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Congé de paternité et congé parental : pas une priorité?

Rapport du Conseil fédéral du 30 octobre 2013

Abstract

Auteure : Eliane Arnet

Publié le 12.03.2014

Pertinence pratique :

  • L’adoption du congé de paternité ou du congé parental, ou des deux, permettrait de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, tout en combattant la discrimination structurelle dont sont victimes les mères.
  • Les deux mesures, seules ou combinées, sont efficaces pour battre en brèche les stéréotypes et le partage traditionnel des rôles.
  • La Confédération a les compétences légales, mais pas l’obligation, d’adopter un congé de paternité, un congé parental ou les deux.
  • En dépit de ces éléments positifs, le Conseil fédéral privilégie l’accueil extrafamilial, au détriment de ces nouveaux modèles.

Le 30 octobre 2013, le Conseil fédéral a publié le rapport "Congé de paternité et congé parental, état des lieux et présentation de divers modèles" en réponse au postulat Fetz (11.3492). Il y procède à une analyse approfondie de huit modèles, explique les dispositions légales en vigueur relatives au congé maternité ou de paternité (ainsi que celles qui font défaut) et expose diverses modalités d’application et de financement d’un congé de paternité ou d’un congé parental en Suisse. En conclusion, le Conseil fédéral accorde la priorité aux programmes d’accueil extrafamilial et parascolaire des enfants, en dépit des intérêts publics de poids qui militent en faveur de l’adoption d’un congé de paternité ou d’un congé parental. Il explique ce choix par l’importance décisive que cet accueil revêt, non seulement pendant les premières années de vie, mais aussi les années suivantes et en particulier lorsque l’enfant est en âge d’aller à l’école.

Remarques terminologiques

Dans son rapport, le Conseil fédéral parle de congé de paternité ou de congé parental. Cette formulation manque de précision, car il faut distinguer l’un de l’autre. Le premier est réservé au père, tandis que le second, d’une durée généralement plus longue, peut être pris tant par le père que la mère. Selon le modèle choisi, le congé parental s’ajoute au congé de paternité, le remplace ou l’incorpore (cf. le rapport du Conseil fédéral).

Par ailleurs, le terme de "congé parental" ne décrit pas correctement la réalité, car il passe sous silence la charge considérable que représentent les tâches familiales accomplies durant cette période. Pour cette raison, la Commission fédérale de coordination pour les questions familiales (COFF) propose, dans son modèle, de parler en allemand d’"Elternzeit" plutôt que d’"Elternurlaub" (ces termes sont cependant traduits tous deux en français par "congé parental"). Ni l’expression "congé de maternité" ni celle "congé de paternité" ne reflètent le travail accompli par les parents.

Régime légal en vigueur

Depuis le 1er juillet 2005, le congé maternité est un droit individuel dont jouissent les mères. En vertu de l’art. 329, f du Code des obligations (CO), les salariées ont droit, après l’accouchement, à un congé d’au moins 98 jours, durant lequel elles perçoivent des allocations de perte de gain équivalant à 80 % de leur revenu.

Par ailleurs, l’art. 35a, al. 3, de la loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (loi sur le travail, LT) instaure une protection de la maternité durant les 16 semaines qui suivent l’accouchement, tout retour au travail durant les huit premières semaines étant interdit. De surcroît, le CO oblige l’employeur à continuer à verser le salaire (art. 324a CO) en cas de grossesse et les femmes enceintes sont également protégées contre le licenciement par l’art. 336c CO et par l’art. 5 de la loi sur l’égalité (LEg).

Le père peut prendre un "congé de paternité" sous la forme d’un congé spécial ou de jours de congé usuels, selon l’art. 329, al. 3, CO. La Suisse ne reconnaît toujours pas au père le droit de passer avec sa famille les premiers jours qui suivent la naissance ou, dans le cas de l’adoption, l’arrivée de l’enfant. Quelques entreprises ainsi que l’administration publique accordent volontairement aux pères un congé paternité d’une à deux semaines.

