Articles
L’internement en Suisse
Examen de quelques aspects critiques dans la perspective des droits humains
Abstract
Auteure : Anja Eugster (Traduction de l'allemand)
Pertinence pratique :
- L’internement est une mesure qui attente de manière particulièrement grave au droit à la liberté, car aucun plafond n’est fixé à sa durée.
- Un internement ne peut être prononcé ou maintenu que si la décision se fonde sur des motifs prévus par la loi et si l’on réexamine régulièrement la pertinence de ces motifs. Il s’agit notamment d’examiner si le risque de récidive persiste et si le maintien de la privation de liberté reste proportionnel à l’objectif de protection de la collectivité.
- Un internement à vie n’est compatible avec les art. 3 et 5 CEDH que s’il existe une possibilité juridique et effective de réexamen de la sentence, et que cet examen prend aussi en compte l’évolution de la personne internée.
- Une personne internée doit avoir la possibilité de s’amender et de montrer par là qu’elle pourrait faire ses preuves en liberté. Des allégements dans l'exécution de la mesure permettraient aux détenu-e-s de le faire.
- Durant l’exécution de la mesure, les droits de la personne internée ne peuvent être restreints que dans la mesure où cette limitation est nécessaire pour protéger la collectivité d’autres infractions ou pour maintenir l’ordre dans l’établissement.
- Tant la durée que les conditions de l’internement sont déterminantes pour juger de la gravité de l’atteinte au droit à la liberté. Un régime de détention adouci peut par conséquent limiter cette atteinte.
- L’internement de personnes âgées ou de malades mentaux pose des problèmes particuliers.
L’internement dans le code pénal suisse
Le code pénal suisse prévoit la possibilité d’ordonner l’internement ordinaire lorsqu’un délinquant ou une délinquante a commis une grave infraction (voir la liste des infractions recensées à l’art. 64 al. 1 CP) par laquelle il ou elle a porté ou voulu porter gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui. Et que l’on peut sérieusement craindre qu’il ne commette à nouveau une infraction du même type. Les juges peuvent prononcer un internement lorsque la peine ne suffit pas à elle seule à éviter une récidive. Tandis qu’une peine a pour objectif de punir, l’internement vise la sécurité publique. Il s’agit ainsi d’une mesure préventive dont le but est de protéger la société des infractions que l’individu interné pourrait commettre en liberté.
Pour déterminer la probabilité de récidive, une expertise est menée, qui contient un pronostic de dangerosité. Il est toutefois impossible de prévoir précisément le comportement futur d’un individu, et le risque d’erreur inhérent à un tel pronostic constitue un réel problème.
Un internement peut être prononcé, quel que soit le degré de responsabilité, voire l’irresponsabilité de l’auteur (art. 19 CP).
Les juges ne sont autorisés à recourir à l’internement qu’en ultima ratio, lorsqu’aucune autre réponse ne peut être apportée à la dangerosité de la personne. Ainsi, l’internement n’est prononcé pour un-e délinquant-e souffrant d’un trouble mental que si un traitement en institution (art. 59 CP) semble voué à l’échec. Dans ce cas, le critère déterminant est de savoir s'il est possible de traiter la personne ou non.
Si cette personne semble durablement incapable de s'amender, les juges peuvent prononcer une forme qualifiée d’internement, l’internement à vie (art. 64 al. 1bis CP). Le Tribunal fédéral a estimé que cette mesure ne peut concerner que celui ou celle qui est véritablement inaccessible à un traitement sa vie durant, donc les personnes qui sont, selon les connaissances scientifiques actuelles, malades chroniques et incurables (ATF 140 IV 1). Et tandis que le risque de récidive doit être «sérieux» pour prononcer un internement ordinaire, il doit être «élevé» pour interner une personne à vie. Cette disposition a été introduite en 2004 à la suite de l’acceptation de l’initiative dite de l’Internement à vie des délinquants sexuels (art. 123a Cst).
Atteinte au droit à la liberté
La privation de liberté inhérente à tout internement constitue une grave atteinte au droit à la liberté (art. 5 CEDH, art. 9 Pacte II de l’ONU, art. 10, al. 2 et art. 31 Cst). Cette atteinte est d’autant plus importante qu’aucune durée maximale n’est fixée pour l’internement et qu’à la différence d’une peine, cette mesure n’est pas limitée par le principe de la responsabilité pour faute.
