Artikel

Un tribunal arbitral tranche en faveur des lois antitabac

Philip Morris perd son procès contre l’Uruguay

Abstract

Auteure : Krista Nadakavukaren Schefer

Publiziert am 21.02.2017

Le droit à la santé englobe l’accès aux prestations du système de santé et la protection contre les atteintes à l’intégrité physique et psychique. La Suisse est elle aussi tenue de respecter et de promouvoir ce droit, garanti notamment par l’art. 12 du Pacte I de l’ONU. Il n’est en revanche pas clair si les obligations de l’État de protéger le droit à la santé l’emportent sur ses obligations de garantir les droits de propriété des agents économiques. C’est la question qu’a dû trancher le tribunal arbitral institué pour connaître de l’affaire opposant le cigarettier Philip Morris, dont le siège est en Suisse, à l’Uruguay.

En dépit du rôle important qu’il a joué dans la production cigarettière, l’Uruguay est devenu au début des années 2000 un pionnier des politiques antitabagisme. Après avoir signé et ratifié la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé (CCLAT), il a adopté des mesures plus contraignantes que d’autres États. Afin de satisfaire aux obligations de la Convention, il a ainsi promulgué en 2009 deux ordonnances concernant les emballages. La première interdisait l’utilisation de variantes de marque, c’est-à-dire de désignations telles que « Filtre », « Or » ou « Light », qui pouvaient, dans l’appréciation de Montevideo, donner l’impression au consommateur qu’elles étaient moins nuisibles à sa santé. La deuxième directive augmentait de 50 à 80 % la surface du verso et du recto du paquet couverte par les avertissements, le législateur voulant ainsi augmenter l’effet de prévention et réduire la place à la disposition de la marque.

Opposé à ces restrictions, Philip Morris a saisi un tribunal arbitral institué suivant les règles du Centre de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). La multinationale a fait valoir son siège suisse et un accord d’investissement bilatéral entre la Confédération et l’Uruguay. Premier investisseur du secteur du tabac en Uruguay, elle prétendait que ces mesures équivalaient à une expropriation de ses droits et que Montevideo contrevenait à son obligation de lui garantir un « traitement juste et équitable ». Selon Philip Morris, les règles d’étiquetage l’empêchaient d’exploiter ses marques de commerce et de tirer parti de la notoriété de sa marque. La société exigeait en conséquence des dommages-intérêts à hauteur de 25 millions de dollars. En juillet 2016, le tribunal arbitral a rejeté ses demandes et défendu les mesures adoptées par l’Uruguay pour garantir le droit à la santé.

Des considérants qui établissent un précédent

Le tribunal a tout d’abord précisé qu’il ne peut y avoir expropriation indirecte que lorsque la mesure contestée nuit considérablement aux investissements et a rejeté les griefs formulés par Philip Morris en ce sens, dès lors que cette société restait présente en Uruguay et y réalisait des bénéfices. Le tribunal a également posé un principe important pour les droits humains : lorsqu’un gouvernement adopte des mesures qui entrent dans le cadre de l’exercice légitime de sa souveraineté, il ne faut pas y voir une expropriation donnant droit à une indemnisation, même lorsqu’elles influent considérablement sur les activités de l’investisseur. Le tribunal a invoqué à cet égard les engagements nationaux et internationaux contractés par l’Uruguay, qui le contraignent à protéger la santé publique. De la sorte, les mesures universelles et non discriminatoires adoptées de bonne foi par Montevideo ne constituaient pas une expropriation pour laquelle il aurait fallu indemniser Philip Morris, même si celles-ci étaient susceptibles de nuire à sa capacité économique.

Les arbitres ont aussi salué l’initiative prise par l’Uruguay d’adopter de nouvelles normes pour protéger la santé de sa population. Ils indiquent qu’il ne faut pas juger de la licéité d’une mesure en se fondant sur son efficacité. Le seul fait qu’il est impossible de prouver que cette mesure a atténué les problèmes qu’elle était censée résoudre ne permet pas de conclure qu’une initiative lancée de bonne foi pour protéger la santé publique serait « inéquitable ».

Le tribunal a aussi signalé qu’une entreprise ne pouvait pas s’attendre à ce que ses droits patrimoniaux demeurent immuables sur la base de normes générales du droit, de sorte que le traitement accordé par l’Uruguay à Philip Morris satisfait en tous points aux exigences d’un traitement équitable. Le tribunal a ainsi rejeté tous les griefs du cigarettier.

Un arrêt important

Les tribunaux arbitraux tranchant des litiges en lien avec des investissements ont jusqu’ici rarement abordé des questions qui touchent aux droits humains. Par ailleurs, l’effet dissuasif que les intérêts des multinationales peuvent exercer sur la prise de décisions d’un pays est une réelle menace : un État qui craint de devoir verser des indemnités substantielles à des entreprises sera moins enclin à introduire de nouvelles réglementations. Par exemple, l’entreprise pharmaceutique suisse Novartis est actuellement partie à une procédure de conciliation qui porte sur le droit de la Colombie d’imposer une baisse de prix du Glivec, un médicament contre la leucémie. En l’espèce, l’arrêt Philip Morris contre Uruguay pourrait constituer un précédent important, car il laisse entendre que la protection de la santé doit l’emporter sur les intérêts économiques. Il pourrait aussi s’interpréter comme une attitude plus favorable du tribunal arbitral envers les initiatives prises par les États pour honorer leurs obligations en matière de défense et de réalisation des droits humains, même lorsque ces initiatives menacent les droits patrimoniaux de certains investisseurs. Les arrêts des tribunaux arbitraux ont beau ne pas lier les cours statuant dans d’autres sortes de procédure, le fait de reconnaître les obligations des États en matière de droits humains est un pas vers leur réalisation universelle.


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