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La CEDH garantit une large marge d’appréciation en matière de procréation médicalement assistée

Arrêt S.H. et autres contre Autriche du 3 novembre 2011 (Requête No 57813/00)

Abstract

Auteure : Barbara von Rütte

Publié le 02.05.2012

Pertinence pratique :

  • Compte tenu des difficultés morales et éthiques que pose la procréation médicalement assistée, ainsi que de la rapidité des évolutions techniques et du manque de consensus au niveau européen, les Etats jouissent d’une large marge d’appréciation sur cette question.
  • Une interdiction générale du don d’ovules ou du don de sperme à des fins de fécondation in vitro ne viole pas le droit d’un couple, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, à concevoir un enfant et à recourir pour ce faire à des techniques de procréation artificielle.

Les faits

L’arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 3 novembre 2011 porte sur la requête de deux couples autrichiens, qui dénonçaient une violation du droit au respect de la vie privée et familiale au titre de l’article 8 ainsi qu’une discrimination au titre de l’article 14 la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Les deux couples étant contraints de recourir à une fécondation in vitro impliquant le don d’un ovule pour le premier couple et le don de sperme pour le second, ils désiraient pouvoir accéder aux techniques d’insémination artificielle. La Cour avait donc pour tâche de déterminer si l’interdiction autrichienne de certaines techniques de procréation artificielle constituait une violation injustifiée de l’article 8 de la CEDH.

Arrêt

Dans leur arrêt, les 17 juges de la Grande Chambre ont conclu que la décision autrichienne ne représentait pas une violation de l’article 8 CEDH. Ils ont en outre renoncé à examiner séparément les mêmes faits sous l’angle de l’article 14. Lorsqu’une affaire soulève des questions sujettes à controverse morale ou éthique, pour lesquelles il n’existe pas de consensus entre les Etats membres, telle que la question de l’autorisation de techniques d’insémination in vitro, la Cour garantit aux Etats une large marge d’appréciation au regard de l’article 8 (§ 94–97 de l'arrêt S.H. et autres). Considérant cette large marge d’appréciation, la CEDH a conclu que la décision autrichienne d’interdire toute fécondation in vitro impliquant un don d’ovules ou de sperme constituait certes une atteinte au droit d’un couple, garanti par l’article 8, à concevoir un enfant et à recourir pour ce faire à des techniques de procréation médicalement assistée. Cependant, la Cour a considéré cette atteinte comme justifiée au vu des intérêts publics poursuivis, c’est-à-dire considérant l’objectif du législateur consistant à éviter toute pratique commerciale et eugénique, telle que la reproduction sélective, la création de liens familiaux atypiques impliquant deux mères biologiques ou la possible exploitation de mères de substitution. S’il est vrai que d’autres mesures, peut-être moins radicales, auraient également permis d’atteindre cet objectif, l’interdiction du don d’ovules ou de sperme à des fins de fécondation in vitro reste toutefois couverte par la marge d’appréciation des Etats (§ 106 de l'arrêt S.H. et autres).

Signification pour la Suisse

La règlementation suisse, qui interdit le don d’ovules selon l’article 4 de la Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée, devrait donc pouvoir résister à l’article 8 CEDH. Les juges de Strasbourg ont toutefois rappelé que le présent arrêt portait sur le régime juridique en vigueur à l’époque où a été lancée la procédure nationale, à savoir à la fin des années 1990 (§ 84 de l'arrêt S.H. et autres), et que le domaine de la procréation médicalement assistée connaissait des évolutions particulièrement rapides (§ 118 de l'arrêt S.H. et autres). Elle a donc recommandé aux Etats de suivre ces évolutions ainsi que les éventuels développements du consensus européen et d’en tenir compte dans leur législation (§ 117 de l'arrêt S.H. et autres).

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