Cette restriction de la liberté n’est justifiée que si elle est fondée sur une base légale, défend l’intérêt public ou les droits fondamentaux d’autrui et respecte le principe de proportionnalité (voir art. 36 Cst). De plus, elle ne peut en aucun cas enfreindre l’interdiction de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dégradants et doit aussi respecter la dignité humaine (art. 3 CEDH, art. 7 Pacte II de l’ONU, art. 10 al. 3 Cst).
Ces conditions doivent être respectées à tous les stades de l’internement, soit au moment où la peine est prononcée, lors de l’exécution et lors de la levée de la mesure. Ainsi, une privation de liberté en soi licite devient arbitraire et contrevient à l’art. 5 CEDH si l’instruction ou le type de privation de liberté ne correspondent pas à l’objectif visé par l’internement (voir CrEDH, X. c. Finlande, requête no 34806/04, ch. 147). Tel serait le cas d’un internement ou d’un envoi en clinique psychiatrique prononcé dans le but de punir l’auteur d’une infraction.
Une attention particulière doit être accordée au principe de proportionnalité, qui exige qu’une atteinte à des droits fondamentaux motivée par l’intérêt public soit appropriée, nécessaire et exigible. L’importance de la proportionnalité, principe applicable à tout acte de l’Etat, est soulignée encore une fois dans les dispositions du code pénal suisse. L’art. 56 al. 2 CP stipule en effet expressément que «l’atteinte aux droits de la personnalité qui [...] résulte pour l’auteur ne [doit pas être] disproportionnée au regard de la vraisemblance qu’il commette de nouvelles infractions et de leur gravité». Dans le cas d’un internement, l’intérêt public réside dans le fait de protéger la population des infractions que pourraient commettre l’auteur en liberté.
Nous présentons ci-après des domaines dans lesquels la décision d’interner, le maintien de l’internement ou son exécution sont problématiques dans la perspective des droits fondamentaux et des droits humains.
Décision d’interner et de maintenir l’internement
Motifs de détention prévus par la législation
En vertu de l’art. 5 al. 1 let. a CEDH, une privation de liberté n’est admissible qu’après condamnation par un tribunal compétent. Cette disposition comprenant aussi des formes de privation de liberté prononcées pour préserver la sécurité en cas d’infraction, elle s’applique également à l’internement prévu par le droit suisse. Dans le cas des auteur-e-s souffrant de maladie psychique, s’applique également l’art. 5 al. 1 let. e CEDH (privation de liberté d’un-e aliéné-e). Seul ce motif de détention peut être invoqué pour priver de liberté une personne considérée comme irresponsable, et donc pénalement non responsable.
Si ce motif de détention disparaît, il n’y a plus lieu de protéger la population. La personne n’étant plus considérée comme dangereuse, la mesure d’internement doit être levée.
Réexamen périodique de l’internement
Les personnes internées ont droit à ce qu’un tribunal réexamine périodiquement les motifs de leur internement et à être libérées s’il s’avère que ces motifs ont disparu (art. 5 al. 4 CEDH et art. 9 al. 4 Pacte II de l’ONU). Dans le cadre de ce réexamen, les expert-e-s déterminent si les caractéristiques personnelles (maladie psychique par ex.) ou la dangerosité de la personne ont évolué depuis le dernier examen, et si la nécessité de protéger la collectivité l’emporte toujours sur le droit à la liberté de l’individu. Si ce n’est plus le cas, la détention en vue de protéger la population ne se justifie plus.
Tandis que la loi prévoit expressément un réexamen annuel pour l’internement ordinaire (art. 64b CP), ce n’est pas le cas pour l’internement à vie. Cette mesure entre donc en conflit avec l’art. 5 al. 4 CEDH, qui stipule qu’un juge doit examiner la détention périodiquement. Le code pénal ne contient en effet pas de disposition ad hoc (art. 64c al. 1 CP) et la Constitution ne prévoit de levée de l’internement qu’en présence de «nouvelles connaissances scientifiques» (art. 123a al. 2 Cst). On n’entend toutefois pas seulement par là de nouvelles percées ou avancées dans les méthodes thérapeutiques, mais plutôt, comme le Conseil fédéral l’a souligné, «toutes celles acquises par le biais de procédés méthodiques qui concernent la nature dangereuse et (non) amendable du délinquant ayant amené à son internement», afin que l’internement à vie soit compatible avec l’art. 5 al. 4 CEDH (Message relatif à la modification du code pénal dans sa version du 13 décembre 2002, Feuille fédérale 2006, p. 869).
