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Maternité de substitution : la perspective des droits humains

Une pratique à juger à l'aune de l’intérêt supérieur et des droits de l’enfant

Abstract

Auteures : Christina Hausammann, Nicole Hitz Quenon

Publié le 11.05.2015

Pertinence pratique :

  • La maternité de substitution est interdite en Suisse, comme dans la plupart des pays européens, ce qui n’empêche pas nos autorités de reconnaître un lien de filiation établi à l’étranger.
  • Lorsqu’un cas de maternité de substitution se pose, il faut respecter les droits de toutes les parties prenantes et, en tout premier lieu, ceux de l’enfant (notamment le droit au respect de la vie privée et familiale, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit à connaître ses origines et la protection contre la traite des enfants).
  • En vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH), l’article 8 CEDH (intérêt supérieur de l’enfant, garantie des relations familiales de l’enfant, droit à l’identité et à connaître ses origines) fonde le droit de l’enfant à la reconnaissance de la filiation avec les parents d’intention s’il est uni à ceux-ci par un lien biologique. Les autorités ne peuvent refuser cette reconnaissance en invoquant l’ordre public. Les modalités de l’interdiction de la maternité de substitution ne doivent pas entraîner de graves conséquences pour l’enfant.
  • Toute ingérence dans la vie familiale entre les parents d’intention et l’enfant né d’une mère de substitution, n’est licite que lorsque le bien de l’enfant est en danger; la réserve de l’ordre public ne constitue pas de motif suffisant en l’espèce.
  • Selon le droit international privé, la Suisse doit reconnaître les actes de naissance établis en bonne et due forme à l’étranger dans la mesure où les requérant-e-s produisent une déclaration de renonciation dûment signée par la mère porteuse et son conjoint.
  • Le droit de l’enfant de connaître son origine doit être garanti lors d'une maternité de substitution. Si le Tribunal administratif de Saint-Gall a tracé une voie à cette fin, son arrêt doit toutefois encore être examiné par le Tribunal fédéral.
  • Les efforts en cours à l’échelon européen et international pour s’attaquer aux problèmes inhérents à la maternité de substitution et pour formuler une réglementation internationale pourraient garantir, à l’avenir, le respect des droits humains de toutes les parties intéressées.

Introduction

Selon les termes de la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA), une mère de substitution est «une femme qui accepte de porter un enfant conçu au moyen d’une méthode de procréation médicalement assistée et de le remettre définitivement à des tiers après l’accouchement» (art. 2, let. k, LPMA). De la sorte, l’enfant né d’une maternité de substitution peut avoir trois mères : la mère de substitution qui est souvent aussi nommée «mère porteuse», la mère d’intention et la mère génétique (la donneuse d’ovule). Si l’ovule provient de la mère d’intention, celle-ci et la mère génétique sont une seule et même personne. De même, la maternité de substitution peut faire intervenir deux ou trois pères: le conjoint de la mère de substitution si celle-ci en a un (du fait de la présomption légale de paternité), le père d’intention et, si celui-ci n’est pas aussi le donneur de sperme, un donneur de sperme anonyme.

Cet état de fait dépasse la conception régnant habituellement dans notre système juridique – qui part du principe que l’on peut toujours déterminer avec certitude qui est la mère de l’enfant («mater semper certa est» ; voir les art. 252 et suiv. CC) – et soulève non seulement des interrogations éthiques, mais aussi de nombreuses questions juridiques délicates. Si la filiation avec les parents d’intention n’est pas reconnue, il est possible que l’enfant soit juridiquement orphelin et par conséquent privé tant d'une nationalité que de la possibilité de connaître son origine.

Si la maternité de substitution est interdite dans la plupart des pays européens, certains Etats, comme les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne, l’autorisent lorsqu’elle est désintéressée et n’a pas de but commercial, tout en l’assortissant de conditions strictes. D’autres pays encore la tolèrent sans avoir légiféré dans le domaine (comme la Belgique ou la Pologne) ou autorisent sa pratique par des sociétés ad hoc (comme la Russie et l’Ukraine). Enfin, la maternité de substitution est explicitement autorisée à des fins commerciales dans plusieurs Etats des Etats-Unis d’Amérique.

