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Suicide de personnes souffrant de troubles psychiques durant la détention

Arrêt de la CourEDH De Donder et De Clippel c. Belgique (Requête no 8595/06)

Abstract

Auteure : Anja Eugster

Publié le 01.02.2012

Pertinence pratique :

  • La détention d’une personne atteinte de troubles psychiques dans un établissement pénitentiaire ordinaire constitue une violation du droit à la vie (art. 2 CEDH) lorsque cette personne se suicide et que les autorités connaissaient ou auraient dû connaître le risque de suicide.
  • L’internement d’une personne atteinte de troubles psychiques au sens de l’art. 5 al. 1 lit. e CEDH doit être effectué dans un établissement approprié compte tenu de son tableau clinique.

Obligations dans les cas de risque de suicide en prison

Dans un arrêt rendu récemment, la CourEDH rappelle que l’art. 2 CEDH comprend également l’obligation positive dans certaines circonstances de protéger un individu contre lui-même. Dans les cas de risque de suicide en prison toutefois, les autorités n’assument une telle obligation que lorsqu’elles savent ou devraient savoir qu’il existe un risque réel et immédiat. En outre, il faut prouver que les autorités ont omis de prendre, dans le cadre de leurs pouvoirs, toutes les mesures appropriées d’un point de vue raisonnable pour pallier à ce risque.

Connaissance d’un risque de suicide réel et immédiat

Dans le cas concret, les autorités auraient dû savoir que le fils des requérants, Tom De Clippel, qui souffrait de schizophrénie paranoïde risquait de se suicider. Au lieu d’être placé dans la section psychiatrique comme le prévoit la loi et comme l’avait ordonné le procureur, il a été placé dans la section carcérale ordinaire. C’est là qu’il a mis fin à ses jours.

Selon la CourEDH, Tom De Clippel était vulnérable à double titre. D’une part, le taux de suicide des personnes en situation de privation de liberté est significativement plus élevé que celui de la population en général. D’autre part, la schizophrénie paranoïde recèle déjà un risque élevé de suicide. Même si Tom De Clippel n’a pas exprimé d’intention suicidaire envers les psychiatres et psychologues impliqués, il avait été interné justement au regard de la mise en danger de sa propre personne.

Prévention du risque de suicide

La CourEDH a constaté en outre que les autorités n’ont pas entrepris tout ce qui était en leur pouvoir pour prévenir le suicide de la personne internée. Ainsi, Tom De Clippel a été traité sans considération de son état psychique et de son statut d’interné:

  • Selon toute apparence, il n’a pas été présenté à un psychiatre lors de son arrivée en prison.
  • Il a été incarcéré dans les quartiers ordinaires et non pas dans l’annexe psychiatrique.
  • Il a été placé dans une cellule collective avec trois autres personnes, nonobstant la schizophrénie paranoïde dont il souffrait.
  • Après le comportement agressif qu’il avait manifesté à l’égard d’un compagnon de cellule, il a été enfermé dans une cellule de punition, sanction prévue pour les détenus qui ne souffrent pas de troubles mentaux.
  • Il n’a pas reçu l’attention spécifique que requiert un interné en raison de son état de santé mentale.

En outre, la Cour souligne qu’un Etat partie ne saurait en principe s’exonérer des obligations découlant de l’art. 2 CEDH en invoquant un manque chronique de places destinées aux personnes affectées de troubles psychiques.

Privation de liberté dans un établissement approprié

Au surplus, la CourEDH a rappelé que la «détention» d’une personne souffrant de troubles psychiques n’est en principe «régulière» au regard de l’art. 5 al. 1 lit. e CEDH que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié.

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