Possibilité de réduire une privation de liberté à perpétuité
L’internement à vie soulève aussi des questions par rapport à l’art. 3 CEDH. Ainsi, selon la jurisprudence de la CrEDH, une privation de liberté à perpétuité n’est conforme à l’art. 3 CEDH que s’il existe la possibilité juridique (de jure) et effective (de facto) de le réduire. Il faut pour cela qu’il y ait d’une part la possibilité de faire réexaminer la mesure en prenant en considération le comportement de la personne durant la détention et, d’autre part, qu’il y ait une perspective de libération, conditionnelle ou non. Une violation de l’art. 3 CEDH peut être invoquée dès que l’internement à vie est prononcé, car la personne jugée devrait connaître à ce moment-là déjà les conditions qui rendraient en principe possible une libération. Il est en effet indispensable pour elle de savoir quelles sont ces conditions pour adapter son comportement en conséquence. Or, on peut douter que l’internement à vie soit compatible avec ces deux conditions, et ce pour deux raisons principales: d’une part, le texte de l’art. 64c CP ne prévoit pas, au moment de décider d’une éventuelle libération, la prise en compte des progrès réalisés par la personne dans sa réadaptation. D’autre part, le code pénal ne précise pas clairement ce que la personne internée devrait faire pour pouvoir bénéficier directement de la liberté conditionnelle (à ce sujet, voir la Newsletter CSDH no 10 du 18 septembre 2013 sur l’arrêt de la CrEDH dans l’affaire Vinter et autres c. Royaume-Uni).
Internement après coup
Le principe ne bis in idem (voir l’art. 4 du Protocole no 7 à la CEDH) interdit de condamner deux fois la même personne pour la même infraction. Il n’empêche toutefois pas la réouverture du procès si le jugement intervenu est affecté par des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou par un vice fondamental. Cette possibilité est d’ailleurs prévue par l’art. 65 al. 2 CP.
Pour que l’internement soit compatible avec l’art. 5 al. 1 let. a CEDH, il faut qu’un rapport de causalité existe entre la condamnation et la privation de liberté. En d’autres termes, l’internement après coup n’est possible que lorsque le jugement prévoyait cette possibilité ou lorsque la loi dispose que l’internement peut se substituer à une autre mesure (à l’exemple de l’art. 62c al. 4 CP). Le juge ne pourrait dès lors pas prononcer un «véritable» internement après coup au terme d’un nouveau procès pour la seule et unique raison que la personne concernée s’est révélée dangereuse durant l’exécution des peines.
Il faut aussi tenir compte du principe de non-rétroactivité: «Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. [...] De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise» (art. 7 en relation avec l’art. 15 CEDH). En se fondant sur l’art. 7 CEDH, la CrEDH a adopté une interprétation autonome de la notion de «peine»: la question est de savoir si la mesure concernée a été infligée postérieurement à la condamnation prononcée pour une infraction. Sur cette base, le Conseil fédéral part du principe que l’internement d’un délinquant ayant commis une infraction avant l’entrée en vigueur de la révision du CP en 2007 n’est possible que si les conditions des art. 42 ou 43 CP en vigueur à l’époque étaient réunies (Message du 29 juin 2005 relatif à la modification du code pénal dans sa version du 13 décembre 2002 et du code pénal militaire dans sa version du 21 mars 2003, Feuille fédérale 2005, p. 4453).
La question de l’internement après coup pourrait se poser par exemple lorsqu’un détenu devient dangereux durant l’exécution des peines en raison d’une maladie psychique et qu’il semblerait indiqué, une fois la peine de privation de liberté purgée, d’ordonner son internement pour des raisons de sécurité.
Conditions d’internement
Pendant l’exécution de l'internement, il s'agit de trouver un équilibre entre la sécurité de la collectivité et les droits de l’individu. Il faut se fonder sur le principe qui veut que les droits de la personne détenue ne doivent être limités que dans la mesure où cela est nécessaire à l’objectif de la détention ou à la vie en commun dans l’établissement pénitentiaire (voir l’ATF 122 I 222, consid. 2a/aa, p. 225 ss. et aussi par exemple le ch. 3 des Règles pénitentiaires européennes et l’art. 75 CP). Le but primordial de l’internement est d’empêcher que la personne détenue ne commette d’autres délits. Contrairement à une peine, cette mesure n’est pas prise en représailles de l’infraction commise, mais vise uniquement à empêcher son auteur d’en perpétrer d’autres. Une privation liberté permet à elle seule dejà d'atteindre cet objectif.
Allégements des conditions de détention?
