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Le personnel des ambassades a également le droit d’être entendu dans le cadre des litiges de droit du travail
La Cour européenne des droits de l’homme: Arrêt Sabeh el Leil c. France (Recours n° 34869/05)
Abstract
Auteure : Evelyne Sturm
Pertinence pratique :
- Les personnes employées auprès des représentations étrangères qui ne possèdent pas la citoyenneté respective et qui n’exercent pas de fonction régalienne ont le droit à ce que leur litige de droit du travail soit jugé par un tribunal.
- Le recours à l’immunité étatique mène à une restriction excessive de l’art. 6 al. 1 CEDH.
- Cet arrêt respecte la pratique du Tribunal fédéral concernant l’immunité étatique (p. ex. l’ATF 120 II 400), selon laquelle le personnel des ambassades exerçant une fonction subalterne et ne possédant pas la citoyenneté respective ne jouit pas de l’immunité, mais étend toutefois la notion d’activité «subalterne» potentiellement à des fonctions administratives plus élevées.
La non-entrée en matière sur une demande en justice d’un ancien employé de l’Ambassade du Koweït à Paris contre son licenciement représente une violation du droit à ce que sa cause soit entendue au sens de l’art. 6 al. 1 CEDH. Dans l’Arrêt Sabeh el Leil c. France (Recours n° 34869/05), la CEDH a admis le recours d’un citoyen français qui, après 20 années de service en tant que comptable auprès de l’Ambassade, avait été licencié, et pour lequel le Tribunal français de dernière instance n’était pas entré en matière sur sa demande de dommages et intérêts en raison de l’immunité étatique du Koweït.
Restriction excessive du droit d’être entendu
Tout comme dans l’Arrêt Cudak c. Lituanie (Recours n° 1586/02), la CEDH confirme que le personnel des ambassades, qui ne possède pas la citoyenneté respective et n’exerce pas de fonction régalienne, ne peut se voir refuser le droit d’être entendu dans des contestations de caractère civil par le seul fait de l’immunité étatique. Dans sa motivation, la CEDH renvoie à l’art. 11 de la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens qui préconise l’application du principe du droit international coutumier et exclut l’immunité entre les Etats et le personnel des Missions diplomatiques, sous réserve de certaines exceptions – étendues – énoncées de manière exhaustive. Le recourant, qui n’était ni ressortissant koweïtien, ni comptable diplomatique ou employé de consulat, ne pouvait être soumis à aucune de ces exceptions. Le rejet de sa demande sans motif suffisant représentait dès lors une restriction excessive de son droit d’être entendu.
Réparation
Ce qui est remarquable, c’est la somme de 60'000 euros relativement élevée pour la CEDH que la France a dû payer au recourant à titre de réparation du tort encouru. Quand bien même la Cour met l’accent sur le fait que le dommage à réparer ne concerne que la seule restriction du droit d’être entendu et que l’issue d’une telle procédure serait incertaine, elle a toutefois tenu compte des chances effectives manquées lors du calcul du montant alloué.