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Un ensemble de peines privatives de liberté de courte durée ne peut être assimilé à une peine privative de liberté de longue durée

Analyse de l’ATF 137 II 297 du 15 avril 2011

Abstract

Auteure : Nicole Wichmann

Publié le 26.10.2011

Pertinence pratique

  • Une peine privative de liberté de «longue durée», qui conduit à la perte du droit de séjour, peut être considérée comme telle lorsqu’elle dépasse, à elle seule, la durée d’une année.
  • L’existence d’une atteinte grave à la sécurité et à l’ordre publics doit être déterminée en fonction de la valeur du bien juridique lésé.

Exposé des faits

L’Office cantonal des migrations ainsi que le Conseil d’Etat du Canton de Zurich ont refusé d’accorder une autorisation de séjour à un Algérien marié à une Suissesse. Celui-ci avait été condamné à seize reprises entre le 2 mars 1998 et le 14 décembre 2007 à des peines privatives de liberté d’une durée totale de 33 mois, qui concernaient pour la plupart des infractions au patrimoine et des infractions au droit des étrangers. La plus longue peine était d’une durée de six mois. Les instances précédentes avaient conclu que l’intéressé ne pouvait plus faire valoir son droit à une autorisation de séjour en Suisse, dès lors que la somme des peines privatives de liberté dépassait la durée d’une peine dite de longue durée, fixée à 12 mois. Les instances précédentes étaient en outre d’avis que l’intéressé représentait une menace grave contre la sécurité et l’ordre publics, ses infractions répétées au patrimoine ne laissant aucun doute sur son incapacité à respecter à l’avenir l’ordre juridique (consid.3.3).

Situation initiale

Conformément à l’art. 42 LEtr, un étranger marié à une Suissesse, peut faire valoir le droit à une autorisation de séjour en Suisse. Le lien conjugal étant intact, les dispositions de l’art. 8 CEDH et de l’art. 13 Cst., qui protègent la sphère privée , sont applicables. Le refus d’accorder une autorisation relevant du droit des étrangers représente donc une ingérence dans la vie privée et familiale de l’intéressé. Une telle ingérence est cependant possible lorsqu’un intérêt public est admis, qu’il existe une base légale et que le principe de proportionnalité est respecté. Le maintien de la sécurité et de l’ordre public représente un intérêt public admis par la jurisprudence de la CEDH.

Les dispositions sur l’extinction et la révocation des autorisations prévues par les art. 61–63 LEtr fournissent la base légale pour une telle ingérence. Ces dispositions apportent des précisions quant aux conditions auxquelles les autorités cantonales des migrations peuvent décider la révocation ou le refus d’une autorisation prévue selon le droit des étrangers. La présence d’un motif de révocation suffit à justifier un «intérêt public» au renvoi de l’intéressé. Dans le cas présent, le Tribunal fédéral devait décider si les conditions pour la révocation ou le refus de l’autorisation étaient remplies.

ATF 137 II 297 – arrêt du 15 avril 2011

Conformément à l’art 63 let. a LEtr en lien avec l’art. 62 let. b LEtr, un conjoint étranger ne peut plus faire valoir son droit à une autorisation dès lors qu’il a été condamné à une peine privative de liberté de longue durée. Dans l’ATF 135 II 377, le Tribunal fédéral a estimé qu’une peine privative de liberté pouvait être considérée comme de longue durée lorsqu’elle était supérieure à un an. Dans la présente affaire, le Tribunal fédéral a en outre retenu qu’il n’était pas possible de cumuler plusieurs peines de courte durée. Le critère de longue durée doit donc être satisfait par une seule peine, d’une durée d’un an au minimum, pour qu’un refus puisse être justifié (consid.2.3.6). Dans son interprétation, le Tribunal fédéral se fonde en premier lieu sur les termes mêmes de la loi qui parlent de « peine privative de liberté » au singulier (consid.2.3.2). L’interprétation proposée correspond en outre au régime des sanctions du code pénal qui ne prévoit pas de peine pécuniaire allant au-delà de 360 jours-amende (art. 34 al. 1 CP). L’intéressé n’ayant jamais été condamné à une peine privative de liberté de plus de 12 mois, les conditions nécessaires à l’existence d’un motif de révocation selon l’art. 63 let. a LEtr en lien avec l’art. 62 let. b LEtr ne sont pas remplies.

Le refus ou la révocation d’une autorisation d’établissement peuvent également être prononcés si la personne attente de manière « très grave » à la sécurité et l’ordre publics (art. 63 par. 1 let. b LEtr). Dans son jugement, le Tribunal fédéral différencie cette notion de celle d’atteinte « grave et répétée » fixée à l’art 62 let. c LEtr régissant le refus ou la révocation de l’autorisation de séjour et fait ainsi savoir que les exigences renforcées en matière d’atteinte « très grave » peuvent découler de la valeur du bien juridique lésé (consid. 3.3). Ainsi, la lésion ou la mise en danger d’un bien juridique de grande valeur (p.ex. l’intégrité corporelle, physique et sexuelle d’une personne) représente une atteinte très grave. Les infractions moins graves sont quant à elles à considérer comme « graves » si le ressortissant étranger ne se plie pas aux sanctions pénales et « et montre ainsi qu’[il] n’a ni la volonté ni la capacité de respecter à l’avenir le droit » (FF 2002 3469, 3565). Dans le cas présent, dans la mesure où un certain temps s’est écoulé depuis les infractions au patrimoine commises par l’intéressé et que la plupart des dernières condamnations dont il a fait l’objet ont porté sur des violations du droit des étrangers, aucune atteinte grave, qui pourrait justifier le refus de l’autorisation d’établissement, ne peut être retenue selon le Tribunal fédéral.

Analyse

Du point de vue de la sécurité juridique et du principe de l’égalité de traitement, ce jugement doit être salué, car il déclare que la pratique des autorités cantonales des migrations et des tribunaux administratifs, qui consiste à cumuler des peines privatives de liberté prononcées pour des infractions équivalentes et d’une durée inférieure à un an, est contraire au droit (consid.2.3.4). Pour qu’un tel cumul des peines soit possible, des dispositions en matière d’addition des peines seraient nécessaires.

Les autorités de migration devraient sans doute saluer la concrétisation des motifs de refus que sont la peine privative de liberté de longue durée et l’atteinte grave contre la sécurité et l’ordre public. En effet, comme l’ont montré des études sociologiques menées sur les pratiques cantonales en matière de renvoi (cf. étude de Wichmann et Achermann dans terra cognita 18/2011), les autorités cantonales sont intéressées à connaître les critères concrets leur permettant de déterminer quelles décisions, en matière de renvoi, seront susceptibles d’être confirmées ou infirmées par les instances supérieures. On peut toutefois se demander combien de temps encore la jurisprudence présentée dans cet article perdurera, puisque, en raison de l’acceptation par le peuple et les cantons de l’initiative sur le renvoi des criminels étrangers, de grands bouleversements dans la pratique en matière de renvoi des étrangers se dessinent.

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