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L’intégration des personnes étrangères: entre assimilation et libéralisme

Évolution de la politique fédérale et analyse des pratiques cantonales: le cas de Neuchâtel.

Abstract

Auteure : Flora Di Donato
(Traduction de l'italien)

Publié le 11.05.2015

Pertinence pratique :

  • Un regard historique sur l’évolution de la politique suisse en matière d’accueil et de règlementation du séjour des personnes étrangères au cours du 20e siècle met en évidence une oscillation permanente entre tendances assimilationnistes et tendances libérales.
  • Il résulte d’une telle politique une définition législative vague de l’«intégration» qui, d’une part, s’inspire des principes de tolérance et de respect mutuel entre les populations suisses et étrangères et, d’autre part, suppose à la fois que les étrangers soient disposés à s'intégrer et à la fois que la population suisse fasse preuve d'ouverture à leur égard (cf. art. 4 LEtr).
  • De la même manière, les pratiques des cantons varient entre modèles «inclusifs» et «exclusifs» d’intégration. Cela va des tendances restrictives, telles que celles prévues dans le cadre des conventions d’intégration, aux pratiques libérales qui visent à mettre en place des formes de coexistence et de cohabitation multiculturelles.
  • Un exemple de politique libérale comme celui qui est mis en œuvre dans le canton de Neuchâtel, inspiré des principes d’égale dignité et de participation civique, montre que l’intégration, bien loin d’être un processus unilatéral comme semble le suggérer le droit fédéral (voir art. 4 LEtr), peut être le fruit d’une adaptation réciproque entre populations autochtones et étrangères.
  • Des programmes d’éducation civique, destinés à informer les personnes étrangères sur les coutumes locales et sur les valeurs inscrites dans la Constitution, tels qu’ils sont prévus par le Canton de Neuchâtel suffisent pour assurer une coexistence pacifique et respectueuse des droits humains.

Évolution de la politique fédérale d’intégration

Entre naturalisation et intégration: des années 1920 aux années 1980

L’oscillation entre tendances assimilationnistes et tendances libérales en matière d’accueil et de règlementation du séjour des personnes étrangères a provoqué au fil du temps l’adoption des mesures législatives différentes. Celles-ci portaient sur une sorte de «naturalisation forcée», dans les années 1920, dans le but d’équilibrer la présence de la population suisse résidente et étrangère ; sur l’introduction des permis d’établissements dans les année 1940 ; sur la promulgation d’une loi sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse dans les années 1950 (ensuite modifiée dans les années 1990 et 2014) ; et finalement sur l’adoption des mesures d’intégration, à partir des années 1970, destinées d’abord à l’intégration des travailleurs étrangers et faisant ensuite l’objet d’une politique publique en matière d’intégration des années 1980.

L’intégration comme devoir de l’État: les années 1990

C’est toutefois seulement à partir des années 1990 que la Suisse se voit toujours plus confrontée aux exigences des mouvements migratoires planétaires, à la libre circulation des personnes, aux nouveaux flux migratoires provenant de pays de l’Europe de l’Est, au besoin de main-d’œuvre étrangère, à la baisse démographique et, par conséquent, à la nécessité d’établir un rapport équilibré entre nationaux et personnes étrangères. À partir de cette période, le débat ne tourne plus autour du concept d’assimilation – comme c’était le cas entre les années 1920-1970 –, mais plutôt, bien qu’encore «timidement», autour du concept d’intégration. Dans son Message sur la révision intégrale de la loi sur l'asile et sur la modification de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 4 décembre 1995, le Conseil fédéral affirme explicitement que l’intégration est une tâche incombant à l’État. La promotion de l’intégration doit sortir de la sphère sociale et de la solidarité, où elle avait été confinée jusqu’alors, et acquérir enfin une dimension politique.