Congé parental

La législation suisse ne prévoit pas non plus de congé parental, une solution qui permet tant à la mère qu’au père d’interrompre son activité professionnelle en cas de naissance ou parfois aussi d’adoption. Comme l’indique le rapport du Conseil fédéral, ce congé favorise pendant un certain temps la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, car les deux parents peuvent assumer leurs tâches familiales sans devoir renoncer à l’exercice d’une activité lucrative. Il comporte aussi la garantie de retrouver sa place de travail ou, du moins, une place équivalente. Les modalités concrètes du congé parental (durée, financement, nature et montant de la rémunération et répartition entre la mère et le père) peuvent varier considérablement.

Dispositions internationales en vigueur

Plusieurs instruments internationaux demandent ou recommandent l’adoption d’un congé parental, d’un congé de paternité ou des deux.

Ainsi, le Comité de la CEDEF recommandait explicitement à la Suisse, dans ses Observations finales de 2009 (ch. 26 et 38) d’envisager l’adoption d’un congé de paternité ("paternity leave").

Si elle ne lie pas la Suisse, la directive 2010/18/UE adoptée le 8 mars 2010 par l’Union européenne (UE), constitue néanmoins un repère pour notre pays, car elle formule les prescriptions minimales auxquelles doit satisfaire le congé parental dans tous les pays membres. Cette directive instaure un droit individuel à un congé parental de quatre mois au moins pour chacun des deux parents, qui doit être envisagé séparément du congé de maternité.

La Charte sociale européenne demande elle aussi l’adoption de dispositions légales dans ce domaine à son art. 27, al. 2, sous le titre "Droit des travailleurs ayant des responsabilités familiales à l’égalité des chances et de traitement". Quant au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, il a soutenu la mise en place d’un congé parental payé dans deux recommandations, adoptées l’une le 19 juin 1996 (R(96)5) et l’autre le 21 novembre 2007 (Rec(2007)17). Dans sa résolution 1939 (2013) du 31 mai 2013, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe invitait les Etats membres à adopter un régime de congé parental qui en réserve une partie au père. La recommandation no 191 de l’OIT soutient elle aussi la solution du congé de paternité et du congé parental.

L’adoption d’un congé de paternité et/ou d’un congé parental est-elle nécessaire en Suisse?

C’est surtout pendant les premières années de vie des enfants que la charge de travail des jeunes mères et pères est considérable et constitue un gros obstacle à la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.

La situation actuelle (comme les inégalités salariales entre femmes et hommes, cf. l’enquête de l’Office fédéral de la statistique) continue à favoriser le partage traditionnel des tâches entre les sexes. Alors que la plupart des pères travaillent à plein temps, les couples voient dans le temps partiel des mères la solution aux problèmes de conciliation. En conséquence, les mères accomplissent bien plus de tâches domestiques et éducatives non rémunérées, pendant que les pères s’investissent davantage dans leur activité professionnelle. En dépit de l’implication croissante des pères dans l’éducation des enfants, ils sont actuellement empêchés de fait d’assumer un rôle parental actif, tandis que les mères, malgré un niveau de formation équivalent, sont contraintes à faire une pause dans leur carrière professionnelle, soit en l’abandonnant, soit en ne travaillant qu’à temps partiel.

L’étude de la COFF ajoute aux facteurs encourageant l’égalité des sexes une foule d’autres arguments qui militent en faveur de l’adoption d’un congé de paternité et d’un congé parental. Elle mentionne ainsi les avantages d’ordre pédagogique et psychologique qui découlent du lien plus fort que les pères peuvent créer avec leurs enfants. Elle voit aussi des atouts d’ordre économique dans l’intégration accrue des femmes dans la vie professionnelle: plus forte présence des femmes sur le marché du travail, lutte contre la pénurie de spécialistes, meilleure utilisation du capital humain existant et augmentation de la productivité générale qui en est le corollaire. La diminution des dépenses sociales, l’augmentation des recettes fiscales et des facteurs de nature démographique parlent eux aussi en faveur d’un congé de paternité ou d’un congé parental.

L’adoption d’un congé de paternité et/ou d’un congé parental est-elle possible en Suisse?

