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L’interdiction de tenir un stand d’information anti-islamiste viole la Constitution
A propos de l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_9/2012 du 7 mai 2012
Abstract
Auteures : Nathalie Hiltbrunner, Andrea Egbuna-Joss
Pertinence pratique :
- Les autorités ne peuvent pas refuser une autorisation concernant une manifestation visant l’information du public sur le domaine public en raison d'une simple désapprobation des buts politiques et des objectifs des organisateurs.
- De vagues craintes portant sur des tensions et des débordements sans indice concret ne suffisent pas pour refuser l’autorisation. A des fins préventives, les autorités doivent le cas échéant mobiliser des forces de police supplémentaires.
- En cas de doute, une manifestation visant à informer le public doit être autorisée. L’autorisation peut tout au plus être assortie de conditions, pour autant que ces dernières soient proportionnées.
Faits
Dans le cadre de la campagne de votation concernant l’initiative «contre la construction de minarets», le Mouvement suisse contre l’islamisation (MOSCI) avait prévu de tenir un stand d’information le 19 septembre 2009 sur une place publique en ville de Fribourg. Les autorités du canton de Fribourg ont refusé la demande d’autorisation car elles craignaient des tensions et des débordements. Le recours déposé contre cette décision devant les autorités judiciaires cantonales est resté vain. Le MOSCI était notamment d’avis que le refus de l’autorisation avait porté atteinte à sa liberté d’opinion et d’information.
Le jugement du Tribunal fédéral
Bien qu’au moment de l’arrêt l’intérêt actuel à l’autorisation n’existe plus, le Tribunal fédéral est entré en matière sur le recours. Il a considéré qu’il s’agissait d’une question de principe qui pouvait se poser à nouveau en tout temps.
Dans son arrêt du 7 mai 2012, leTribunal fédéral (TF) a tout d’abord évoqué les dispositions qui protègent la liberté d’opinion et d’information, en l’occurrence l’art. 16 de la Constitution fédérale (Cst.), l’art. 19 de la Constitution du canton de Fribourg ainsi que l’art. 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Puis le Tribunal a expliqué que la liberté d’expression constitue la base de la société démocratique. Même les opinions désagréables, fausses, voire choquantes, doivent pouvoir être diffusées. Pour permettre l’exercice de la liberté d’expression, il existe un droit conditionnel à l’usage accru du domaine public. L’usage accru ne peut être refusé qu’à des conditions très sévères.
Dans le cas du stand d’information du MOSCI, l’intérêt public des autorités fribourgeoises à la protection de la sécurité publique n’était pas suffisant pour refuser l’autorisation de tenir le stand. Le risque de troubles ne se fondait sur aucun élément concret. En outre, le refus d’autorisation était disproportionné. Les autorités fribourgeoises auraient pu prendre des mesures moins incisives. Elles auraient pu, notamment, s’informer plus exactement sur le projet du MOSCI, afin d’assortir l’autorisation de certaines conditions. Enfin, des forces de police supplémentaires auraient pu être mobilisées pour assurer la sécurité publique.
Analyse
Ces dernières années, il y a eu en Suisse toujours plus de campagnes de votation donnant matière à controverse. La campagne d’affichage menée dans le contexte de l’initiative sur les minarets a également alimenté le débat sur les limites de la protection de la liberté d’opinion et d'expression, la question étant de savoir dans quelle mesure l'on pouvait légitimement restreindre cette liberté. A l’époque, plusieurs villes avaient interdit l’affichage des panneaux en raison de leur caractère discriminatoire.
Dans sa décision du 7 mai 2012, le Tribunal fédéral précise que même lors de manifestations visant à donner au public des informations controversées, les restrictions à la liberté d’expression ne sont admises que de manière très limitée. Il existe en principe une obligation de demander une autorisation pour faire un usage accru du domaine public. Mais dans chaque cas, la pesée d'intérêt doit être faite avec beaucoup de soin. Le seul fait de distribuer à un stand des informations dont le contenu est controversé ne justifie pas un refus d’autorisation. De vagues craintes portant sur des tensions et des débordements ne sont pas non plus suffisantes pour légitimer un refus. Dans certaines circonstances, les autorités peuvent même être obligées de mobiliser des forces de police supplémentaires en vue d’assurer la sécurité des manifestations controversées, et donc de permettre leur tenue. Toutefois, elles ont la possibilité le cas échéant d’assortir l’autorisation de conditions proportionnées.
Une restriction préventive de la liberté d’expression est possible au cas par cas pour protéger des droits fondamentaux. Mais une telle atteinte n’est admissible que lorsque l’expression en question représente un risque avéré et imminent à l’égard de ces derniers (Müller/Schefer, Grundrechte in der Schweiz, 2008, p. 354 et s.). En outre, en vertu de la liberté d’expression, il est interdit de considérer trop facilement comme une infraction pénale l’abaissement ou la discrimination d’un groupe humain (art. 261 bis du Code pénal), pour autant que la critique demeure globalement dans les limites de l'objectivité et repose sur des faits objectifs (ATF 131 IV 23, c. 3). Dans le cas du stand d’information du MOSCI, les autorités n’ont pas examiné le contenu de l’information, qu’elles ne connaissaient pas exactement. Du point de vue du Tribunal fédéral, une telle manière de faire viole la Constitution. Lors de l’examen de la mise en danger des droits fondamentaux d’autrui et de la proportionnalité, les autorités doivent analyser, dans les campagnes controversées également, le contenu de la manifestation prévue et procéder à la pesée des intérêts entre liberté d’expression et intérêts publics.
Autres liens et documentations :
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Campagne sur l'initiative anti-minaret: entre liberté d'expression et discrimination, Article Jusletter de Tarek Naguib du 19.10.09