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Les prescriptions des droits humains sur l’utilisation des armes à feu par la police

Une analyse d’actualité

Abstract

Auteur : Andreas Kind

Publié le 31.10.2012

Pertinence pratique :

  • Le droit à la vie dans la Convention européenne des droits de l’homme et dans le Pacte II de l’ONU n’adresse aucune interdiction absolue de tuer à l’égard des organes de sécurité. Au contraire, en respectant des prescriptions strictes, le recours à des actes de violence potentiellement mortels dans des situations de légitime défense, voire même un homicide ciblé, peut être conforme aux droits humains.
  • L’utilisation des armes à feu n’est notamment autorisée que dans le respect rigoureux du principe de la proportionnalité. Le recours à des actes de violence potentiellement mortels lors de l'arrestation d’une personne, qui ne représente aucun danger pour l’intégrité corporelle d’autrui et qui n’est pas soupçonnée d’avoir commis des actes de violence, ne respecte pas le principe de la proportionnalité.
  • Une enquête indépendante et approfondie doit être menée après chaque utilisation d’armes à feu par les forces de police.

En septembre 2012, en l’espace d’une semaine, deux personnes sont mortes par des balles tirées par des armes de service de la police. Le 12 septembre, un suspect en cavale a été abattu à Rickenbach (SZ). Dans la nuit du 19 au 20 septembre, à Montreux (VD), un homme qui, après un délit de fuite lors d’un barrage routier, avait tiré avec un fusil de chasse sur les policiers a été mortellement blessé par les tirs de ces derniers. Le cumul chronologique des deux homicides est sûrement dû au hasard. Néanmoins, cette occasion doit être saisie pour récapituler les exigences générales des droits humains concernant l’usage des armes à feu par la police.

Les bases légales importantes des droits humains

L’homicide d’une personne par les forces de sûreté de l’Etat représente-t-il automatiquement une violation du droit à la vie ou est-ce qu’un tir mortel lancé par la police peut, exceptionnellement, se trouver en consensus avec cette garantie? Les deux accords concernant les droits humains importants pour la Suisse et susceptible d’apporter une réponse à cette question n’interdisent pas à l’Etat, en tant que détenteur du monopole de la force, tout usage de la force qui aurait des conséquences mortelles. Ils règlent toutefois pourtant, l’admissibilité d’un tel usage de la force de manière différente, du moins au premier regard:

Le droit à la vie, selon l’art. 6 du Pacte de l’ONU relatif aux droits civils et politiques (Pacte II) n’interdit pas tout homicide perpétré par les forces de sécurité, mais uniquement la «privation arbitraire de la vie». L’art. 2 CEDH est de ce point de vue plus précis, mais au premier regard pourtant, du moins partiellement: Selon son deuxième alinéa, la mort n’est pas considérée comme infligée en violation des droits humains «dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire, a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection».

Les forces de sécurité peuvent ainsi, malgré des suites potentiellement mortelles, dans un but de légitime défense ou d’assistance à la légitime défense, faire usage de la force lors de l’arrestation d’une personne et lors de la répression d’une émeute, si le recours à la force potentiellement mortelle est absolument nécessaire pour atteindre un des buts énumérés exhaustivement. L’art. 2 al. 2 CEDH n’énumère pourtant pas les situations dans lesquelles l’Etat a le droit d’infliger la mort, mais les cas dans lesquels le droit à la vie, malgré les suites mortelles ou l’acceptation d’une mort éventuelle, n’est pas violé, dans la mesure où l’usage de la force est absolument nécessaire afin d’atteindre un des buts énumérés et proportionnel à l’étendue du danger concret auquel la police est confrontée. Dans de tels cas, il est donc permis de faire usage de la force, même si des homicides ne peuvent pas être absolument évités. Dans les situations extrêmes de légitime défense et d’assistance à la légitime défense, mais uniquement dans ces situations, même l’usage de la force avec l’intention de tuer est admissible en tant que dernier recours. Si cette condition n’est pas remplie, la mort infligée de manière ciblée à une personne représente toujours une violation du droit à la vie.

La pratique du Comité des droits de l’homme concernant l’homicide « arbitraire » selon le Pacte II suit les mêmes principes.

Le Pacte II et la CEDH ont avancé une autre composante de protection par la formulation selon laquelle le droit à la vie doit être protégé par la loi : les Etats sont tenus de régler légalement les circonstances dans lesquelles les forces de sécurité ont le droit de faire usage de la force, et à plus forte raison, les conditions d’un tir mortel ciblé.

