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Renforcement des droits humains des personnes LGBTIQ* en Suisse
Développements actuels et actions nécessaires
Abstract
L’année 2022 amène des changements positifs pour les personnes LGBTIQ* : l’introduction du « mariage pour toutes et tous » ainsi que la simplification du changement de l’indication du prénom et du sexe à l'état civil va mettre fin à des formes de discriminations de longue date. Il reste néanmoins encore beaucoup à faire, notamment en ce qui concerne la protection de l'intégrité physique des personnes intersexes et le droit à l'autodétermination et à la reconnaissance tant des personnes intersexes que non binaires.
Auteure : Luisa Jakob
Introduction du « mariage pour toutes et tous »
L'acceptation du « mariage pour tous » qui entrera en vigueur le 1er juillet 2022 permettra de considérablement remédier à une discrimination qui existait jusqu'à présent à l'égard des couples (officiellement) de même sexe. Désormais, toutes les personnes, indépendamment de la mention officielle de leur genre, auront la possibilité de se marier. Les couples liés par un partenariat enregistré pourront demander sa conversion en mariage à partir de 2022 et les partenariats enregistrés ne pourront plus être conclus.
L’introduction du mariage sans distinction de genre répond ainsi, à bien des égards, à l'exigence d'égalité de traitement des relations non hétérosexuelles. Toutefois, des inégalités de traitement subsistent : par exemple, pour que les deux femmes soient automatiquement reconnues comme mères dès la naissance, les couples de femmes ne peuvent faire appel qu'à des banques de sperme suisses. Tandis que dans le cas des mariages hétérosexuels, l'homme est toujours automatiquement enregistré comme père, même si le couple a fait appel à une banque de sperme à l’étranger, par exemple.
Procédure de changement de l'indication du sexe et du prénom sans complications bureaucratiques
À partir du 1er janvier 2022, les personnes trans et intersexes pourront modifier l’indication du prénom et du sexe à l’état civil de manière simple et rapide. Ceci répond en principe aux recommandations du CSDH et aux revendications des organisations trans et autres organisations de défense des droits humains, s’agissant de procédures rapides, transparentes et accessibles, basées uniquement sur l'autodétermination.
La procédure n’est cependant pas ouverte à toutes les personnes : les jeunes de moins de 16 ans et les personnes sous curatelle de portée générale, par exemple, auront besoin de l'accord de leur représentant·e légal·e. Le Conseil des États avait rejeté les demandes contraires de Transgender Network Switzerland (TGNS) et d'InterAction Suisse.
Pas d'autres options pour l’inscription du genre
Malgré la prochaine modification de loi, les mentions « masculin » et « féminin » continueront d’être les seules options pour l’indication du genre ; il ne sera donc toujours pas possible de la supprimer ou de la laisser en suspens. De telles alternatives, qui ont déjà été mises en œuvre dans plusieurs pays, sont demandées depuis longtemps par divers organes internationaux relatifs aux droits humains ainsi que par les organisations représentant les personnes intersexes, non binaires et trans.
Concernant les modalités concrètes de catégories supplémentaires et/ou de l’abandon général de la mention du genre, il convient de tenir compte des différents besoins. Les discriminations vécues et les exigences juridiques des personnes intersexes et non binaires se recoupent, mais ne sont pas identiques. Les possibilités flexibles d'inscrire (ou de ne pas inscrire) une (sélection de) catégories de genre dans l'acte de naissance constituent, par exemple, une mesure importante de protection et de lutte contre la discrimination des nouveau-nés intersexes.
Les organes de traités internationaux en matière de droits humains soutiennent les revendications
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe recommandait en 2015 déjà que le droit à l'autodétermination des personnes intersexes soit respecté par une reconnaissance juridique facilitée (notamment dans l'acte de naissance, l'enregistrement à l'état civil et le passeport). Adopté en 2017, le 31e principe de Jogjakarta plus 10 maintenait que toutes les personnes doivent pouvoir décider « entre des options multiples pour le choix du genre », lorsque « le sexe et le genre continuent à être enregistrés ».
Le Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à la vie privée énonçait dans son rapport « Intelligence artificielle et respect de la vie privée, et respect de la vie privée des enfants » en janvier 2021 que l’impossibilité d’une indication adéquate du genre peut être problématique « pour la dignité, l’identité, la vie privée ou le développement des enfants transgenres ou intersexes ».
Aussi, afin de prévenir la discrimination et la violation de la dignité humaine, la Commission nationale d'éthique dans le domaine de la médecine humaine (CNE) recommande – comme première étape – l'introduction « d’une troisième possibilité d’inscription ». D’autres modalités d’enregistrement officiel du sexe sont envisageables et examinées en détail dans la prise de position n° 36/2020 de la CNE. Chacune des options présentées représente une amélioration par rapport au statu quo. Parallèlement à cette première étape, la CNE estime que l’« abandon de l’enregistrement officiel du sexe » doit également être évaluée de manière approfondie.