En dépit de l’interdiction, il existe en Suisse une demande pour des mères de substitution: des couples toujours plus nombreux, qui ne peuvent pas avoir d’enfants ou ne remplissent pas les conditions pour adopter, se rendent à l’étranger pour réaliser leur désir d’avoir un enfant. Il s’agit en particulier de couples homosexuels, à qui la loi sur le partenariat (art. 28 de la Loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe) interdit l’adoption par principe.

En 2013, le Service social international (SSI) estimait à 20 000 par an déjà le nombre d’enfants qui naissent d’une mère de substitution dans le monde, la tendance étant à la hausse. Nous ne disposons pas de chiffres pour la Suisse. Dans le rapport sur la maternité de substitution qu’il a rédigé en 2013 en réponse au postulat Fehr, le Conseil fédéral indique qu’il a connaissance de dix cas qui ont été consignés dans un dossier et que les médias en ont signalés d’autres, comme ceux rapportés en 2012 par deux organismes de médiation ukrainiens qui ont indiqué avoir pris en charge l’un une cinquantaine, l’autre plusieurs douzaines de parents d’intention suisses. Le Conseil fédéral suppose donc que les cas non déclarés sont nombreux. Selon son rapport, les jeunes couples avec un enfant né à l’étranger peuvent généralement entrer en Suisse sans difficulté et les autorités ne mettent en cause le lien de filiation que lorsque des indices concrets le justifient (lorsque, par exemple, l’acte de naissance ne mentionne pas le nom de la mère, mentionne deux mères ou une mère ayant manifestement dépassé l’âge de procréer ou lorsque la mère supposée présente un visa indiquant qu’elle aurait effectué un long voyage en avion deux semaines avant la date présumée de l’accouchement). Parmi les pays où se rendent les parents d’intention suisses, le rapport mentionne la Géorgie, l’Inde, l’Ukraine et les Etats-Unis, ainsi que l’Afrique du Sud et la Russie.

La maternité de substitution et les droits humains

La maternité de substitution soulève diverses questions liées aux droits humains. Tant la mère de substitution que les parents d’intention peuvent invoquer leur droit à disposer d’eux-mêmes, reconnu en particulier à l’art. 17 du Pacte II de l’ONU et à l’art. 8 CEDH ainsi que le droit à la reproduction, qui doit être garanti sans discrimination. Les conventions sur les droits humains ne garantissent en revanche pas le droit d’avoir un enfant.

Dans la perspective des droits humains, on s’intéresse avant tout aux droits de l’enfant tels qu’ils figurent explicitement dans la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE). Une importance particulière est accordée au droit de l’enfant de connaître son origine (art. 7 CDE et, selon la jurisprudence de la CourEDH, art. 8 CEDH) et à la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les procédures qui le concernent (art. 3 CDE). Le droit de l’enfant d’acquérir une nationalité (art. 7 CDE) joue également un rôle, tout comme celui de ne pas être séparé de ses parents (art. 9 CDE), sauf, en dernier recours, lorsque son bien-être est menacé. Le principe de ne pas être séparé de ses parents s’applique lorsqu’un Etat retire l’enfant à ses parents d’intention et le place auprès d’un tiers en alléguant que ces derniers ont commis une infraction en ayant recours à une maternité de substitution à l’étranger. Il s’agit également de protéger tant l’enfant que la mère de substitution de toute forme d’exploitation.

La maternité de substitution a fait l’objet d’un examen notamment de la part du Comité des droits de l’enfant de l’ONU et de la Cour européenne des droits de l’homme, qui se sont penchés non tant sur la question de la maternité de substitution en soi que sur la situation de l’enfant, abordant de façon marginale les droits de la mère porteuse et sa protection contre l’exploitation.

