Études et rapports

La détention préventive: les normes en matière de droits humains et leur mise en œuvre en Suisse

Étude du domaine thématique Police et justice sur mandat du Comité de pilotage DFAE/DFJP

Publié le 22.06.2015

Résumé

  • La présente étude analyse les normes internationales en matière de détention préventive, ainsi que le cadre légal et la pratique en la matière en Suisse. Elle propose en outre une évaluation sur la base de ces considérations juridiques.
  • Au regard des principes de la présomption d’innocence et de la proportionnalité, la liberté de la personne détenue à titre préventif ne peut être restreinte que dans la mesure nécessaire à la prévention de tout effet non désiré sur la procédure, qu’il s’agisse d’un risque de fuite ou de collusion, ou dans le but d’assurer l’ordre et la sécurité dans les établissements de détention. Cette forme de détention doit au demeurant répondre, autant que faire se peut, aux conditions de liberté quotidiennes.
  • C’est particulièrement dans le domaine des contacts sociaux avec le monde extérieur qu'il existe des différences évidentes entre les cantons. Même dans le cas de personnes détenues en raison d’un risque de fuite, les autorités compétentes de certains cantons prennent des mesures de restriction parfois systématiques et étendues (p. ex. interdiction générale des communications téléphoniques, cycle de visites rigide et séparation systématique des personnes en visite derrière une vitre).
  • L’étude aboutit à des conclusions similaires concernant les contacts sociaux à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire. Dans de nombreux établissements, les personnes détenues à titre préventif passent jusqu’à 23 heures par jour dans leur cellule. Sans compter les promenades effectuées en commun, ce régime correspond aux conditions de l’isolement et n’est, sauf rares exceptions justifiées, pas conforme au droit au regard de l’objectif poursuivi par la détention préventive. Les personnes détenues à titre préventif doivent jouir, à l’intérieur de l’établissement, au moins des mêmes conditions de liberté en matière de contacts sociaux que les personnes condamnées à une peine de prison, et ce au plus tard après la disparition du risque de collusion.
  • Contrairement aux personnes purgeant une peine, les personnes détenues à titre préventif ne sont pas soumises à l’obligation de travailler. Ce principe ne permet toutefois pas de conclure que les personnes condamnées à une peine de prison doivent bénéficier de privilèges – comme cela est régulièrement le cas dans la pratique – dans l’attribution du travail par rapport aux personnes détenues à titre préventif. La détention préventive fluctuant énormément et sa durée étant inconnue, il apparaît certes plus difficile de trouver un travail adapté aux personnes détenues dans le cadre d’une procédure pénale. En cas de durée prévisible de la détention préventive, il n’y a en revanche pas lieu de prétériter systématiquement les personnes détenues à titre préventif dans l’attribution du travail.
  • A l’exception des problèmes – parfois croissants – de surpopulation carcérale qui touchent un nombre limité d’établissements, la situation juridique et la pratique pénitentiaire répondent en Suisse aux dispositions en matière de droits humains et de droits fondamentaux dans les domaines de l’alimentation des personnes détenues, de l’hygiène et de l’équipement des cellules.

Note

Le texte ci-après est un résumé détaillé de l'étude du CSDH. L'étude complète (publiée en allemand) est disponible en PDF en haut.

Contexte de l’étude

Fin 2014, quelque 1900 personnes se trouvaient en détention préventive en Suisse. Plus de 75% d’entre elles étaient âgées de plus de 24 ans, environ 24% étaient âgées entre 18 et 24 ans et seulement 0,7% étaient mineures. Ventilées par sexe, les valeurs présentaient une proportion d’environ 94% de détenus hommes et de 6% de détenues femmes. En outre, la part des étrangères et étrangers en détention préventive s’élevait à 81%, avec toutefois une majorité (57%) d’étrangers sans autorisation de séjour en Suisse. Les centres de détention préventive présentaient par ailleurs une proportion de ressortissants suisses et une proportion de ressortissants étrangers avec autorisation de séjour (18%) à peu près équivalentes. C’est le canton de Genève qui présentait la plus grande population de personnes détenues à titre préventif (445 personnes), suivi par le canton de Zurich (327), de Vaud (239), de Berne (191) et d’Argovie (119).

Présomption d’innocence et principe de proportionnalité: piliers de la détention préventive

Aucun jugement n’ayant encore été prononcé, toute personne détenue à titre préventif est considérée comme non coupable selon le principe de la présomption d’innocence. La détention préventive, décidée dans le cadre d’une procédure pénale, ne peut dès lors se justifier, au regard du principe de la présomption d’innocence, que dans le cas où la personne détenue est non seulement fortement soupçonnée d’avoir commis un délit grave, mais également susceptible de porter atteinte au bon déroulement de la procédure pénale, soit en contrevenant à l’enquête (risque de collusion) soit en se soustrayant à la justice (risque de fuite).

