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Protocole additionnel n° 15 portant sur la CEDH – une plus grande marge d’appréciation pour les États membres?

La Suisse compte ratifier le Protocole additionnel n°15. Ses innovations en un coup d’œil

Publié le 24.11.2014

Pertinence pratique :

  • Le Conseil fédéral envisage de ratifier le Protocole additionnel n°15. La procédure de consultation a été achevée en novembre.
  • Le Protocole additionnel n°15 ne prévoit que des adaptations ponctuelles de la CEDH. La réduction de six à quatre mois du délai pour le dépôt des requêtes en est la principale modification procédurale.
  • Le principe de subsidiarité et la marge d’appréciation des États membres, inclus dans le nouveau préambule, doivent être interprétés à la lumière de la pratique existante de la Cour.

Besoin de réforme pour garantir l’efficacité de la Cour?

Le Conseil de l’Europe mène depuis longtemps un processus de réforme afin de lutter contre la surcharge de travail et de garantir le bon fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH). Le quatorzième Protocole additionnel n° 14 du 12 mai 2004 avait déjà pour objectif de simplifier et d’accélérer les procédures et, partant, d’alléger le travail de la Cour. Cet objectif fut partiellement atteint, la Cour parvenant pour la première fois à réduire le volume des affaires en suspens. Lors de l’entrée en vigueur de cette mesure en 2010, il était toutefois connu que des réformes supplémentaires seraient nécessaires. Les discussions menées lors des conférences des ministres à Interlaken, Izmir et Brighton sur l’avenir de la CrEDH ont débouché sur les deux nouveaux Protocoles additionnels n°15 et n°16, qui doivent à présent être ratifiés par les États membres du Conseil de l’Europe.

Le Conseil fédéral entend ratifier le Protocole additionnel n°15, qui prévoit des adaptations ponctuelles de la CEDH. Il s’attend à ce que les mesures qu’il contient apportent certaines améliorations au système de contrôle actuel. La procédure de consultation a duré jusqu’à la mi-novembre. En revanche, il ne souhaite pas, du moins à court terme, ratifier le Protocole additionnel n°16, qui permettrait au Tribunal fédéral de saisir la Cour de demandes d’avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation d’un point précis de la Convention. Il préfère patienter quelque peu et observer le développement de cet instrument dans la pratique.

Le Protocole additionnel n°15 n’entrera pas en vigueur avant que tous les États membres de la CEDH ne le ratifient. Actuellement, seuls 10 États sont signataires (état: fin octobre 2014).

Contenu du Protocole additionnel n° 15

Le Protocole additionnel n°15 prévoit les modifications suivantes de la CEDH:

  • (1) Le préambule de la CEDH rappelle désormais le principe de subsidiarité et la marge d’appréciation dont jouissent les États membres dans la sauvegarde des droits de la Convention.
  • (2) Les juges de la CEDH ne peuvent à présent être âgés de plus de 65 ans au moment de leur élection. La limitation actuelle fixée à 70 ans (art. 23 al. 2 CEDH) est donc supprimée. La durée du mandat reste fixée à neuf ans, les juges pouvant donc se retirer à l’âge de 74 ans au maximum.
  • (3) La possibilité accordée aux parties de se prononcer contre le dessaisissement d’une affaire au profit de la Grande chambre est supprimée (art. 30 CEDH).
  • (4) Le délai pour déposer une requête (art. 35 al. 1 CEDH) passe de six à quatre mois.
  • (5) Selon l’art. 35 al. 3 let. b CEDH, une requête peut être déclarée irrecevable lorsque le requérant n’a subi aucun préjudice important, à condition que la requête ait été examinée par un tribunal interne. Dorénavant, la Cour peut renoncer à se prononcer sur de telles affaires même si cette condition n’est pas remplie.

Restriction d’accès à la Cour

Les modifications liées à l’âge des juges (2) et à la suppression du droit d’opposition des parties en cas de transfert d’une affaire à la Grande chambre (3) sont de nature interne à la Cour. La réduction à quatre mois du délai pour le dépôt d’une requête (4) et la modification du critère d’irrecevabilité de l’art. 35 al. 3 let. b CEDH (5) impliquent une certaine limitation du droit de recours devant la CEDH.

La réduction du délai pour le dépôt d’une requête repose sur une proposition de la CrEDH, justifiée par le développement des technologies de la communication et la nécessité d’harmonisation avec les délais en vigueur dans les États membres. En comparaison avec les organes des droits de l’homme de l’ONU, qui prévoient pour les requêtes individuelles un délai de six mois voire aucun délai du tout, cette réduction à quatre mois représente une particularité dans le domaine de la protection internationale des droits humains. Toutefois, elle ne représente qu’une limitation marginale du droit de requête.