Pour cette raison, le Tribunal constitutionnel allemand demande en substance d’éviter toute épreuve aggravant la privation indispensable de la liberté «extérieure» et de tenir compte du caractère particulier de l’internement en veillant à ce que son exécution soit axée sur l’exercice de la liberté et ait une vocation thérapeutique, qui ne laisse planer aucun doute sur le caractère uniquement préventif de la mesure, tant pour la personne détenue que pour la collectivité (Tribunal constitutionnel allemand [BVerfG], 2 BvR 2365/09 du 4.5.2011, principe 3b). Par ailleurs, le Tribunal constitutionnel allemand précise, en se fondant sur la différence d’objectifs des mesures et des peines, que les conditions d'exécution de l’internement doivent se distinguer nettement de celles de l’exécution des peines, notamment en matière d’hébergement, c’est-à-dire qu’elles doivent être nettement plus généreuses. Le Comité des droits de l’homme formule une revendication semblable (CDH, Projet d’Observation générale no 35, ch. 21).
En Suisse, ces exigences n’ont guère fait l’objet de débats jusqu’à présent, de sorte que nous devons nous borner ici à en esquisser les lignes générales. Si l’exécution axée sur l’exercice de la liberté peut découler du principe de réinsertion sociale appliqué aussi en Suisse, la vocation thérapeutique de l’internement pose en revanche problème, car l'incapacité de s'amender d'une personne détenue est justement une condition de cette mesure.
Il faudrait mener un débat approfondi sur le principe qui veut que l’exécution de l’internement doive, en raison de la différence d’objectifs, se distinguer nettement de l’exécution d’une peine, l’internement n’étant pas une mesure de représailles. En effet, ce point de vue pourrait suggérer que c’est non seulement l’imposition d’une peine, mais aussi son exécution qui devrait présenter un caractère punitif. Or, l’exécution des peines ne doit-elle pas avoir aussi pour but de permettre au détenu de respecter la loi après sa libération? Quelles devraient alors être les caractéristiques de l’exécution des peines qui précède l’internement d'une personne pénalement responsable?
Dans la perspective des droits humains, ces demandes pourraient le cas échéant découler du principe de proportionnalité, sans qu’il soit nécessaire de faire référence à l’exécution des peines. Plus la privation de liberté est longue – et elle peut durer très longtemps, l’internement n’était pas limité dans le temps –, plus il est difficile de justifier les atteintes aux droits de l’individu par la sauvegarde de la sécurité publique. Pour estimer la gravité de ces atteintes, il faut prendre en considération non seulement la durée de la privation de liberté, mais aussi les conditions de détention. Ainsi, l’assouplissement du régime de détention peut dans certaines circonstances atténuer cette gravité.
Internement et personnes âgées
Etant donné le caractère perpétuel de l’internement et la faible probabilité, dans les circonstances actuelles, de libérer les personnes internées à vie pour des raisons de sécurité, un nombre toujours croissant de personnes âgées tombent sous le coup de cette mesure. Cette catégorie de détenus pose des problèmes particuliers, comme les soins médicaux ou la manière dont ils vivent le fait d’être privés de toute perspective. La question du droit à une fin de vie digne se pose également ici, et de manière toujours plus fréquente.
Un autre aspect qui concerne les personnes âgées frappées d’un internement en Suisse est l’astreinte au travail pendant la privation de liberté. Cette obligation n’est toutefois pas problématique, car elle n’enfreint en principe pas l’interdiction du travail forcé ou obligatoire inscrite à l’art. 4 al. 2 CEDH.
Le détenu est exonéré de cette obligation lorsque son aptitude au travail est diminuée pour des raisons physiques par exemple (voir l’art. 90 al. 3 en relation avec l’art. 81 al. 1 CP). Il n’en reste pas moins que le Tribunal fédéral a conclu qu’un détenu ayant l’âge de la retraite reste astreint au travail (ATF 139 I 180). Il justifiait notamment cette mesure par le fait qu’elle était appropriée, nécessaire et de manière générale exigible, afin de garantir les principes de l’exécution des peines, comme le maintien de l’ordre, la prévention des effets négatifs de la détention et l’organisation de la vie quotidienne dans l’établissement. Le Tribunal fédéral n’a toutefois pas retenu, dans son argumentation, le principe d’équivalence, pourtant lui aussi pertinent en matière d’exécution des peines (voir l’art. 75 al. 1 CP): «[l’exécution] doit correspondre autant que possible à des conditions de vie ordinaires». En dehors du milieu carcéral, la personne concernée devrait en effet être capable d’organiser elle-même son quotidien sans devoir pour autant aller au travail. Il est aussi loisible de se demander si l’organisation de la vie quotidienne, dont il est fait mention ci-dessus, ne pourrait pas se faire par le biais d’une occupation certes obligatoire, mais que la personne détenue pourrait choisir librement (voir aussi la newsletter no 10 du CSDH du 18.9.2013 concernant l’astreinte au travail des personnes détenues ayant atteint l’âge de la retraite). Le détenu qui avait saisi le Tribunal fédéral a déposé une requête auprès de la CrEDH, qui n’a pas encore statué.