Par ailleurs, au regard du principe de proportionnalité, il apparaît que la liberté des personnes détenues à titre préventif ne peut être restreinte que dans la mesure nécessaire à la prévention de tout effet non désiré sur la procédure, qu’il s’agisse d’un risque de fuite ou de collusion, ou dans le but d’assurer l’ordre et la sécurité dans les établissements de détention. Cette forme de détention doit au demeurant, autant que faire se peut, répondre aux conditions de liberté quotidiennes. Ainsi, des conditions de détention strictes ne peuvent jamais avoir pour objectif d’exercer une influence sur le comportement d’une personne durant la procédure pénale.

Les spécialistes du domaine de l’exécution des peines et mesures considèrent de manière unanime la détention préventive comme la forme de privation de liberté la plus dure qui soit en Suisse. Les cas de suicides durant la procédure préventive et plus généralement les conditions de détention ont ces derniers temps souvent fait les gros titres des médias, ce qui à première vue a de quoi jeter un doute sur le respect des dispositions légales en matière de détention préventive.

Dans ce contexte, la présente étude traite tout d’abord des standards applicables en matière de détention préventive au niveau du droit international et du droit national. Elle s’intéresse également aux dispositions cantonales et aux règlements internes ainsi qu’à la pratique observée dans différents établissements de détention. La réalité carcérale de la détention préventive a ceci de particulier qu’elle est marquée non seulement par l’interprétation des dispositions légales par les directions d’établissement, mais aussi – et notamment en ce qui concerne le contact avec l’extérieur – par les instructions du ministère public.

La détention préventive et les standards légaux

L’étude propose une analyse de la conformité aux droits humains et aux droits fondamentaux des dispositions légales et des conditions réelles de la détention préventive dans différents domaines.

L'étude a notamment mis en lumière les standards légaux suivants en matière de droits humains dans le domaine de la détention préventive:

  • La direction de l’établissement pénitentiaire doit veiller au moment de l’incarcération à ce que la personne détenue soit informée de ses droits et devoirs de manière proactive et si possible dans une langue qu’elle comprenne. En outre, la personne détenue doit le plus tôt possible faire l’objet d’un examen médical afin que soit décidé de l’accompagnement médical nécessaire et que toute accusation de mauvais traitement puisse être évitée. Pour des raisons liées à la protection de la santé, il est interdit de contraindre une personne non-fumeuse de partager une cellule avec une personne fumeuse. Une interdiction de fumer dans tous les espaces fermés de l’établissement représente en revanche une mesure disproportionnée et difficilement conforme au droit.
  • Au regard du principe de la présomption d'innocence, les contacts sociaux avec le monde extérieur revêtent une importance particulière. Notamment dans les cas de personnes incarcérées uniquement en raison d’un risque de fuite, des restrictions strictes en matière de contacts épistolaires ou téléphoniques avec la famille et les proches apparaissent difficilement justifiables. Une organisation rigide du droit de visites (p. ex. exclusivement derrière une vitre de séparation) ne se justifie que dans certains cas exceptionnels et doit être fondée.
  • Il en va de même de la réglementation des contacts sociaux à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire. Une organisation de la détention préventive analogue à celle de l'isolement n'est, sauf rares exceptions, pas conforme au droit au regard de l’objectif poursuivi par la détention préventive. Un enfermement en cellule complet – à l’exception de la promenade quotidienne – n’est en effet considéré comme conforme au droit qu’en cas de phase d’évaluation ou d’observation courte, de difficulté à vivre en groupe ou de menace pour les tiers. En l’absence de tels motifs, les personnes détenues à titre préventif doivent jouir, à l’intérieur de l’établissement, au moins des mêmes conditions de liberté en matière de contacts sociaux que les personnes condamnées à une peine de prison, et ce au plus tard après la disparition du risque de collusion.
  • Afin d’assurer une organisation raisonnable du temps libre des personnes détenues, il convient non seulement d’offrir la possibilité de jouir de contacts sociaux intra muros, mais aussi de bénéficier d’infrastructures pénitentiaires adaptées permettant par exemple de longues sorties à l’air libre, l’organisation d’activités sportives ou la mise sur pied d’autres occupations.
  • Contrairement aux personnes purgeant une peine, les personnes détenues à titre préventif ne sont pas soumises à l’obligation de travailler. Il ne faut cependant pas en conclure que les personnes condamnées à une peine de prison doivent bénéficier de privilèges dans l’attribution du travail par rapport aux personnes détenues à titre préventif. La détention préventive fluctuant énormément et sa durée étant inconnue, il apparaît certes plus difficile de trouver un travail adapté aux personnes détenues dans le cadre d’une procédure pénale. En cas de durée prévisible de la détention préventive, il n’y a en revanche pas lieu de prétériter les personnes détenues à titre préventif dans l’attribution du travail.
  • La conception juridique selon laquelle les personnes détenues à titre préventif ne peuvent avoir accès à un médecin de leur choix est en tension avec les dispositions internationales et avec le principe de présomption d’innocence. Par ailleurs, selon le principe d'équivalence, les personnes détenues à titre préventif doivent pouvoir bénéficier de traitements dentaires ou spécialisés dans la même mesure que les personnes non soumises à une privation de liberté.
  • En raison du risque accru de choc carcéral lors de la première incarcération, la prévention contre le suicide joue un rôle particulièrement important dans le domaine de la détention préventive. Celle-ci demande la présence de personnel au bénéfice de compétences spécialisées, ce qui peut rarement être assuré dans les plus petits établissements. En outre, les nouveaux détenus doivent être placés sous observation accrue lors des trois premiers jours d’incarcération, plus propices au choc carcéral. En cas de risque de suicide identifié lors de l’entretien d’arrivée, toute négligence liée à l’obligation d’observation représente une violation du devoir de protection incombant à l’Etat et découlant du droit à la vie et, par là même, un non-respect de l’art. 2 CEDH. Le placement de personnes suicidaires en cellule de sécurité et d’autant plus en cellule d’exécution des arrêts n’est pas approprié. Ces personnes nécessitent en effet régulièrement un traitement psychiatrique stationnaire.

