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Une épouse kosovare est contrainte de suivre son mari au Kosovo

Le Tribunal fédéral précise que l’art. 50 LEtr ne s’applique qu’en cas de dissolution de la famille par séparation ou divorce et non lorsque la relation de couple est intacte

Abstract

Auteure : Nathalie Christen

Publié le 12.03.2014

Pertinence pratique :

  • Le Tribunal fédéral (TF) se prononce sur l’application de l’art. 50 LEtr lorsque l’épouse perd son droit à une autorisation de séjour basée sur le regroupement familial à cause de la révocation de l’autorisation d’établissement de son conjoint.
  • L’art. 50 LEtr s’applique en cas de dissolution de la famille, notamment pour éviter les cas de rigueur provoqués par le décès du conjoint titulaire du droit ou par la présence de violences conjugales.
  • Cette disposition ne couvre pas les situations dans lesquelles la relation de couple est intacte et peut se poursuivre telle quelle dans le pays d’origine.

Faits

Dans l’arrêt 2C_536/2013 du 30 décembre 2013, destiné à publication, le TF doit se prononcer sur le droit de séjour d’un mari et de son épouse, tous deux de nationalité kosovare. Le recourant s’oppose à la révocation de son autorisation d’établissement, alors que la recourante conteste la non-prolongation de son autorisation de séjour.

L’époux avait fait l’objet de plusieurs condamnations dont l’une à une peine privative de liberté de 21 mois en 2008, à la suite de laquelle les autorités lui avaient donné un dernier avertissement. L’intéressé a récidivé malgré cela, à quatre reprises, ce qui a convaincu les autorités cantonales de prononcer la révocation de son autorisation d’établissement en 2011.

L’épouse était entrée en Suisse par le biais du regroupement familial en 2009, après s’être mariée avec l’intéressé au Kosovo en 2008. Son droit découlait donc de l’art. 43 LEtr. Le couple a eu deux enfants, en 2010 et en 2012.

La révocation de l’autorisation d’établissement de l’époux a pour effet direct de le contraindre à quitter le territoire et à retourner dans son pays d’origine. Cette décision comporte également une conséquence importante pour son épouse: celle-ci perd le droit de se prévaloir de l’art. 43 LEtr et ne peut, dès lors, plus prétendre à l’octroi ni à la prolongation d’une autorisation de séjour.

Séparation de la famille

Le Tribunal fédéral confirme, dans son arrêt, la révocation de l’autorisation d’établissement du mari, compte tenu de ses nombreuses condamnations et du fait que son intégration n’est pas extraordinaire. Quant à l’épouse, elle invoque l’art. 50 LEtr pour lui permettre la poursuite de son séjour. Si cette disposition est, a priori, destinée à réglementer le sort de l’époux-se étranger-ère lors de la séparation du couple ou de la communauté conjugale, le TF doit examiner si cet article peut s’appliquer lorsque la séparation est causée par l’éloignement de l’époux détenteur du droit originaire, et non par la dissolution de la communauté conjugale.

Dans le cas d’espèce, les recourants n’invoquent pas la dissolution de leur famille, leur relation de couple semblant intacte. La recourante se prévaut de l’art. 50 LEtr car elle a perdu son droit à une autorisation fondée sur l’art. 43 LEtr suite à la révocation de l’autorisation de son mari.

Applicabilité de l’art. 50 LEtr

Le TF procède à une analyse téléologique de l’art. 50 LEtr pour savoir si cet article s’applique dans une telle situation. Il retient que cette disposition a été édictée pour éviter les cas de rigueur susceptibles de se présenter en cas de décès du conjoint suisse ou titulaire d’une autorisation d’établissement, ou pour empêcher les victimes de violences conjugales de devoir poursuivre la relation sous peine de perdre leur droit de séjour.

Il relève donc que le cas de la recourante n’entre pas dans le champ d’application de l’art. 50 LEtr, étant donné qu’elle ne se trouve pas dans la situation de devoir choisir entre poursuivre une relation dangereuse pour elle ou perdre son droit de séjour. Le TF estime que la vie familiale peut être poursuivie dans le pays d’origine, le but de l’art. 50 LEtr justifie donc de traiter cette situation différemment d’une situation de dissolution de la communauté familiale.

Commentaire

L’art. 50 LEtr permet bel et bien, à certaines conditions, la poursuite du séjour d’une personne qui ne peut plus se prévaloir des dispositions du regroupement familial pour bénéficier d’une autorisation. Cependant, le TF refuse, dans cet arrêt, d’élargir la portée de cette disposition aux situations qui ne présentent pas une réelle dissolution du lien familial. Si la relation de couple est intacte, le conjoint étranger ne peut pas rester en Suisse lorsque son autorisation de séjour dépend de celle du conjoint titulaire du droit et que ce dernier doit quitter le pays.

L’art. 50 LEtr s’intitule «dissolution de la famille». Il ressort clairement du projet de loi et du message que cet article a pour but de régler la situation du conjoint étranger après séparation de la communauté conjugale. Or, ici, la relation de couple sur laquelle se fondait le droit de l’épouse demeure intacte. En réalité, la décision des autorités n’engendre pas la séparation de la famille, mais contraint celle-ci à quitter la Suisse, vu que les deux conjoints perdent leur droit de séjour en Suisse.

La recourante n’aurait pu invoquer l’art. 50 LEtr qu’en cas de séparation avec son mari et, de préférence, avant que les autorités ne révoquent l’autorisation de celui-ci. Le risque que les autorités concluent à un abus de droit – qui éteindrait tout droit à une autorisation selon l’art. 51 al. 2 let. a LEtr – semble probable lorsque l’art. 50 LEtr est invoqué sans séparation effective du couple (cf. consid. 3.7).

Il faut encore ajouter que différents éléments ont pesé en défaveur des recourants. En l’espèce, les juges estiment que le fait que l’intéressé ait épousé une compatriote dans son pays d’origine démontre qu’il a encore suffisamment de liens là-bas. De plus, l’intéressé avait déjà commis ses infractions et été condamné au moment de la conclusion du mariage et de la naissance des enfants et l’épouse a vécu près de 20 ans au Kosovo.

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