Observations finales du Comité des droits de l’enfant

Le Comité des droits de l’enfant s’est exprimé sur la maternité de substitution dans les observations finales qu’il a formulées à la suite de l’examen des rapports des Etats-Unis, d’Israël, de l’Inde, des Pays-Bas et, plus récemment, de la Suisse. Les recommandations du Comité, qui varient selon la législation nationale, portent notamment sur la distinction à faire entre maternité de substitution et traite des enfants, sur le soutien et les conseils à dispenser aux mères de substitution et aux parents d’intention ou encore sur la réglementation des questions financières et du statut juridique de l’enfant dans le pays des parents d’intention.

C’est, pour autant que l’on sache, en 2009 que le Comité des droits de l’enfant s’est exprimé pour la première fois sur la maternité de substitution: en examinant le rapport présenté par les Pays-Bas (CRC/C/NLD/CO/3), il a manifesté son inquiétude pour le respect des droits de l’enfant dans les cas d’adoption illégale et, plus précisément, de maternité de substitution. En 2013, le Comité a enjoint (CRC/C/ISR/CO/2-4) au législateur israélien de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale et que celui-ci ait accès aux informations sur ses origines. Il a aussi recommandé à Israël d'envisager de fournir un accompagnement adapté aux mères porteuses et aux parents d’intention. La même année, s’agissant des Etats-Unis (CRC/C/OPSC/USA/CO/2), le Comité s’est exprimé sur la maternité de substitution lorsqu’il a examiné la mise en œuvre du Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et a défini des lacunes à combler dans la législation applicable. Il a précisé que notamment le versement d’un dédommagement financier à la mère de substitution avant la naissance favorisait la vente d’enfants. Le Comité a aussi soulevé la question de la précarité des mères de substitution dans les observations finales qu’il a adressées à l’Inde en 2014 (CRC/C/IND/CO/3-4), critiquant le vide juridique favorisant la vente d’enfants et l’atteinte à leurs droits. Les recommandations faites à la Suisse seront abordées plus avant.

Arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme

Jusqu’ici, la CourEDH a statué à trois reprises sur la maternité de substitution. Dans trois autres affaires actuellement en cours à Strasbourg, concernant toutes la France, les requérant-e-s demandent que soit reconnu leur lien de parentalité avec un enfant né à l’étranger d’une mère de substitution.

Dans les affaires Mennesson c. France et Labassee c. France, deux couples ont saisi la Cour après avoir recouru à la maternité de substitution aux Etats-Unis et obtenu respectivement deux et un enfant. Dans les deux cas, le père d’intention était aussi le père génétique et l’ovule provenait d’une donneuse anonyme. Les parents d’intention ont été inscrits comme parents dans le registre des naissances de la Californie dans le premier cas et du Minnesota dans le second et tous les enfants ont obtenu la nationalité américaine. Les autorités françaises ont ensuite refusé de reconnaître les actes de naissance établis outre-Atlantique en invoquant l’ordre public et l’interdiction de la maternité de substitution en France, et ont demandé l’annulation de la retranscription des actes de naissance sur les registres de l’état civil français. La CourEDH a rejeté la requête présentée par les parents d'intention qui concluaient à la violation de l’art. 8 CEDH, car ceux-ci n’ont pas pu prouver dans quelle mesure le refus d’inscrire les enfants lésait leur droit à la vie familiale. Néanmoins, invoquant l’intérêt supérieur de l’enfant, principe suprême à respecter en toutes circonstances (Mennesson, ch. 99 ; Labassee, ch. 60), elle a considéré que les droits de l’enfant découlant de l’art. 8 CEDH, en particulier son droit à l’identité, avaient été lésés.