Attente d’un arrêt du Tribunal fédéral
Un jugement de la Cour suprême du canton d'Argovie pourrait également faire bouger les choses en ce qui concerne l’indication du sexe à l’état civil. Le 29 mars 2021, celle-ci a accepté un recours concernant un refus initial de reconnaître une indication du sexe biffée à l'étranger. Concrètement, l'affaire concernait une personne non binaire de nationalité suisse qui avait modifié sa mention de sexe en conséquence en Allemagne.
Le tribunal constate que dans l'ordre strictement binaire des sexes, on ne peut (plus) parler d'un principe fondamental du droit. Le champ réservé au sexe laissé vide n'est donc pas une violation manifeste de l'ordre public au sens de l'art. 27, al. 1, LDIP et doit donc être autorisé. L'administration fédérale a fait recours contre ce jugement. L'affaire est actuellement pendante devant le Tribunal fédéral.
Au niveau politique, il existe également des interventions visant à introduire d'autres mentions du genre. Ainsi, le postulat Ruiz 17.4185 demande d'examiner ce qui serait nécessaire pour l'introduction d'une troisième catégorie, la renonciation complète à l’enregistrement officiel du sexe ou un report temporaire de l’enregistrement des enfants intersexes dans le registre électronique de l'état civil. Le postulat Arslan 17.4121 veut que les conséquences de l'introduction d'une troisième catégorie de genre dans le registre de l'état civil ou l’abandon de l’enregistrement du sexe soient clarifiés. Le Conseil fédéral a recommandé que les deux initiatives soient adoptées et le Conseil national les a acceptées en 2018. Les réponses ne sont pas encore disponibles.
Malgré les critiques internationales, la protection des enfants intersexes reste insuffisante
La protection de l'intégrité physique des personnes intersexes, c'est-à-dire des personnes présentant diverses variations des caractéristiques sexuelles, nécessite toujours une action urgente en Suisse. Différents organes de défense des droits humains, dont le Comité des Nations Unies contre la torture, ont reproché à plusieurs reprises à la Suisse de ne pas entreprendre suffisamment d'actions contre les traitements médicaux inutiles chez les enfants intersexes, bien que ceux-ci contreviennent à l'interdiction des traitements inhumains.
Lors d'un colloque sur l'intersexuation en 2019, InterAction Suisse et le CSDH avaient également vivement critiqué les pratiques existantes portant atteinte aux droits humains. En 2020, la CNE a tenu à rappeler dans sa prise de position n° 36/2020 que « les opérations d’assignation sexuelle sur des enfants intersexués incapables de discernement devraient être interdites en l’absence d’indication médicale ». Bien qu’il existe une disposition pénale contre les mutilations génitales féminines (art. 124 CP), cette disposition ne couvre pas toutes les interventions de modification des caractéristiques sexuelles sur les enfants intersexes et son application aux filles intersexes est par ailleurs controversée.
Actuellement, l'interpellation Brenzikofer 21.3568 demande au Conseil fédéral de prendre position sur le droit des enfants intersexes à leur intégrité physique. Le Conseil fédéral a répondu par écrit à l'interpellation en septembre 2021, tandis que le Conseil national devrait traiter l’interpellation prochainement.
Autres liens et documentations :
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Colloque « Intersexuation : le droit à l'intégrité » (2019)
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Étude sur l'accès à la justice en cas de discrimination, Étude thématique 3 : LGBTI – analyse juridique (en allemand)
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FAQ sur les changements apportés par le « mariage pour toutes et tous », Organisation suisse des lesbiennes (en allemand)
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Campagne pour la reconnaissance des personnes non binaires, Transgender Network Switzerland
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« Les enfants intersexué·e·s doivent être protégé·e·s », commentaire d’InterAction Suisse sur humanrights.ch
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« Menschenrechtsverletzende Behandlungen intergeschlechtlicher Kinder », article de Christina Hausamann dans genderstudies #35, automne 2019 (en allemand)
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« Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes », Résolution 2191 (2017) du Conseil de l’Europe
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« Protéger les personnes intersexes en Europe », ILGA-Europe et OII Europe
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Rainbow Europe, l'outil de benchmarking annuel de l'ILGA-Europe, qui classe 49 pays d'Europe en fonction de leur législation et de leurs mesures politiques en faveur de l'égalité des personnes LGBTIQ*
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« Union de l’égalité : stratégie en faveur de l’égalité de traitement à l’égard des personnes LGBTIQ pour la période 2020-2025 », Commission européenne