«Encourager et exiger»: les années 2000-2014

Par l’approbation de la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr) du 16 décembre 2005, le Conseil fédéral se charge de promulguer des «principes importants» qui visent à promouvoir l’intégration des personnes étrangères. Le nouveau texte législatif, tout en étant focalisé sur l’«intégration» en tant que principe fondamental, renonce quand même à en donner une définition exhaustive du fait de sa nature «évolutive», c’est-à-dire susceptible de subir des modifications au cours du temps selon les variations des représentations sociales. À la lecture du Message du 8 mars 2002 relatif à la Loi fédérale sur les étrangers, il est possible de déduire que l’intégration est généralement conçue comme un processus mutuel et réciproque, fondé sur la supposition que les personnes étrangères sont disposées à s’insérer dans le contexte social helvétique et sur l’accueil réservé par la communauté. Toutefois, l’art. 4 LEtr souligne l’importance d’un effort de familiarisation des personnes étrangères avec la société et le mode de vie en Suisse, tout comme l’importance de l’apprentissage d’une langue nationale. L’Ordonnance sur l’intégration des étrangers (OIE) du 24 octobre 2007 insiste elle-aussi, au chapitre 2, sur les «Contributions et devoirs des étrangers» et à l’art. 4 sur la «Contribution des étrangers à l’intégration», en légitimant de cette façon le recours aux conventions d’intégration.

Récemment, entre 2011 et 2013, autant la LEtr que la Loi fédérale sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse (Loi sur la nationalité, LN) – y compris les critères d’intégration qui y figurent – ont été l’objet de discussions et de projets de révision. L’exigence de révision se fonde sur l’existence, tant dans le droit des étrangers que dans le droit relatif aux pratiques de naturalisation, de notions presque identiques en matière d’intégration. D’après le Conseil fédéral cette circonstance «loin de faciliter la compréhension, […] prête à confusion» et rend par conséquent nécessaire un travail de clarification. En 2013, la proposition de modification de la LEtr prévoit la mise en œuvre de mesures d’intégration plus sévères, dans l’objectif de préserver le «potentiel des habitants» et d’encourager la «responsabilité individuelle des étrangers». Ce faisant, la proposition de modification renforce le caractère contraignant (et unilatéral) du processus d’intégration. La volonté de vérifier le processus d’intégration aussi dans le cadre de l’octroi des permis de séjour confirme le durcissement de la politique migratoire (FF 2013 2131). Enfin, en juin 2014, le Projet de révision totale de la LN a été amendé et une nouvelle loi introduisant le concept d’«intégration réussie» ainsi qu’une plus large définition des critères d’intégration a finalement été adoptée.

Politique cantonale et conventions d’intégration

Conformément à la responsabilité solidaire en matière d’«intégration sociale, culturelle et politique» (art. 41 al. 1, let. g Cst.) et par rapport à la répartition des compétences (art. 121 Cst.), la Confédération et les cantons s’efforcent de favoriser, en application de l’art. 53 LEtr relatif à la «promotion de l’intégration», l’intégration des personnes étrangères. Sur la base de la législation fédérale en matière d’intégration, les pratiques cantonales varient selon les différentes politiques locales et les différents ancrages normatifs dont se dotent les cantons.

Une étude relativement récente, publiée par le SFM-Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (Les marges de manœuvre au sein du fédéralisme: La politique de migration dans les cantons, 2011, pp. 11-14) et portant sur les différentes politiques migratoires cantonales en matière d’intégration, a montré que les pratiques cantonales oscillent entre tendances «inclusives» et «exclusives». On parle de «tendances inclusives» lorsque les cantons fixent des exigences faibles envers les immigré-e-s et concèdent de nombreuses exceptions. En revanche, des «tendances exclusives» se présentent lorsque la politique cantonale pose des exigences d’intégration élevées et concède peu d’exceptions. L’étude du SFM examine aussi les pratiques d’intégration contraignantes, notamment les conventions d’intégration, introduites par l’OIE du 24 octobre 2007 et qui visent notamment les personnes étrangères ne disposant pas d’un droit de séjour permanent en Suisse. L’enquête montre que les conventions d’intégration sont utilisées principalement dans douze cantons de Suisse alémanique. Ces conventions, qui ont principalement pour but l’apprentissage linguistique ou un cours d’intégration, ont un champ d’application assez vaste. Les conventions d’intégration formulées en termes d’«exigences» s’appliquent à l’égard d’un individu désirant prolonger son séjour en Suisse, à qui on demande de satisfaire des exigences d’intégration. Les conventions formulées en termes d’«encouragement» comprennent une offre d’informations et de conseils à l’attention des personnes étrangères. Enfin, celles formulées à la fois en termes d’«encouragement» et d’«exigences», apportent une aide par des informations et des conseils, aide qui s’accompagne d’une pression modérée à l’égard des personnes concernées. Alors que la formule «exiger» concerne surtout des personnes résidentes en Suisse depuis longtemps, mais avec un déficit d’intégration, les deux autres formules visent en revanche les nouveaux arrivants (provenant de pays tiers) et les personnes arrivant dans le cadre du regroupement familial (étude du SFM, pp. 67-71).