S’agissant de la question de savoir si la maternité de substitution est compatible avec la CourEDH ou si son interdiction contrevient à la convention, la CrEDH concluait que, puisqu’il n’y avait pas de consensus à ce sujet au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, chaque Etat disposait d’une large marge d’appréciation pour trancher ces délicates questions morales et éthiques. Cette marge est toutefois restreinte dès lors qu’une prohibition nationale porte préjudice à un aspect important de l’existence ou de l’identité de l’enfant, garanti par l’art. 8 CEDH (Labassee, ch. 56 et suiv.). Dans le cas concret, la Cour a conclu à l’existence de ce préjudice, notamment parce que la prohibition de la maternité de substitution empêche l’enfant d’acquérir la nationalité française et le prive de sa qualité d’héritier, et a accepté la requête de l’enfant déposée pour violation de l’art. 8 CEDH.

Dans l’affaire Paradiso et Campanelli c. Italie, la CourEDH a examiné la requête de parents d’intention d’un enfant qui est né d’une mère de substitution en Russie en 2011 et avec lequel il n'avaient pas de lien biologique. Invoquant l’ordre public, les autorités italiennes n’ont pas reconnu l’inscription aux registres des naissances réalisée conformément à la législation russe, reprochant aux parents d’intention d’avoir voulu contourner les dispositions régissant l’adoption. Elles ont alors retiré l’enfant âgé de neuf mois aux parents, l’ont mis sous tutelle et confié à une famille d’accueil, avant de le réinscrire dans le registre des naissances, avec la mention «parents inconnus».

Dans son arrêt, la CourEDH s’est bornée à s’interroger si le retrait et le placement de l’enfant étaient conformes à l’art. 8 CEDH.

La Cour de Strasbourg a précisé qu’un acte contraire à l’ordre public ne saurait justifier l’éloignement de l’enfant, sans quoi ce principe constituerait une porte ouverte à toutes sortes de mesures. Rappelant sa jurisprudence constante, elle a estimé que cet éloignement constituait une mesure disproportionnée au vu de la grave atteinte à la vie familiale qu’elle suppose et que l’on ne peut y avoir recours que lorsque l’enfant est exposé à un grave danger (ch. 80 et suiv.). Les Etats sont donc tenus de tout entreprendre pour protéger les relations familiales. Bien qu’elle ait conclu à une violation de l’art. 8 CEDH, la Cour a toutefois précisé que son arrêt ne signifie pas que l’Etat italien doive remettre l’enfant aux parents d’intention, ce dernier ayant développé des liens affectifs avec la famille d’accueil chez laquelle il vit depuis 2013.

En dépit des nombreux aspects qui restent à préciser, force est de constater que la prohibition de la maternité de substitution n’est pas nécessairement contraire à la CEDH dans l’opinion de la Cour, à condition toutefois que ses modalités n’entraînent pas de graves conséquences pour l’enfant. Tout laisse supposer que les juges de Strasbourg accepteraient qu’un Etat prononce des sanctions pénales contre ceux qui contournent l’interdiction, mais pas que l’enfant en subisse de graves préjudices, découlant par exemple de la non-reconnaissance de sa filiation envers des parents auxquels il est uni par un lien biologique. Nous pouvons dès lors conclure que l’enfant ayant un lien génétique avec l’un de ses parents d'intention possède un droit fondamental à ce que l’Etat reconnaisse sa filiation, mais que la portée de ce droit n’est pas entièrement claire.

La maternité de substitution et la Suisse

Régime juridique

La Constitution fédérale suisse interdit la maternité de substitution (art. 119, al. 2, let. d Cst), une prohibition confirmée par l’art. 4 de la loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA). En vertu de l’art. 31 LPMA, est punissable quiconque applique une méthode de procréation médicalement assistée à une mère de substitution ou sert d’intermédiaire à cette pratique.

Dans les grandes lignes, l’enfant né à l’étranger d’une mère de substitution a le statut juridique suivant: en droit suisse, c’est toujours la femme qui a donné naissance à l’enfant qui est sa mère (voir art. 252 CC). La filiation ne peut ainsi résulter que de l’adoption en l’absence de lien génétique ou, lorsque le père est le père génétique de l’enfant, de la reconnaissance de paternité. Quant à la mère d’intention, elle n’obtient la parentalité que par l’adoption de l’enfant du conjoint ou du partenaire, et cela même lorsqu’elle est la mère génétique de l’enfant. Par ailleurs, la législation en vigueur interdit l’adoption (y compris de l’enfant du partenaire) aux couples homosexuels (art. 28 de la loi sur le partenariat). Toutefois, le père génétique peut, même s’il forme un couple homosexuel, faire reconnaître sa paternité.