Mise en œuvre en Suisse

Cette analyse, qui se penche sur la conformité aux droits humains de la détention préventive, se fonde sur la situation actuelle prévalant en Suisse. Il convient de tenir compte cependant du fait que, dans plusieurs cantons, des efforts sont actuellement menés pour améliorer les infrastructures utilisées pour la détention préventive, notamment par la construction de nouveaux bâtiments ou la fermeture d'institutions trop petites ou obsolètes. Ces mesures sont à saluer étant donné qu'elles permettront à l'avenir de combler une partie des lacunes constatées.

La présente étude est parvenue à mettre en lumière des problèmes de mise en œuvre dans les domaines suivants. Ces problèmes découlent des dispositions légales en vigueur, des arrêts du ministère public ou des décisions des directions d’établissement:

  • La mise en œuvre du principe de séparation (disposition selon laquelle les personnes détenues doivent être incarcérées séparément selon différentes catégories) respecte en Suisse de manière générale les dispositions internationales. Dans certains cas, une mise en œuvre rigide de cette disposition peut avoir des conséquences problématiques. C’est en particulier le cas lorsqu'une personne est incarcérée au sein d’une institution alors qu’elle est la seule à correspondre à une ou plusieurs catégories de détenus. Cette personne doit alors de fait être placée à l’isolement. Les femmes détenues à titre préventif en sont un exemple. Compte tenu du nombre d’établissements de petite taille en Suisse, ce risque est bien réel.
  • Dans le domaine de la réglementation des contacts sociaux avec l’extérieur, il existe de nettes différences entre les cantons, que ce soit dans l’organisation de la détention ou dans la pratique des ministères publics cantonaux. Même dans le cas de personnes détenues en raison d’un risque de fuite, les autorités compétentes de certains cantons prennent des mesures de restriction parfois systématiques et étendues en matière de communication avec l’extérieur. Elles peuvent par exemple imposer une interdiction générale des communications téléphoniques, des temps de visite réduits, un cycle de visites rigide ou la séparation systématique des personnes en visite derrière une vitre (même en cas de visite d’enfants mineurs). D’autres cantons connaissent des régimes autrement plus souples, qui ont fait leurs preuves d’un point de vue pratique. Afin d’analyser au mieux les réglementations relatives aux contacts avec l’extérieur de personnes détenues en raison d’un risque de fuite, il convient de s’intéresser à la détention administrative prévue par le droit des étrangers (d’ailleurs souvent assurée dans les mêmes établissements), puisque ces deux types de détention ont pour seul objectif de garantir la présence de la personne détenue.
  • Dans de nombreux établissements, les personnes détenues à titre préventif passent jusqu’à 23 heures par jour dans leur cellule. Sans compter les promenades effectuées en commun, ce régime correspond aux conditions de l’isolement. Une telle pratique n’est, à l’exception des cas particuliers susmentionnés, pas conforme au droit au regard de l’objectif poursuivi par la détention préventive. Dans ce domaine également, il apparaît, au vu de la pratique des offices de certains cantons, que le fait de permettre aux personnes détenues de garder les portes ouvertes durant une grande partie de la journée représente une solution totalement réaliste et compatible avec la sécurité de l’établissement.
  • En raison de leur petite taille, la plupart des établissements de détention préventive ne sont pas du tout en mesure d’assurer une organisation raisonnable du temps libre des personnes détenues. Dans les établissements de plus grande taille, les infrastructures apparaissent en outre souvent déficientes. Quelles que soient les infrastructures existantes, une limitation à une demi-heure de la promenade quotidienne n’est pas compatible avec le droit au regard du principe de présomption d’innocence.
  • De nombreux établissements s’efforcent à accorder également aux personnes détenues à titre préventif des possibilités de travail. En l’absence de travail adapté aux conditions de la détention préventive, les personnes purgeant une peine privative de liberté – et donc soumise à l’obligation de travailler – internées dans le même établissement bénéficient souvent de privilèges. Or, cette pratique apparaît peu appropriée et difficilement conforme au droit, du moins lorsqu'une certaine durée de la détention préventive devient prévisible.
  • L’interdiction de bénéficier d’un médecin de son choix dans le cadre d’une détention préventive est ancrée dans de nombreuses dispositions cantonales et est également soutenue par le Tribunal fédéral. Or, une telle interdiction qui ne permet pas d’exception ne répond pas à nos yeux aux exigences en matière de droits humains. L’argument financier apparaît également peu pertinent, notamment lorsque le lieu de séjour de la personne détenue se trouve en Suisse: la personne est alors obligatoirement assurée pour ses frais de santé. Les dispositions ne garantissant un traitement spécialisé ou dentaire qu’en cas d’urgence ne sont pas non plus acceptables, et ce également au regard du principe d’équivalence. En raison du manque d’informations factuelles, aucune conclusion ne peut être tirée sur l’internement à titre préventif des personnes malades physiquement ou psychiquement. Cependant, certaines directions pénitentiaires confirment que des personnes parfois psychiquement très atteintes sont détenues à titre préventif sans traitement médical adapté.
  • A l’exception des problèmes – parfois croissants – de surpopulation carcérale qui touchent un nombre limité d’établissements, la situation juridique et la pratique péni-tentiaire répondent en Suisse aux dispositions en matière de droits humains et de droits fondamentaux dans les domaines de l’alimentation des personnes détenues, de l’hygiène et de l’équipement des cellules.