Alternatives aux conventions d’intégration: la Loi sur l’intégration et la cohésion multiculturelle de Neuchâtel

Toujours d’après l’étude du SFM (p. 35), le canton de Neuchâtel est celui qui se distingue le plus pour l’application d’une politique migratoire libérale et pour le nombre considérable de naturalisations. Ce canton a été l’un des premiers à se doter d’une Loi sur l’intégration et la cohésion multiculturelle, entrée en vigueur le 26 août 1996 et amendée en 2013. Cette loi se propose d’atteindre, par le développement de relations harmonieuses et par la compréhension réciproque entre populations suisses et étrangères, la cohésion sociale, l’égale dignité et le bien-être de toute personne résidant dans le canton de Neuchâtel. En particulier, l’article 1 définit l’intégration comme un processus d’adaptation réciproque entre populations suisses et étrangères, à travers la participation à la vie économique, sociale, culturelle et politique. Il ne s’agit donc clairement pas d’un processus d’alignement unilatéral de la part des personnes étrangères, comme semble en revanche le sous-entendre l’art. 4 LEtr, ni d’un processus mis en œuvre par le moyen de conventions d’intégration. L’intégration implique, bien au contraire, un ajustement réciproque des uns et des autres, des personnes étrangères comme des nationaux (voir Service de la cohésion multiculturelle, COSM, du canton de Neuchâtel, Coexistence des populations et politique d’intégration des étrangers dans le canton de Neuchâtel).

En promulguant cette loi en 1996, les autorités locales ont confirmé la tradition de politique libérale qui caractérise depuis toujours le canton de Neuchâtel. C’est le canton qui confère le plus de droits civiques aux étrangers au niveau suisse. Ils y «possèdent le droit de vote au niveau communal depuis 1848, le droit de vote au niveau cantonal depuis 2000 et le droit d’éligibilité, tant à l’exécutif qu’au législatif, au niveau communal depuis 2007».

Les autorités neuchâteloises mettent ainsi en œuvre la «mission» visant à promouvoir le développement de relations harmonieuses entre personnes suisses et étrangères et à encourager, grâce aussi à la contribution des associations de protection des populations étrangères, la recherche de solutions pratiques en matière d’intégration. Cette politique libérale en faveur de l’intégration profite des marges de manœuvre dont disposent les cantons et les communes par rapport au droit fédéral (voir Service de la cohésion multiculturelle, COSM, du canton de Neuchâtel, Coexistence des populations et politique d’intégration des étrangers dans le canton de Neuchâtel).

Instruments pour une politique libérale: la Charte de la citoyenneté et le principe d’«égale dignité»

Le caractère libéral de la politique poursuivie par le gouvernement neuchâtelois s’inscrit à l’art. 1 de la Constitution cantonale, du 24 septembre 2000, qui définit le canton de Neuchâtel comme une «République démocratique, laïque, sociale et garante des droits fondamentaux». Comme l’explique la Charte de la citoyenneté, instaurée en mars 2008 et accessible en plusieurs langues, pour aider les nouveaux arrivants ainsi que les personnes résidant dans le canton à mieux comprendre les principes et fondements de la Constitution neuchâteloise, l’État «libéral» et «démocratique» se caractérise par la garantie à tout habitant de la liberté, des droits fondamentaux, ainsi que de la participation à la vie démocratique, à la formation de la volonté politique et à l’exercice du pouvoir. En définissant le canton de Neuchâtel comme un État libéral, la Charte met en évidence le principe de la «dignité de la personne»: l’État reconnaît à chaque individu le droit à une sphère d’indépendance et de liberté, qui se traduit par un devoir de protection des droits fondamentaux de la part de l’autorité. D’après la Charte, la dignité humaine est au cœur des droits fondamentaux et constitue le fondement de tous les droits inhérents à la personne. Cette notion, inscrite dans la Constitution fédérale suisse depuis 1999, s’est affirmée en tant que principe essentiel en matière de garantie et protection des droits fondamentaux (art. 7 Cst: «La dignité humaine doit être respectée et protégée»). On retrouve une disposition analogue dans le texte constitutionnel neuchâtelois (art.7, al. 1: «La dignité humaine est respectée et protégée»).