Une filiation établie à l’étranger à la suite du recours à une mère de substitution peut cependant être reconnue en Suisse en vertu de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP). Dans l’expertise qu’il a consacrée à la constitutionnalité de la reconnaissance de décisions étrangères, l’Office fédéral de la justice a conclu que la prohibition de la maternité de substitution par l’art. 119 Cst ne s’opposait pas à la reconnaissance de décisions étrangères en matière de filiation fondée sur un contrat de maternité de substitution (voir l’expertise en annexe au rapport du Conseil fédéral sur la maternité de substitution, pp. 40 et suiv.).

Tant que la démarche d’adoption n’a pas abouti, l’enfant a le statut d’un enfant placé, bien que le rapport du Conseil fédéral sur la maternité de substitution précise que le retrait de l’enfant ne peut être envisagé que si l’enfant est exposé à un danger pressant et durable.

Dans les recommandations qu’il a adressées à la Suisse en janvier 2015, le Comité des droits de l’enfant s’est dit préoccupé par le caractère incertain du statut juridique de l’enfant pendant l’année précédant l’achèvement du processus d’adoption. Il a ainsi conseillé à la Suisse d’accélérer cette phase d’évaluation et de veiller à ce que l’enfant ne soit pas apatride et ne fasse pas l’objet de discriminations pendant la période allant de son arrivée en Suisse à son adoption officielle (CRC/C/CHE/CO/2-4, ch. 50).

Arrêt du Tribunal administratif du canton de Saint-Gall

Le Tribunal administratif du canton de Saint-Gall s’est livré à un examen approfondi de la question de la reconnaissance d’un enfant né aux Etats-Unis d’une mère de substitution. Il s’agissait de l’enfant de deux hommes vivant en partenariat enregistré, conçu d’un ovule provenant d’une donneuse anonyme et du sperme de l’un des deux partenaires.

Le service des naturalisations et de l’état civil du canton de Saint-Gall avait rejeté la demande du couple d’inscrire l’enfant à l’état civil et de reconnaître leur paternité. Il avait toutefois admis que l’enfant continue à vivre auprès des parents, et que ceux-ci subviennent à ses besoins et l’éduquent. Le 10 juillet 2013, le Département de l’intérieur du canton de Saint-Gall a accepté le recours du couple, mettant en avant l’intérêt supérieur de l’enfant, et ordonné au service de l’état civil de reconnaître la paternité des requérants et de l’inscrire à l’état civil. La Confédération suisse, représentée par l’Office fédéral de la justice, a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif du canton de Saint-Gall.

