintenant publié une Observation générale pour presque toutes les garanties matérielles du Pacte de l’ONU relatif aux droits civils et politiques (il existe ainsi 35 Observations générales à ce jour). Si, formellement, ces commentaires sur les garanties du Pacte II ne lient pas les Etats parties d’un point de vue juridique, elles font néanmoins autorité en cela qu’elles recueillent les conclusions de l’organe chargé de surveiller l’application du pacte.

Les Observations générales tirent leur importance notamment de la manière dont elles sont élaborées: le Comité rédige un projet qu’il donne en consultation aux Etats parties, à d’autres organismes de défense des droits humains et à des organisations non gouvernementales. Dans le cas qui nous intéresse, près de 25 Etats et organisations ont répondu à son invitation. Et ce n’est qu’après des débats approfondis et une fois un consensus trouvé que la formulation définitive n’est adoptée.

Les droits humains étant par nature dynamiques, il arrive que le Comité des droits de l’homme publie une nouvelle Observation générale pour tenir compte de l’évolution de ses lignes directrices, et que ce document se substitue à une Observation plus ancienne. C’est le cas de l’Observation générale no 35, qui remplace l’Observation générale no 8 adoptée en 1982 pour commenter l’art. 9 du Pacte II de l’ONU.

Garanties à observer en cas de privation de liberté

L’art. 9 du Pacte II de l’ONU, qui réglemente au plan universel les garanties à fournir en cas de privation de liberté, comprend les droits de la personne à la liberté et à la sécurité. Il dispose ainsi que nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire, de sorte que cinq conditions doivent être remplies pour priver une personne de sa liberté: (i) il doit y avoir des motifs prévus par la loi, (ii) la personne doit être immédiatement informée des raisons de son arrestation, (iii) elle doit être traduite sans délai devant une instance judiciaire qui statuera sur sa détention (iv) et qui engagera des poursuites ou la libèrera, et (v) en cas de détention illégale, la personne aura droit à réparation.

Que protège l’art. 9 du Pacte II de l’ONU?

Dans la partie introductive de son Observation générale, par ailleurs très détaillée, le Comité des droits de l’homme commente de façon générale la teneur/propose une définition générale du contenu de l’art. 9 du Pacte II de l’ONU. La liberté de la personne n’y est pas définie comme une liberté d’action générale de la personne ou un droit à la protection des éléments essentiels au développement de l’individu au sens de l’art. 10 Cst, mais comme un droit à la protection contre les arrestations et les autres formes d’enfermement physique. Quant à la sécurité de la personne, elle y est décrite comme le droit à l’intégrité physique et psychique. Les deux principes de l’art. 9 du Pacte II de l’ONU s’appliquent de manière générale à toute personne, et le Comité mentionne d’ailleurs explicitement, parmi les individus qui en bénéficient, les requérant-e-s d’asile et les détenu-e-s.

La privation de liberté portant atteinte au droit à la liberté, il est essentiel de bien la définir. Le Comité estime qu’il faut en avoir une acception large. Si certains éléments de l’art. 9 du Pacte II de l’ONU ne s’appliquent qu’aux poursuites pénales, il ressort toutefois clairement de l’Observation générale no 35 que la privation de liberté ne se résume pas à la peine privative de liberté, mais qu’elle comprend aussi les atteintes à la liberté de mouvement que sont la garde à vue, la détention provisoire, l’assignation à résidence, la détention administrative (en application du droit des étrangers), l’hospitalisation non consentie dans une institution psychiatrique, le placement d’un enfant dans une institution sur ordre des autorités ou encore le transfert d’une personne contre son gré. Quant aux mesures prises à l’encontre de personnes déjà en détention, comme l’isolement ou l’application de dispositifs de contention physique, elles constituent elles aussi une privation de liberté. Les personnes soumises à de telles mesures de la part d’un Etat peuvent en principe se prévaloir de l’art. 9 du Pacte II de l’ONU, qui ne s’applique pas uniquement à la privation de liberté découlant de poursuites pénales.

Le Comité constate par ailleurs qu’un Etat ne peut se soustraire aux obligations qui découlent de cette disposition lorsqu’il confie à des particuliers la tâche de surveiller des personnes en détention ou de s’en occuper, et cette affirmation claire est elle aussi importante pour la pratique juridique en Suisse.

