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Une privation de liberté à perpétuité incompressible viole l’art. 3 CEDH

EGMR-Urteil Vinter and Others v. The Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Vinter et autres c. Royaume-Uni Kingdom

Abstract

Auteure : Anja Eugster

Publié le 18.09.2013

Pertinence pratique :

  • Une condamnation à une privation de liberté à perpétuité ne constitue pas une violation de l’art. 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) à condition qu’elle reste compressible de facto et de jure.
  • Pour être compatible avec l’art. 3 CEDH, toute peine de réclusion à perpétuité doit offrir une possibilité de réexamen et une perspective de libération.
  • L’internement à vie selon l’art. 64c CP doit être examiné sous l’angle de ces principes de base. Il reste à déterminer s’il répond aux exigences de l’art. 3 CEDH. Il n’existe aucune réponse définitive à cette question.
  • Une fois condamnée à une peine ou à une mesure de réclusion à perpétuité incompressible, toute personne pourra faire constater une violation de l’art. 3 CEDH pour absence de perspective de libération.

Situation de départ de l’arrêt CEDH

En Angleterre et au pays de Galles, l’assassinat est puni obligatoirement par une peine de réclusion à perpétuité. En outre, en cas d’infraction d’une gravité exceptionnelle, une peine de perpétuité réelle (whole life order) peut être prononcée, qui exclut toute libération anticipée. Jusqu’en 2003, le Secretary of State fixait la période minimale d’emprisonnement et menait un réexamen au bout de 25 ans. Le Criminal Justice Act 2003 est cependant venu mettre un terme à ce système, le gouvernement anglais justifiant l’introduction du Criminal Justice Act 2003 au motif que l’exécutif ne devait plus s’impliquer dans le processus de décision relatif aux peines de réclusion à perpétuité. Il relève à présent certes toujours de la compétence du Secretary of State de décider si, exceptionnellement et pour des raisons humanitaires, une libération peut être prononcée. Toutefois, le Prison Service Order précise les conditions auxquelles le détenu peut bénéficier d’un élargissement: en cas de maladie mortelle en phase terminale ou d’invalidité grave.

Les trois requérants, pour lesquels avait été prononcé un whole life order, ont fait valoir devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) que, leurs peines n’offrant aucune perspective de libération, elles représentaient un traitement cruel et dégradant.

Arrêt de la CEDH

Une privation de liberté à perpétuité incompressible

La Grande Chambre souligne tout d’abord que toute peine nettement disproportionnée doit s’analyser en un mauvais traitement contraire à l’art. 3 CEDH, rappelant que ce genre de cas est extrêmement rare. Selon la jurisprudence de la CEDH, les Etats contractants doivent se voir reconnaître une marge d’appréciation pour déterminer la durée adéquate des peines d’emprisonnement. Par conséquent, les Etats pourraient prononcer une privation de liberté à perpétuité en cas d’infraction d’une gravité particulière, sans contrevenir à l’art. 3 CEDH.

La Cour confirme ensuite son point de vue exprimé dans un précédent arrêt, selon lequel une condamnation à une privation de liberté à perpétuité incompressible peut soulever des questions sous l’angle de l’art. 3 CEDH (cf. CEDH, Kafkaris c. Chypre, requête N° 21906/04). La Grande Chambre souligne cependant que le simple fait qu’une peine de réclusion à vie puisse en pratique être purgée dans son intégralité ne la rend pas incompressible. Tant qu’elle est compressible de jure et de facto, elle ne soulève aucune question par rapport à l’art. 3 CEDH.

Possibilité d’un réexamen d’une privation de liberté à perpétuité et perspective de libération

Pour ne pas constituer une peine incompressible, une privation de liberté à perpétuité doit offrir à la fois une chance de remise en liberté et une possibilité de réexamen. Une des raisons est qu’une personne ne peut être privée de sa liberté que si motifs légitimes - la sanction, la dissuasion, la protection de l’ordre public et la réinsertion - le justifient.

Ce n’est qu’au travers d’un réexamen mené par les autorités, après une période déterminée, qu’il est possible d’établir si le détenu a évolué et progressé sur le chemin de l’amendement d’une manière telle qu’aucun motif légitime ne permet plus de justifier son maintien en détention. Ces principes sont clairement encouragés dans les droits européen et international ainsi que dans la pratique des Etats contractants. Ainsi, la grande majorité des Etats ne connaissent pas de privation de liberté à perpétuité ou garantissent un premier réexamen dans un délai de 25 ans.

En outre, selon les termes de la Cour, une peine n’offrant aucune perspective de libération, indépendamment de l’infraction commise, ne serait pas compatible avec le respect de la dignité humaine.

Constatation immédiate d’une violation de l’art. 3 CEDH

Enfin, la Grande Chambre de la CEDH a établi qu’un détenu condamné à la perpétuité réelle ne devait pas être obligé d’avoir passé un nombre indéterminé d’années en prison avant de pouvoir invoquer une violation de l’art 3 CEDH mais pourrait le constater au moment de la condamnation. Un détenu condamné à la perpétuité a le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu’il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont les conditions applicables, ainsi que le moment où le réexamen de sa peine aura lieu ou pourra être sollicité.