L’analogie – tant au niveau du titre que de la position – entre l’art. 7 de la Constitution fédérale et l’art. 7 de la Constitution cantonale, n’est certainement pas le fruit du hasard étant donné que les garanties accordées par les cantons aux citoyen-ne-s ne peuvent pas avoir une portée plus limitée que celles octroyées par le droit fédéral. De plus, la reconnaissance des droits et libertés fondamentaux au niveau cantonal s’inscrit dans une longue tradition, qui coïncide avec la tradition démocratique suisse elle-même et son attachement aux libertés individuelles (voir la Newsletter du CSDH, Jubilé du 24 novembre 2014, «La démocratie suisse et son attachement aux libertés individuelles»).

Mise en œuvre: programmes de participation civique

En ce qui concerne la mise en œuvre du processus d’intégration «libérale» que nous venons de présenter, le canton de Neuchâtel a développé des programmes orientés vers l’éducation civique des personnes étrangères et la coexistence entre nationaux et personnes étrangères. Il s’agit de programmes mis en place par le Service de la cohésion multiculturelle (COSM) afin d'informer les personnes étrangères sur les coutumes locales et sur les valeurs inscrites dans la Constitution et qui vont plus loin que la simple possibilité de prendre des cours des langues. Ces programmes d’éducation civique sont possibles grâce à la diffusion de la Charte de la citoyenneté. Notamment, la Charte s’adresse aux nouveaux arrivants (qu’ils soient Suisses, ressortissants européens ou d’Etats tiers), ainsi qu’aux responsables et membres des communautés étrangères. À la différence des conventions d’intégration connues en Suisse alémanique et qui portent sur une sorte de contrat entre les autorités et la personne étrangère, soumettant celle-ci à certaines obligations, la Charte est remise contre une signature, avec un accusé de réception, mais n’a pas de portée juridique. Elle met l'accent sur la «notion de bienvenue» et le respect réciproque qui favorisent une meilleure acceptation des obligations liées à l’intégration. Elle est disponible en plusieurs langues auprès du COSM.

Créé dans les années 1990 en tant que service de l’administration cantonale, le COSM est engagé dans le domaine de l’intégration des étrangers et dans la prévention du racisme. Sa mission consiste à appliquer la loi cantonale relative à l’intégration des étrangers, à promouvoir des relations harmonieuses entre Suisses et étrangers, ainsi qu’à faciliter l’intégration des populations étrangères dans le canton de Neuchâtel. Dans l’exercice de ses fonctions, le COSM agit de concert avec les communautés étrangères qui s’engagent activement au niveau cantonal. La loi cantonale de 1996 prévoit en effet une base spécifique pour la mise en œuvre de projets liés non seulement au COSM, mais aussi à la Communauté pour l’intégration et la cohésion multiculturelle (CICM). Cette association est chargée d’étudier le phénomène des migrations internationales et les relations entre les populations suisses et étrangères, ainsi que de travailler activement en faveur de l’intégration des populations étrangères dans la société neuchâteloise. Le COSM se doit de réaliser concrètement les projets, les idées et les actions de la CICM. La CICM est dotée de sous-commissions dont, entre autres, la commission en matière de «Migrations féminines» et le groupe de contact «Musulmans», engagé dans l’étude et la prévention de cas de discrimination et de racisme. Au sein de ses activités en faveur de l’intégration, le COSM a développé des innovations très significatives sur le plan linguistique. La compréhension entre autochtones, personnes étrangères et institutions est effectivement facilitée grâce à des programmes spécifiques d’interprétariat, prévus par la loi cantonale et réalisés par le COSM (voir Rapport d’activités 2013 du COSM et de la CICM).