… et leur mise en œuvre en Suisse

Les conditions pour l’usage des armes à feu en Suisse sont souvent ancrées au niveau des lois sur la police. Le § 17 de la nouvelle loi sur la police du canton Zürich (Polizeigesetz des Kantons Zürich) à mentionnée ici à titre d’exemple . Cette disposition permet, en s’appuyant étroitement sur les prescriptions de l’art. 2 CEDH, l’utilisation des armes à feu «d’une façon adaptée aux circonstances» et «lorsque d’autres moyens ne sont pas suffisants», par exemple, a) si les membres de la police ou d’autres personnes sont attaquées de manière dangereuse ou sont menacées par une attaque dangereuse imminente, b) si une personne a commis un crime ou un délit grave ou si elle en est fortement soupçonnée et qu’elle veut prendre la fuite, c) si des personnes représentent un danger concret imminent pour l’intégrité corporelle d’autrui et qu’elles tentent de se dérober à leur arrestation, d) pour la libération d’otages, e) pour empêcher la commission d’un crime ou d’un délit grave imminent à des installations qui servent à la collectivité et qui représentent un danger particulier pour la collectivité à cause de leur vulnérabilité». Dans le cadre d’un contrôle de la loi sur la police du canton de Zurich, le Tribunal fédéral a jugé, en 2009, cette disposition comme étant conforme à la Constitution et à la CEDH (ATF 136 I 87, consid. 4).

La pratique de la Cour Européenne des Droits de l’Homme concernant la question de la proportionnalité lors de l’usage des armes à feu

La pratique de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) concernant l’admissibilité de l’utilisation des armes à feu couvre peu la question de la légalité des buts suivis par l’utilisation des armes à feu, mais met l’accent sur la proportionnalité dans les cas concrets. La Cour Européenne des Droits de l’Homme s’en tient à un cadre très rigide, qui avait été développé en 1995 dans l’affaire McCann (McCann et autres c. Royaume-Uni) et qui constitue depuis lors le critère de référence pour déterminer l’admissibilité des homicides extra légaux. Selon ce dernier, l’usage de la force en soi doit être non seulement absolument nécessaire pour atteindre un but légitime, mais aussi l’organisation et le contrôle de telles opérations et la formation des forces de police doivent offrir la garantie que toutes les mesures pour la protection de la vie sont prises et qu’on ne fait réellement recours à une telle force que s’il n’est pas possible d’appréhender un danger pour le corps et la vie d’autres personnes par un autre moyen (voir par ex. aussi les arrêts suivants de la CEDH : Andreou c. Turquie ; Nachova et autres c. Bulgarie ; Gorovenky et Bugara c. Ukraine ; Finogenov et autres c. Russie). Par contre, si les forces de police font usage de leurs armes à feu après qu’elles aient pris toutes les mesures de précaution, et en étant de bonne foi, pour atteindre ainsi un but autorisé et en agissant dans le respect du principe de la proportionnalité, mais que par la suite ces suppositions s’avèrent fausses, ainsi il ne peut être question d’une violation du droit à la vie, comme l’a retenu la Grande Chambre de la CEDH, en 2012 (CEDH, Giuliani et Gaggio c. Italie). Une autre conclusion représenterait, comme l’exprime la CEDH, un obstacle d’une grandeur irréaliste pour l’Etat et ses forces de sûreté.

L’usage de la force pouvant potentiellement entraîner la mort est toujours disproportionné pour l’arrestation d’une personne qui ne représente aucun danger pour l’intégrité corporelle d’autrui et qui n’est pas soupçonnée d’avoir commis un crime; (CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie). En revanche, le recours à la force qui ne conduit normalement pas à la mort, mais qui conduit à ce résultat en raison de prédispositions biologiques de la victime, n’est en soi pas disproportionné. (CEDH, Scavuzzo-Hager c. Suisse).

Obligation d’enquête postérieure sur l’admissibilité de l’usage d’une arme à feu

Le droit à la vie contient une autre composante qui est celle de l’obligation d’enquête de l’Etat. Cela signifie que l’Etat doit enquêter sur tous les cas de décès inhabituels avec l’indépendance et le soin nécessaires. Ceci est également valable pour les cas d’usage d’armes à feu par la police ayant des suites mortelles. Le Tribunal fédéral s’est récemment basé sur cette obligation d’enquête commandée par les droits humains dans un arrêt (Arrêt du Tribunal fédéral 1B_687/2011, 1B_689/2011), concernant un policier qui, lors d’un barrage de police, avait tiré sur un véhicule qui fonçait vers celui-ci et qui avait mortellement blessé le passager avant. Le Tribunal a retenu que même dans les situations de légitime défense, on ne devrait pas classer trop vite la procédure pénale, mais qu’il faut respecter cette obligation d’enquêter (voir à ce sujet l’article de la Newsletter du 2 mai 2012).

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