Violation de l’art. 3 CEDH sans perspective de libération imminente

Par conséquent, la Grande Chambre de la CEDH constate que les peines d’emprisonnement à vie des requérants ne sont pas compatibles avec l’art. 3 CEDH et conclue par neuf voix contre une à une violation de celui-ci. Elle justifie cette décision d’une part en raison de l’absence de mécanisme de réexamen, celui-ci ayant été supprimé en 2003 avec l’introduction du whole life order. D’autre part, la Grande Chambre reconnaît que le Secretary of State pourrait exercer sa compétence en matière de libération d’une personne détenue pour raisons humanitaires de telle sorte qu’elle soit compatible avec l’art. 3 CEDH; toutefois, elle établit également qu’il règne un manque de clarté juridique en raison du règlement fixé dans le Prison Service Order.

La CEDH souligne toutefois que le constat de violation de l’art. 3 CEDH ne saurait être compris comme donnant aux requérants une perspective de remise en liberté imminente. Une telle perspective dépend de la présence ou non de motifs légitimes et du besoin de maintenir le détenu en détention pour des raisons de dangerosité.

Situation en Suisse

Cet arrêt a-t-il des conséquences sur la situation juridique en vigueur en Suisse et tout particulièrement sur les règlements régissant l’internement à vie comme mesure pénale? Il convient tout d’abord de noter que l’exposé de la CEDH est valable aussi bien pour les peines privatives de liberté que pour les mesures privatives de liberté. En effet, quelle que soit la terminologie adoptée par les différents pays, il s’agit toujours d’une privation de liberté à perpétuité.

La réglementation en vigueur en Suisse dans l’art. 64c CP relatif à l’internement à vie a fait, jusqu’à présent, l’objet de critiques dans la doctrine notamment au regard de l’art. 5 al. 4 CEDH. Cette disposition garantit aux personnes détenues ou internées le droit de faire réexaminer, en tout temps, par un tribunal la légalité de leur privation de liberté et d’exiger leur libération si plus aucun motif ne la justifie. L’arrêt Vinter pose à présent la question d’une éventuelle violation de l’art. 3 CEDH par la réglementation en vigueur.

Déjà en 2012, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) avait fait part de ses profondes préoccupations, dans son rapport sur la Suisse, concernant l’introduction prévue de l’internement à vie pour les personnes internées dans le Code pénal suisse. Il considérait comme inhumain de détenir une personne à vie sans perspective de libération. A plusieurs reprises, la CEDH a exprimé explicitement cet avis dans son arrêt et a établi que chaque personne en détention devait bénéficier de possibilités de réinsertion et d’une perspective de libération (conditionelle).

Selon l’art. 64c CP, «en cas d'internement à vie [...], l'autorité compétente examine, d'office ou sur demande, si de nouvelles connaissances scientifiques pourraient permettre de traiter l'auteur de manière qu'il ne représente plus de danger pour la collectivité.» Si un traitement a fonctionné «au point que l’il ne présente plus de danger pour la collectivité, le juge lève l'internement à vie.» Le juge peut aussi décider de «libérer conditionnellement de l'internement à vie l'auteur, qui, à cause de son âge, d'une maladie grave ou pour une autre raison, ne représente plus de danger pour la collectivité.»

Les dispositions du droit suisse rendent ainsi possibles l’examen et la levée de l’internement à vie, même si ces décisions sont soumises à des conditions très restrictives. Toutefois, la question de savoir si ces dispositions sont suffisantes pour être compatibles avec l’art. 3 CEDH, reste sujette à caution, et ce pour les raisons suivantes:

  • L’examen de l’internement à vie est prévu par le CP lorsque de nouvelles connaissances scientifiques indiquent qu’un traitement se révèle possible. Selon les termes de l’art. 64c CP, les progrès lors de la réhabilitation, que les personnes internées accomplissent au moyen de leurs propres efforts, ne peuvent par conséquent pas être pris en compte dans la décision de libération, et ce même si la personne internée ne représente plus un danger et qu’aucune raison ne justifie donc l’internement.
  • La libération conditionnelle peut en Suisse – à l’instar de l’Angleterre et du pays de Galle – être prononcée en raison de l’âge avancé ou d’une maladie grave. Mais également si l’auteur, «pour une autre raison, ne représente plus de danger pour la collectivité». Les progrès personnels de la personne internée pourraient donc ici être pris en compte. Il ne ressort cependant pas clairement du CP dans quels cas une libération conditionnelle directe s’avère possible. Au regard de l’arrêt de la CEDH discuté plus haut, se pose par conséquent la question de savoir si les dispositions suisses sont suffisamment claires pour être compatibles avec l’art. 3 CEDH.

La question de savoir si, au vu de ce doute, l’art. 64c CP est compatible avec l’art. 3 CEDH, pourrait se poser dans un avenir proche pour les tribunaux suisses de tout niveau, étant donné que selon l’arrêt de la CEDH, une violation de l’art. 3 CEDH pourrait être invoquée au moment du jugement déjà en raison de l’absence de perspective de libération.

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