Extension du principe de dignité: citoyenneté en tant qu’appartenance (universelle)

La Charte de la citoyenneté définit l’acquisition des droits politiques (droit de vote et droit de prendre part activement à la vie politique) par le biais de la naturalisation en tant que passage conclusif du processus d’intégration.

À ce stade, la question qui se pose est de savoir si – compte tenu du modèle libéral d’intégration illustré auparavant – le concept classique de nationalité, conçu comme un lien d’appartenance identitaire et territoriale, est encore pertinent ou s’il conviendrait plutôt de le remettre en cause au profit d’un nouveau concept de citoyenneté globale ou post nationale, définie sur la base de l’appartenance à une même collectivité.

Par ailleurs, déjà dans les années 1960, le constitutionnaliste Jean-François Aubert, professeur à l’Université de Neuchâtel, subordonnait l’idée de «nation», conçue comme un lien identitaire ethnique, culturel et politique, à l’idée de «population», définie au contraire comme la rencontre non accidentelle entre des individus. Pour lui, la «population» est «la communauté nécessaire des personnes qu’une destinée semblable appelle à vivre durablement sur un même territoire» (Aubert, Le statut des étrangers en Suisse, in «Revue de droit Suisse», I, 1958, pp. 249-250). Aubert critiquait la nature arbitraire du concept de nation, qui sépare les individus en deux groupes distincts, les citoyen-ne-s d’une part, et les étrangers/étrangères de l’autre. En partant du concept de dignité humaine, le constitutionnaliste proposait aussi de garantir aux personnes étrangères un ensemble minimal de libertés individuelles, comprenant par exemple la liberté de conscience, de religion, d’expression et d’inviolabilité du domicile. Par rapport à sa définition du concept de «population», Aubert défendait que citoyen-ne-s et étrangers/étrangères résidant sur un même territoire et composant ensemble la substance humaine permanente de la société, devaient nécessairement jouir de mêmes droits devant l’État. Cette égalité pourrait de son point de vue exister en tant que valeur intrinsèque à la nature des choses, sans qu’il soit nécessaire de la définir au moyen de traités internationaux. Toute distinction entre Suisses et étrangers/étrangères en matière de libertés fondamentales n’aurait, sur cette base égalitaire, aucune raison d’être. Par ailleurs le principe de nationalité devrait ouvrir la voie à la reconnaissance d’autres droits et à la jouissance complète des droits civils et politiques, au droit de vote avant tout.

Sur la base de la leçon d’Aubert, on pourrait conclure qu’à cet égard seulement, l’acquisition de la citoyenneté par effet de la naturalisation pourrait être interprétée comme le véritable passage conclusif du processus d’intégration. Par la mise en évidence du lien existant entre la dignité humaine et les droits fondamentaux, ainsi que par la critique du concept classique d’État-nation, Aubert anticipait des prises de position politiques et philosophiques qui caractérisent le débat contemporain. Dans une conception pluraliste du droit, la citoyenneté n’est plus liée à la territorialité de l’État, mais bien plus à une forme d’appartenance universelle et cosmopolite. De cette façon, étrangers/étrangères, apatrides et réfugié-e-s pourraient revendiquer, en tant que membres du genre humain et d’après le principe d’«égale dignité», une forme d’appartenance universelle et abstraite plutôt que l’appartenance à une nationalité spécifique.

Si on veut partager jusqu’au bout la leçon d’Aubert, selon laquelle l’égalité entre personnes étrangères et citoyennes «est postulée par la nature des choses: point n’est besoin, pour l’assurer, d’un traité entre les nations» (Aubert, id., p. 250 ), on pourrait en tirer la conclusion suivante:

Des programmes d’éducation civique, respectueux de la dignité humaine comme ceux prévus par le canton de Neuchâtel, devraient suffire pour assurer une coexistence pacifique et respectueuse des droits humains. Ainsi, il ne serait pas nécessaire de recourir à des conventions (d’intégration), qui pourraient être perçues comme arbitraires et contraires au principe de dignité humaine. Ce principe fondamental, dans sa signification ultime, devrait représenter le but final de chaque système juridique.

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