L’Observation générale no 35 délimite pour la première fois clairement un domaine négligé depuis longtemps, celui du droit à la sécurité. Il en ressort que ce droit protège les personnes en détention comme celles en liberté contre la violence physique ou psychique. Les personnes déposant plainte, pour violence policière par exemple, peuvent par conséquent évoquer non seulement l’interdiction de tout traitement inhumain, mais aussi le droit à la sécurité.

Les autres paragraphes de l’Observation générale proposent des aides à l’interprétation des différentes garanties qui découlent de l’art. 9 du Pacte II de l’ONU. Nous abordons ci-après les explications susceptibles d’avoir une incidence sur la pratique suisse.

L’internement à vie, une mesure problématique

Parmi les mesures que le Comité juge arbitraires figure notamment toute détention dont les motifs ne font pas l’objet d’un réexamen périodique. Il en va de même lorsqu’une privation de liberté prononcée au terme d’un jugement pénal se prolonge par un internement ordonné pour éviter une mise en danger d’autrui. Le Comité exige dans ces cas que les conditions de détention des personnes internées soient nettement moins strictes que celles des condamnés accomplissant une peine.

Eu égard à ces considérations, c’est en particulier l’internement à vie régi par l’art. 64, al. 1bis, CP qui ne peut guère se concilier avec l’art. 9 du Pacte II de l’ONU, car il ne permet de réexaminer cette mesure appliquée à des auteur-e-s d’acte de violence et d’infractions d’ordre sexuel extrêmement dangereux/dangereuses ou non amendables que lorsque de «nouvelles connaissances scientifiques» pourraient permettre de les traiter. L’atteinte au droit à la liberté de la personne est ici particulièrement grave, car non seulement la durée de la détention n’est pas limitée, mais elle est indépendante du principe de la faute.

Dans la pratique, la jurisprudence du Tribunal fédéral devrait relativiser cette incompatibilité: dans son arrêt ATF 140 IV 1 du 22 novembre 2013, le juges de Mon Repos considèrent en effet que seul celui qui est véritablement inaccessible à un traitement sa vie durant peut être interné à vie. Etre jugé non amendable pour une durée de vingt ans par un-e expert-e ne signifie pas être non amendable à vie, estime le TF, qui précise qu’il ne semble scientifiquement pas possible de poser un pronostic psychiatrique de non-amendabilité à vie au-delà d’une période de vingt ans. Dans ces circonstances, l’avenir dira s’il est encore possible d’ordonner un internement à vie au sens de l’art. 64, al. 1bis, CP et, si oui, dans quels cas.

De plus amples explications sur les points d’achoppement de l’internement avec les droits humains figurent dans la newsletter du CSDH no 20 dans un article dédié à l’internement en Suisse.

Conditions applicables à la détention administrative en droit des étrangers

Si elle concède que la détention administrative prévue par le droit des étrangers n’est pas arbitraire en soi, l’Observation générale l’assortit toutefois d’exigences claires afin que ses modalités respectent le principe de proportionnalité. La détention de requérant-e-s d’asile après leur entrée sur territoire suisse est ainsi admissible pendant une brève période initiale, le temps de vérifier leur entrée, d’enregistrer leurs griefs et de déterminer leur identité si elle est douteuse. Au-delà de cette période, la détention générale des requérant-e-s d’asile n’est possible qu’en présence de motifs concrets, pour éviter par exemple qu’ils ne passent dans la clandestinité.

Tout placement en détention nécessaire doit se faire dans des locaux appropriés et salubres, tels qu’ils ne donnent pas un caractère punitif à la rétention, qui ne doit pas avoir lieu dans une prison. L’incapacité de l’Etat à procéder à l’expulsion ou l’impossibilité de le faire du fait de l’apatridie de la personne ne justifie pas la détention pour une durée indéterminée.

De la sorte, le Comité reconnaît que la détention administrative et la détention pénale ne sont pas de même nature, la première servant exclusivement à garantir l’exécution de la décision de renvoi ou d’expulsion.