La Confédération a les compétences légales, mais pas l’obligation, d’adopter un congé de paternité, un congé parental ou les deux. A ses art. 41, al. 1, let. c, art. 110 et art. 116, la Constitution fédérale (Cst) formule des objectifs et définit des compétences fédérales dans le domaine de la protection des salariés et de la famille. Le congé de paternité et/ou le congé parental pourraient contribuer à réaliser ces objectifs. La Confédération a les compétences nécessaires pour adopter une nouvelle modalité de congé pour les parents ou pour les pères, tant pour les rapports de travail de droit privé (art. 122, al. 1, Cst) que pour les employés fédéraux. Pour ce qui est de la fonction publique dans les cantons, la compétence appartient à ceux-ci, pour autant que la loi sur le travail (LTr) ne s’applique pas.

Depuis 2003, les députés aux Chambres fédérales ont déposé 26 interventions concernant le congé parental ou le congé de paternité, que le Conseil fédéral a jusqu’à présent toujours rejetées pour des motifs semblables, à savoir que les partenaires sociaux doivent conserver la compétence d’adopter ces prestations sociales. Le Conseil fédéral ajoute que l’introduction d’un congé parental ou d’un congé de paternité ne peut pas être financée et ne constitue pas une priorité en matière de politique sociale.

Congé parental: un regard critique

Le congé parental n’aboutit pas nécessairement à une redistribution des obligations familiales entre hommes et femmes. Pour que cela soit le cas, il faut que la loi octroie au père un droit individuel, non transmissible, à une partie du congé. Les entreprises pourraient alors s’attendre à ce que tant les hommes que les femmes interrompent leur carrière professionnelle.

Le modèle de congé parental proposé par la COFF prévoit une durée maximale de 24 semaines, dont quatre ne peuvent être prises que par le père ou par la mère. Ce modèle instaurerait certes un droit individuel à un congé parental payé, mais il aggraverait aussi la discrimination dont les femmes en âge de procréer sont victimes sur le marché du travail si le congé payé n’était pas pris par les hommes, mais surtout par les femmes, qui prolongeraient ainsi le congé de maternité. Pour cette raison, la Commission fédérale pour les questions féminines (CFQF) recommande, dans sa prise de position de 2011, que, pour réaliser l’égalité entre hommes et femmes, le congé se distribue obligatoirement de façon paritaire en deux congés individuels de douze semaines.

Le congé de paternité et/ou le congé parental, des mesures favorisant l’égalité

Bien que le congé parental et le congé de paternité ne soient que deux mesures parmi tant d’autres pour aider à concilier vie professionnelle et vie familiale, la participation des hommes aux tâches domestiques ferait avancer la cause de l’égalité. C’est précisément cette participation qui distingue ces deux mesures d’autres actions susceptibles d’améliorer la conciliation des tâches, comme les structures d’accueil extra-familial, et en fait des outils propres à instaurer une réelle égalité des sexes. Tout au moins, leur adoption permettrait de faire évoluer les mentalités, d’atténuer les stéréotypes hommes-femmes et de contribuer à abolir la division traditionnelle des rôles dans les tâches familiales, domestiques et professionnelles, battant ainsi en brèche la discrimination structurelle.

Adoption du congé de paternité par la voie judiciaire

L’an passé, le Tribunal administratif du canton de Berne a rejeté une demande réclamant le versement d’une allocation de paternité fondée sur la loi sur les allocations pour perte de gain (LAPG). La cause a été portée devant le Tribunal fédéral, qui n’a pas encore tranché. Le recourant a notamment fait valoir que, des 14 semaines du congé de maternité, huit seulement reposent sur des motifs biologiques et que les six semaines supplémentaires sont octroyées pour des considérations d’ordre social, de sorte qu’elles devraient aussi pouvoir être accordées au père. Le congé de maternité accordé découle du droit fondamental à fonder une famille et le recourant précise que la LAPG lèse le droit du père au respect de la vie familiale consacré par l’art. 8, al. 3, 1ère phrase Cst en relation avec l’art. 13, al. 1 et par l’art. 14 Cst en relation avec l’art. 8 CEDH. Le site www.gleichberichtig.ch fournit davantage d’informations à ce sujet.

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