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Dernière jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans le domaine de la détention
Abstract
Auteure : Anja Eugster
Pertinence pratique :
- Pour information
- Le recours à des mesures de sécurité (par exemple aux menottes, aux fers et au personnel de surveillance) lors des contrôles médicaux et des transports vers ces derniers doit être justifié à tout moment par le degré de dangerosité du détenu
- Dans le cas d’allégations de mauvais traitement durant la détention, c’est l’Etat qui supporte le fardeau de la preuve
- L’isolement carcéral total lors de la détention sans aucune possibilité de garder un lien social représente toujours un traitement inhumain au sens de l’article 3 CEDH qui ne peut être justifié ni par la nécessité de sécurité, ni par d’autres raisons
Lors de différents arrêts des dernières semaines, la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a précisé sa jurisprudence concernant la question de la conformité des conditions d’incarcération à la Convention européenne des Droits de l’Homme. Cela touchait également à des domaines qui, en Suisse, ont été critiqués par la Commission nationale de prévention de la torture (voir article newsletter n°1 du CSDH)
L’utilisation de mesures de sécurité lors des examens médicaux
L’utilisation de mesures de sécurité lors d’une détention doit être, à tout moment, adaptée et proportionnelle à la dangerosité du détenu. Des mesures de sécurité ordonnées de manière schématique peuvent représenter une violation de l’article 3 CEDH. A cette occasion, il faut prendre en considération, entre autres, des éléments tels que le risque de fuite, l’état de santé, la vulnérabilité et les circonstances personnelles de la personne incarcérée.
Par conséquent, le port des menottes et des fers, par exemple, lors d’un contrôle médical, ainsi que lors du transfert vers un établissement médical externe, doit être adapté aux circonstances et respecter le principe de la proportionnalité au cas par cas.
À la lumière de ces réflexions, la CEDH a considéré dans l’Arrêt Duval c. France (recours n° 19868/08) que le principe de la proportionnalité n’a pas été respecté dans le cas d’un détenu, qui ne représentait ni de danger pour lui-même, ni pour autrui, et qui pourtant a dû porter des menottes et des fers lors de différents contrôles médicaux (entre autres un examen urologique). Dans ce cas, la présence permanente du personnel d’accompagnement a également été jugé non conforme au principe de proportionnalité. Ceci a donné au détenu le sentiment d’être soumis à un traitement arbitraire, d’infériorité et d’angoisse, dépassant le sentiment d’invasivité inévitable lié à l’examen médical lui-même, ce qui doit être considéré comme un traitement humiliant au sens de l’article 3 CEDH. Dans son jugement, la Cour européenne des Droits de l’Homme s’est également basée sur les Recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture (CTP), selon lesquelles les contrôles et les soins médicaux devraient être effectués de manière générale sans la présence de gardiens – sauf dans des cas isolés où le médecin-traitant le demanderait.
Renversement du fardeau de la preuve
Dans les arrêts Gladović c. Croatie (recours n° 28847/08) et Predică c. Romania (recours n° 42344/07), la Cour européenne des Droits de l’Homme met à nouveau en évidence que c'est à l'Etat de supporter le fardeau de la preuve en cas d'appréciation d’allégations de mauvais traitement. L'Etat doit prouver par des arguments concluants qu'il n'est pas à l'origine des restrictions ayant affecté la santé du détenu pendant la détention. Dans le cas où il est effectivements à l'rorigine de ces restrictions, il lui revient de prouver qu’elles ont été infligées dans le cadre de légalité. A savoir, s’il y a eu usage de la force par un organe de l’Etat, que celui-ci n’a pas été excessif et ne représente aucune violation de l’article 3 CEDH. Dans ce sens, c’est à L’Etat qu’il incombe de fournir une explication plausible et satisfaisante, ceci particulièrement si une personne jusque-là considérée comme bien-portante, se retrouve blessée ou décède lors de sa détention.
Le renversement du fardeau de la preuve émane de l'obligation de l'Etat d'effectuer une enquête officielle effective dès qu'il prend connaissances d'allégation de mauvais traitement pendant la détention. Cette enquête doit satifaire aux exigences de l’indépendance, de l’impartialité et de la transparence. L’instance chargée de l’enquête doit agir sans tarder avec un soin exemplaire et prendre toutes les mesures raisonnables possibles pour apporter les preuves nécessaires. L’Etat ne doit pas, par exemple, se contenter de s’appuyer uniquement sur les dépositions du personnel carcéral, alors qu’il aurait été possible de prendre également en considération d’autres preuves, telles des déclarations des témoins ou des expertises médicales (cf. Predică v. Romania).
Dans l’Arrêt Gladović c. Croatie, la Cour européenne des Droits de l’Homme a par ailleurs précisé que le devoir d'enquête de l'Etat demeure tout aussi valide en cas d'allégations de mauvais traitement provenant d'un détenu présentant des problèmes psychiques. Les critères restent également les mêmes.
Isolement cellulaire et détention de haute sécurité
La Cour européenne des Droits de l’Homme, dans l’arrêt Csüllög c. Hungary (recours n° 30042/08), confirme sa jurisprudence en matière d’isolement cellulaire. En raison des conséquences négative potentielles qu'il peut avoir sur la personnalité de l'individu, l'isolement cellulaire ne peut être appliqué, en dépit de l’article 3 CEDH, que dans des cas exceptionnels et justifiés et sa durée ne peut être que limitée. Ceci est également valable dans le cas des prisonniers dangereux. Une détention dans une cellule isolée, sans aucune possibilité de lien social, représente toujours un traitement inhumain en soi, qui ne peut être justifié ni par des exigences de sécurité, ni par d’autres raisons.
De surcroît, un détenu doit être suffisamment informé sur les raisons de son isolement, désigné par la Cour européenne des Droits de l’Homme comme «emprisonnement à l’intérieur de la prison». Il doit également être informé de son éventuel prolongement, afin d’éviter tout traitement arbitraire. Si l’Etat mésestime ces obligations, il peut provoquer chez le détenu un sentiment d’insoumission, de dépendance totale, d’impuissance et, par conséquent, d’humiliation. Ce traitement relève ainsi du domaine d’application de l’article 3 CEDH.