Le Tribunal administratif de Saint-Gall a quant à lui estimé que la reconnaissance de l’acte de naissance californien et du jugement californien sur la maternité de substitution ne portait pas atteinte à l’ordre public suisse, même si, pour réaliser son vœu d’avoir un enfant, le couple avait contourné deux interdictions, celle de la maternité de substitution, inscrite dans la Constitution, et celle du don d’ovule, inscrite dans la loi. En ce qui concerne l’interdiction, pour les partenaires enregistrés, d’adopter un enfant ou d’adopter l’enfant de leur partenaire, stipulée à l’art. 28 de la loi sur le partenariat et à l’art. 264a CC, le Tribunal relevait que la Suisse reconnaît déjà les adoptions faites à l’étranger par des partenaires enregistrés, en vertu de l’art. 78 LDIP. Il faisait ensuite référence au message du Conseil fédéral, qui souhaite étendre l’adoption des enfants du partenaire aux couples en partenariat enregistré et également aux personnes menant de fait une vie de couple, qu’elles soient de même sexe ou non [voir le message du Conseil fédéral concernant la modification du code civil (Droit de l’adoption), FF 2015 835. Dans l’intérêt de l’enfant et afin de préciser et d’harmoniser le cadre juridique, le Tribunal saint-gallois estimait qu’il fallait reconnaître la filiation, en application de la LDIP. Il ajoutait qu’un refus généralisé de reconnaître cette filiation (par exemple en n’inscrivant que les parents de substitution dans le registre de l’état civil) pourrait être contraire à l’interdiction de discriminer et au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant ancrés dans la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant. Avec un tel refus, l’enfant aurait, en Suisse, une parentalité juridique différente de sa parentalité sociale, et n’aurait pas, du point de vue juridique, les mêmes parents en Suisse qu’aux Etats-Unis. De plus, les parents de substitution, qui ont renoncé à tout droit et devoir envers l’enfant et n’ont plus aucun type de contact ou de lien avec lui, seraient contraints à accepter ce lien de parentalité, alors qu’ils y ont renoncé de manière valable aux Etats-Unis. Par ailleurs, en inscrivant les parents de substitution dans le registre de l’état civil et en en faisant les parents légaux, on pourrait mettre en péril le droit de séjour de l’enfant en Suisse. Afin de sauvegarder le droit de l’enfant à connaître ses origines, reconnu à l’art. 119, al. 2, let. g Cst, à l’art. 27 LPMA, à l’art. 268c CC, à l’art. 7, al. 1 CDE et à l’art. 8 CEDH, le Tribunal a ordonné au service de l’état civil de relever toutes les informations nécessaires pour pouvoir en tout temps établir l’origine de l’enfant. A savoir l’identité du père génétique, de la mère de substitution (y compris son domicile, la date et le lieu de naissance) et l’indication que la mère génétique est une donneuse d’ovule anonyme.

Le jugement n’est pas entré en force pour l’instant, car le Tribunal fédéral doit encore se prononcer.

Perspectives: reconnaître la filiation malgré l'interdiction?

Les Etats qui, comme la Suisse, interdisent la maternité de substitution se trouvent dans une impasse. S’ils reconnaissent le lien de parentalité entre le couple et l’enfant né d’une maternité de substitution, ils acceptent que le droit interne ait été contourné et remettent ainsi en question cette interdiction. Une application systématique de l'interdiction du recours à une mère de substitutions léserait, en revanche, les droits de l'enfant.

Le débat en cours actuellement en Suisse sur la manière de traiter les maternités de substitution faites à l’étranger va dans la bonne direction en cela qu’on y reconnaît que l’élément central menant à la reconnaissance d’une filiation avec un enfant né d’une mère de substitution doit être l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le Tribunal fédéral doit cependant encore se prononcer, et de nombreuses questions sont en suspens. En particulier, il reste à trancher la question de savoir comment il faut agir, en l’état, pour respecter le droit de l’enfant à connaître ses origines. Or, ce n’est qu’en veillant à la clarté et à la transparence des informations relatives à l’origine de l’enfant que l’on garantira ce droit, et l’arrêt du Tribunal administratif du canton de Saint-Gall fournit en la matière des pistes pour parvenir à une solution à l’échelle suisse.

En 2013, la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine a appelé de ses vœux la levée de l’interdiction de la maternité de substitution en Suisse, tout en émettant des doutes quant à la possibilité d’encadrer cette démarche d’une manière acceptable, afin d’assurer une protection adéquate de toutes les personnes concernées, vu les dangers de commercialisation de cette pratique.

Cette problématique dépassant les frontières nationales, des solutions doivent être recherchées à l’échelle internationale. Le Conseil de l’Europe, et en particulier la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH), se penchent sur la maternité de substitution et sur les aspects liés à l’éthique et aux droits humains qu’elle soulève (voir les indications figurant dans le rapport du Conseil fédéral sur la maternité de substitution, p. 33 et suiv.) Il faudra toutefois encore patienter avant qu’une convention ou un protocole international règle la question.

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