Facteurs possibles des déficits juridiques

Selon l’opinion des auteur-e-s, les facteurs suivants contribuent aux déficits juridiques sus-mentionnés dans différents établissements:

  • La mise sur pied de règlements schématiques dans les réglementations cantonales et une pratique souvent schématisée des ministères publics: ceux-ci ne tiennent pas compte du motif concret de la détention et ne permettent pas de trouver des solutions adaptées au cas par cas.
  • L’idée répandue selon laquelle il est d’usage de mettre sur pied une organisation restrictive de la détention préventive, qui ne peut être assouplie que dans des cas particuliers. Du point de vue des droits humains, c’est la vision contraire qui s’impose: il convient de partir du principe que les personnes détenues à titre préventif font uniquement l’objet d’une privation de liberté et que toute restriction dans le régime de détention doit être justifiée au cas par cas dans le respect du principe de proportionnalité et de l’objectif de la détention. Un certain systématisme reste néanmoins acceptable à condition qu’il soit nécessaire au bon maintien de l'ordre au sein de l’établissement.
  • L’existence de différences notoires liées au système fédéraliste. Celles-ci sont nettement plus marquées que dans le domaine de l’exécution des peines, qui est pourtant également principalement régi par le droit cantonal. En effet, pour la détention préventive, les concordats sur l’exécution des peines et mesures n’ont aucune validité et les principes en matière de privation de liberté établis aux art. 74 et 75 CP ne sont pas applicables. En outre, les ministères publics ne mettent pas à disposition des standards applicables au niveau fédéral concernant la recevabilité des restrictions en matière de contact avec l’extérieur, ce qui contribue également à ces divergences.
  • Un éparpillement sur tout le territoire de nombreux établissements de petite ou très petite taille, qui ne disposent parfois pas des ressources et des infrastructures nécessaires à une exécution conforme au droit.
  • Une croyance profondément enracinée, voire la conviction, que la détention préventive est ou doit être la forme de détention la plus stricte.

La Suisse romande présente en ce sens un tableau bien différent du reste de la Suisse, notamment en raison d’une organisation de la détention préventive souvent moins schématisée. En outre, malgré certaines lacunes en matière d’infrastructures et des ressources limitées en personnel, l’établissement pénitentiaire de Stans se profile comme un exemple du point de vue de l'organisation de la détention préventive. Il apparaît donc que même les vieux établissements peuvent développer des solutions concrètes viables qui répondent largement aux exigences en matière de droits humains.

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