Par ailleurs, pour ce qui est de la modification du critère d’irrecevabilité fixé à l’art. 35 al. 3 let. b CEDH, il convient de se demander si elle apportera réellement une amélioration de l’efficacité de la Cour. Les requêtes pouvant être déclarées irrecevables même en l’absence d’un examen suffisant par un tribunal interne des violations alléguées de la CEDH, la Cour ne sera plus en mesure de garantir que le droit à un recours effectif (art. 13 CEDH) soit respecté sans exception. La modification concerne cependant uniquement les requêtes pour lesquelles il n’apparaît pas de manière évidente que la personne concernée a subi un préjudice important (cas d’importance minime). En outre, la Cour reste tenue d’examiner le bien-fondé de la requête si le respect des droits humains l’exige.

Au vu de la pratique en vigueur, il apparaît toutefois que la Cour se montre prudente quand il s’agit d’établir l’absence de préjudice important. La modification apportée par le Protocole additionnel n°15 ne devrait dès lors pas entraîner de réduction substantielle de la charge de travail de la Cour.

Une plus grande marge d’appréciation des États membres après la modification du préambule?

Alors que les modifications procédurales font presque l’unanimité, l’adaptation du préambule (1) a fait l’objet, et fait encore l’objet, de débats houleux. Si le principe de subsidiarité et la «marge d’appréciation» ont été ancrés dans la Convention, c’est en grande partie en raison des critiques qu’ont formulées quelques États membres à l’égard de la jurisprudence de la Cour. Il lui est tout particulièrement reproché de ne pas suffisamment tenir compte des spécificités juridiques des États membres. En Suisse également, certains responsables politiques condamnent la large interprétation faite de la Convention par la Cour, argumentant que cela porte atteinte à la souveraineté de la Suisse (voir à ce sujet l’étude complète sur les interventions parlementaires «Le droit suisse prime-t-il sur le droit international public?» avril 2014, p. 5 et ss.).

Ces reproches sont-ils justifiés et l’introduction de ces deux principes dans le préambule peut-elle changer quelque chose?

Un préambule est une explication solennelle qui expose l’objet et les motifs fondamentaux d’un contrat ou d’une constitution. Il ne fonde généralement aucune obligation ni droit directs, mais peut être invoqué pour l’interprétation d’une disposition contraignante (art. 31 al. 2 Convention de Vienne sur le droit des traités). La portée juridique de cette modification au préambule est donc faible. Cependant, elle pourrait entraîner la Cour à adopter, de manière spontanée ou sous la pression des forces politiques, davantage de prudence dans sa jurisprudence. Il ne faut pas non plus exclure la possibilité que les autorités nationales réclament davantage de marge de manœuvre dans l’application de la Convention.

Le principe de subsidiarité: la clé de voûte du système

Les dispositions contraignantes de la Convention européenne des droits de l’homme contiennent déjà plusieurs normes établissant qu’il revient en premier lieu aux États membres de garantir le respect de la Convention et que la Cour ne joue qu’un rôle subsidiaire. Ce principe de subsidiarité représente aujourd’hui déjà l’une des clés de voûte du système (voir «La CEDH et les cantons» dans la newsletter du CSDH du 24 nov. 2014). La Cour n’a d’ailleurs de cesse de répéter qu’elle n’est pas une juridiction de quatrième instance (Pedro Ramos c. Suisse, 14.10.2010, par. 51). Il incombe donc aux États membres d’assurer le respect des garanties de la Convention (art. 1 CEDH). Pour ce faire, ils doivent garantir à toute personne l’accès à des voies de recours devant une instance nationale (art. 13 CEDH). Sauf épuisement de ces voies de recours nationales, la Cour ne peut être saisie d’une affaire (art. 35 al. 1 CEDH). En raison du principe de subsidiarité, la Cour estime en outre qu’elle doit se tenir aux faits établis par l’instance interne (Gsell c. Suisse, 08.10.2009, par. 51). Elle tient toutefois compte de l’évolution des faits intervenus après la décision nationale. Cela semble approprié au vu de la longueur de la procédure auprès de la CrEDH, mais présente également le risque que la situation ait totalement changé au moment où la CrEDH doit statuer (p. ex. en cas de requête déposée contre un renvoi prononcé pour des faits criminels, la Cour tient compte de la durée de séjour et du comportement du requérant jusqu’à la publication de son arrêt (Udeh c. Suisse, 16.04.2013, par. 48 ss.).

Cette responsabilité primaire des États membres ne signifie toutefois pas que la Cour n’est pas autorisée à mener des examens sur la proportionnalité des arrêts nationaux. Il s’agit d’ailleurs là d’une de ses tâches centrales.

Mention par la Cour de la marge d’appréciation

Le préambule de la Convention devra mentionner explicitement la marge d’appréciation des États, en plus du principe de subsidiarité. Les voix critiques à l’égard de la Cour espèrent ainsi bénéficier, à l’avenir, d’un renforcement de la marge d’interprétation des États membres.