Allégements dans l’exécution
Même si une personne a été internée en raison du danger qu’elle représente pour la collectivité, la question se pose de savoir s’il faut lui octroyer des allégements, comme des congés pénitentiaires accompagnés. En effet, le principe de réinsertion sociale s’applique aussi à l’internement et l’on suppose, du moins pour l’internement ordinaire, que l’interné pourrait être libéré à un moment donné. Dans cette optique, les expériences faites à l’occasion des mesures d’allégement peuvent fournir des éléments importants pour évaluer le danger que l’interné continue à poser pour la collectivité et établir un diagnostic, notamment au moment de la révision du bien-fondé de l’internement ordinaire. Ce n’est en effet que si certains allégements sont octroyés que la personne internée a la possibilité de prouver qu’elle pourrait vivre normalement en liberté. Pour autant, l’autorité d’exécution ne doit pas octroyer des allégements dans tous les cas. Elle doit en effet pouvoir continuer à prendre le besoin de sécurité en considération. Il ne faut ainsi pas généraliser l’interdiction des allégements, mais les octroyer au cas par cas.
Par ailleurs, il faut se demander dans quelle mesure l’autorité d’exécution peut octroyer certains allégements aux personnes internées à perpétuité. Comme nous l’avons dit ci-dessus, l’internement à vie n’est compatible avec l’art. 3 CEDH que s’il est possible de procéder à une révision qui tienne également compte des progrès personnels de la personne internée. Il faut cependant dans ce cas que l’intéressé-e ait l’occasion de modifier sa conduite, ce qui serait notamment possible à la faveur des allégements.
Lieu de détention adapté aux malades mentaux
S’agissant des auteur-e-s irresponsables condamné-e-s à l’internement, le seul motif admissible de la privation de liberté est celui qui figure à l’art. 5 al. 1 let. e CEDH. Pour cela, il faut, selon la jurisprudence de la CrEDH, qu’il y ait un lien suffisant entre ce motif et les conditions de détention (voir notamment l’arrêt de la CrEDH dans l'affaire Hutchison Reid c. Royaume-Uni, ch. 48 ss.). Dès lors, si l’autorité ordonne l’internement de la personne en question en raison d’une maladie mentale, celle-ci doit être détenue dans une clinique ou un établissement analogue.
Diverses recommandations émanant d’organisations internationales formulent des exigences semblables pour tous les malades mentaux, et donc aussi pour les personnes internées souffrant d’une maladie de ce genre. Ces recommandations précisent que ces dernières doivent être détenues dans une clinique de psychiatrie générale ou, du moins, dans un établissement du système pénitentiaire doté de l’équipement requis et du personnel qualifié nécessaire (voir les chapitres 12.1 et 47.1 des Règles pénitentiaires européennes).
Ces prescriptions entrent dans une certaine mesure en contradiction avec les dispositions du code pénal suisse, qui prévoient que l’internement est exécuté dans un établissement d’exécution des mesures ou dans un établissement fermé classique et que l’auteur-e bénéficie d’une prise en charge psychiatrique uniquement s’il ou elle en a besoin (art. 64 al. 4 CP).
Conclusions
L’internement soulève plusieurs questions délicates dans la perspective des droits humains, dont il faudrait débattre en dépit du climat politique qui règne actuellement en Suisse, axé principalement sur un souci de sécurité et d’expiation. Les principales questions à étudier sont ainsi les conditions d'exécution de l’internement, le problème posé par le nombre croissant de personnes âgées internées et de malade mentaux, ainsi que les conditions auxquelles il faut subordonner l’octroi d’allégements dans l’exécution.
Autres liens et documentations :
-
Arrêt de la CrEDH dans l’affaire X c. Finlande, requête no 34806/04 (2012)
-
Constatations du CDH dans l’affaire Rameka c. Nouvelle-Zélande, 32605/96 (2001)
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Newsletter du CSDH no 10 du 18 septembre 2013 concernant l’arrêt Vinter et autres c. Royaume-Uni
-
Arrêt de la CrEDH dans l’affaire Hutchison Reid c. Royaume-Uni, requête no 50272/99 (2003)