En Suisse, les art. 75 à 81 LEtr octroient des garanties minimales aux personnes sujettes à une détention administrative relevant du droit des étrangers et le Tribunal fédéral a lui aussi conclu à maintes reprises que toute atteinte à la liberté de la personne en détention n’est admise que si les intérêts justifiant la détention le requièrent. En d’autres termes, les conditions de détention administrative doivent être fondamentalement différentes de celles dont est assorti l’accomplissement d’une peine de prison. En particulier, les personnes en détention administrative en vertu du droit des étrangers ne doivent pas être confinées dans des prisons, doivent pouvoir entretenir des contacts téléphoniques et épistolaires non surveillés avec l’extérieur et avoir la possibilité de vivre en communauté avec leurs codétenu-e-s. Le fait que la détention administrative a lieu, dans la plupart des cantons, dans des prisons préventives illustre bien les progrès que la Suisse doit encore accomplir dans ce domaine.

Placement à des fins d’assistance: la Suisse conforme au droit international

L’Observation générale appelle par ailleurs les Etats parties à adopter des dispositions légales afin d’éviter la détention arbitraire lorsque des personnes sont placées dans un établissement de santé. Elle les invite, à titre préventif, à mettre sur pied des dispositifs moins restrictifs de traitement et de prise en charge de personnes présentant des troubles psychosociaux. Le placement forcé à des fins d’assistance est admis en dernier recours, à condition d’être proportionnel – c’est-à-dire approprié, nécessaire et exigible – et d’être ordonné aux fins de la protection de l’intéressé-e ou de la prévention des atteintes à autrui. Par ailleurs, la personne concernée doit bénéficier de programmes de traitement et de réadaptation susceptibles de soigner le trouble justifiant la détention.

En Suisse, le placement à des fins d’assistance est régi par les art. 426 ss. CC. Pour que le placement soit licite, il faut que l’intéressé présente des troubles psychiques (notion qui englobe les dépendances), une déficience mentale ou un grave état d’abandon. Il est également possible d’ordonner le placement d’une personne pour qu’un médecin établisse l’existence d’un de ces motifs de placement. De surcroît, le placement à des fins d’assistance doit être la mesure la moins rigoureuse possible et s’exécuter dans un établissement ad hoc. Sont compétents pour ordonner le placement l’autorité de protection de l’adulte ou un médecin désigné par le canton, ce dernier ne pouvant préscrire une mesure pour plus de six semaines. Pendant le placement à des fins d’assistance, l’intéressé suit, en vertu des art. 433 ss. CC, un plan de traitement établi par un médecin, plan qui peut lui être imposé. L’interné-e a le droit de demander sa libération en tout temps, le juge devant alors statuer sur le placement.

Dès lors, les dispositions du CC suisse régissant le placement à des fins d’assistance satisfont très largement aux exigences de l’art. 9 du Pacte II de l’ONU, notamment parce que la formulation de l’art. 426, al. 1 CC exige le respect du principe de proportionnalité.

Nécessité d'agir dans le domaine de la détention préventive

La première phrase de l’art. 9, al. 3, du Pacte II de l’ONU énonce les droits des personnes détenues sans jugement durant une instruction. Celles-ci ont ainsi droit à être jugées dans un délai raisonnable ou libérées, l’absence de ressources personnelles et financières n’étant pas un motif justifiant une longue détention préventive. Le Comité recommande de limiter la durée de la détention préventive à la durée maximale de la peine susceptible d’être prononcée.

Pas plus que d’autres instruments de défense des droits humains, l’Observation générale ne prescrit de durée maximale pour la détention préventive. Elle indique toutefois que cette durée doit être limitée dans toute la mesure du possible lorsqu’il s’agit d’enfants et de jeunes.

Si le code de procédure pénale suisse ne prévoit pas non plus de durée maximale absolue, c’est-à-dire fixée de manière abstraite, pour la détention provisoire, le principe de célérité en matière pénale inscrit à l’art. 31, al. 3, Cst doit toutefois être respecté. Nous sommes en particulier en présence d’une durée de détention excessive et, par conséquent, d’une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la personne prévenue lorsque la détention dure plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible (art. 212, al. 3, CPC). Autrement dit, la détention préventive ne peut s’allonger au point d’atteindre presque la durée prévisible de la peine de prison (au cas où un jugement exécutoire serait rendu). La procédure pénale applicable aux mineur-e-s (PPMin) dispose elle aussi que la durée de la détention préventive doit être proportionnelle à la sanction privative de liberté envisagée. En raison de l’art. 4, al. 1, PPMin, qui précise que la protection et l’éducation de la personne mineure sont déterminantes dans son application et qu’il faut prendre en compte de manière appropriée l’âge et le degré de développement, l’autorité chargée de l’instruction doit prononcer une détention d’une durée aussi courte que possible.

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