Comme l’explique toutefois le rapport explicatif du Conseil de l’Europe sur le Protocole n° 15, cette marge d’appréciation est destinée à rester cohérente avec la doctrine de la marge d’appréciation telle que développée par la Cour et déjà appliquée jusqu’ici. A la lumière de la jurisprudence de la Cour, il apparaît que cette marge d’appréciation n’implique pas l’application d’une marge d’interprétation générale pour les États membres, mais que son application se limite en première ligne au domaine des libertés classiques selon les termes des art. 8 à 11 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale, liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’expression, liberté de réunion et d’association). En effet, la Convention prévoit que ces droits peuvent être soumis à certaines restrictions, si celles-ci sont prévues par la loi, qu’elles sont justifiées par un intérêt public supérieur et respectent le principe de proportionnalité. Dans ce contexte, la marge d’appréciation n’a d’autre but que de permettre à la Cour de tenir compte des particularités juridiques ou factuelles lors de l’examen de la proportionnalité et d’octroyer aux États une marge d’appréciation.

Plusieurs facteurs permettent de déterminer l’étendue de la marge d’appréciation accordée aux États membres. Notamment le type d’intérêt public qui prévaut, le degré d’unité de la pratique des États membres ou le type d’engagement découlant pour l’État. Dans certains domaines, au moment par exemple de peser les intérêts publics que représentent le renvoi d’une étrangère ou d’un étranger criminel face à son droit au respect de la vie familiale (art. 8 CEDH), la Cour a développé des critères détaillés d’évaluation qui doivent être pris en compte par les États membres (Emre c. Suisse, 22.05.2008, par. 65 ss.).

En revanche, si une garantie fixée par la Convention ne prévoit pas de pesée des intérêts, telle que l’interdiction de la torture ou de peines et traitements inhumains (art. 3 CEDH), le droit à la vie (art. 2 CEDH) ou les droits à la liberté, à la sûreté et à un procès équitable selon les art. 5 et art. 6 CEDH, les États membres ne jouissent alors de pratiquement aucune marge d’appréciation.

Il existe toutefois une autre situation dans laquelle les États membres peuvent bénéficier d’une marge d’interprétation, à savoir lorsqu’une question précise ne fait pas l’objet d’un consensus au niveau européen. C’est notamment le cas des questions liées au domaine de la liberté de religion selon l’art 9 CEDH, pour lesquelles la Cour accorde régulièrement une très large marge d’appréciation aux États membres. Dans l’affaire Lautsi contre Italie (Lautsi et autres c. Italie, 18.03.2011, par. 69 ss.), la Grande chambre est ainsi arrivée à la conclusion que la présence de crucifix dans les salles de classe ne suffisait pas en soi pour établir un manquement aux prescriptions de l’art. 2 du Protocole n°1 (droit à l’instruction) et de l’art. 9 CEDH. La Cour a rappelé, pour justifier sa décision, que les États membres jouissaient d’une marge d’appréciation dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement et qu’il n’y avait pas de consensus entre les États européens sur la question des symboles religieux dans les écoles publiques. L’interdiction du port du voile à l’université relève également de la marge d’appréciation des États membres, comme l’a jugé la Cour dans l’affaire Sahin contre la Turquie (Leyla Şahin c. Turquie, 10.11.2005, par. 109 ss.). En revanche, en cas d’apparition de normes de protection au niveau européen, un État qui connaît des dispositions plus restreintes ne peut se prévaloir d’une marge d’appréciation (p. ex. accès des couples de même sexe à un partenariat enregistré (Schalk et Kopf c. Autriche, 24.06.2010, par. 106 ss.).

Il reste pour l’heure encore difficile de déterminer si la modification du préambule aura pour effet d’accorder une plus grande marge d’interprétation aux États membres ou s’il ne s’agit en réalité que de la codification d’une pratique déjà existante de la Cour.

Protocole additionnel n° 16: perspectives

Le Protocole additionnel n°16 pourrait potentiellement permettre une amélioration du dialogue entre la Cour et les juridictions des États membres. Il accorde en effet aux juridictions nationales de dernière instance la possibilité de saisir la Cour de demandes d’avis consultatifs – non contraignants – concernant l’interprétation et l’application de la Convention. Cette procédure pourrait contribuer à ce que les requêtes soient classées de manière définitive au niveau national déjà. Elle permettrait par ailleurs de faire taire, du moins partiellement, les critiques reprochant à la Cour de s’immiscer dans les affaires nationales (voir «La Suisse et la Cour européenne des droits de l’homme: chronique d’une relation tumultueuse» dans la newsletter du CSDH n°19 du 24 novembre 2014). Il est donc regrettable que le Conseil fédéral n’envisage pas encore de ratifier le Protocole additionnel n°16.

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