Articles

Assurances diplomatiques

Exercice difficile pour la Cour européenne des droits de l’homme

Abstract

Conditions d’admissibilité des assurances diplomatiques en cas de risques de mauvais traitements concrets et protection contre l’expulsion dans les cas de violation grave des art. 5 et 6 CEDH

Auteure : Evelyne Sturm

Publié le 02.05.2012

Pertinence pratique :

  • Les violations systématiques de l’interdiction de la torture dans le pays d’origine n’excluent pas nécessairement la possibilité de maintenir l’extradition ou l’expulsion sur la base d’assurances diplomatiques dans des cas particuliers.
  • Dans de tels cas, les assurances diplomatiques, entre autres, ne sont applicables que si elles sont suffisamment détaillées. L’autorité qui fournit les garanties doit pouvoir agir en engageant l’Etat visé et assurer un suivi pour vérifier le respect des garanties assurées.
  • Dans ces conditions, les obstacles à l’extradition ou l’expulsion peuvent exister malgré les assurances diplomatiques, aussi dans les cas de violations graves des art. 5 et 6 CEDH (nouvelle jurisprudence).

Dans quelle mesure l’Etat de séjour peut-il faire confiance aux assurances de l’Etat d’origine de ne pas maltraiter une personne après son transfert en cas d’extradition ou de d’expulsion, si celui-ci est réputé d’ignorer systématiquement l’interdiction de la torture? La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a pris position par rapport à cette question à l’occasion de l’arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni (Requête n° 8139/09). Dans ces cas, la CEDH confirme la possibilité de protection contre les risques de mauvais traitements concrets au moyen de ce que l'on appelle les assurances diplomatiques. Ceci même s'il y a des violations systématiques des droits humains dans le pays de destination au moment des extraditions ou des expulsions. Toutefois, c’est la première fois que la Cour estime qu’une expulsion emporterait violation de l’article 6 CEDH, du fait que dans le cas d’une extradition vers le pays d’origine, la personne concernée n'aurait manifestement pas accès à un procès équitable.

Historique de l’arrêt

L’arrêt concerne l’islamiste fondamentaliste Abu Qatada qui, après avoir fui la Jordanie dans les années 90, s’était réfugié en Angleterre où il a vécu en tant que réfugié reconnu. En raison de contacts avec Al-Qaida et de soupçons d’activités terroristes, la Grande-Bretagne s’est efforcée à partir de 2002 d’extrader Abu Qatada vers son pays d’origine. Dans une déclaration d’intentions, la Jordanie a alors donné une série de garanties détaillées concernant le traitement d’Abu Qatada et d’autres personnes soupçonnées d’activités terroristes en cas de retour. Outre l'assurance de fournir des conditions de détention appropriées et un contrôle de la légalité de la détention, la Jordanie offrait aussi des assurances concernant l’accès à la Représentation Consulaire de la Grande-Bretagne et le droit à un contact régulier avec une institution active dans le domaine des droits humains indépendante et désignée par les deux pays.

Après que son extradition ait été ordonnée, Abu Qatada a déposé une requête auprès de la CEDH contre cette décision.

Critique concernant la pratique des assurances diplomatiques

Afin de renvoyer des les personnes concernées, l'Etat désireux d'extrader se base sur les assurances données par l'Etat de destination, selon lesquelles une personne extradée ou expulsée n’encourt aucun risque de torture, de peines ou de traitements inhumains ou dégradant (art. 3 CEDH). Voilà cependant longtemps déjà que les organisations de défense des droits humains et les différents organes de surveillance de l'ONU et du Conseil de l'Europe remettent en question cette pratique des assurances diplomatiques, notamment dans les cas d'extradition de personnes soupçonnées d'activités terroristes.

Ainsi, le Comité des droits de l’homme de l'ONU et le Comité de l’ONU contre la torture mettent fondamentalement en doute la fiabilité des assurances diplomatiques lorsqu’il y a des violations systématiques de l’interdiction de la torture par les Etats de destination. Dans ces cas-là, le principal risque est que la validité absolue du principe de non-refoulement soit vidée de son contenu par une telle pratique. L'on craint ainsi que les Etats qui, systématiquement, ne respectent pas l’interdiction de la torture, pourtant contraignants pour tous les Etats, s'en tiennent uniquement aux assurances bilatérales, généralement difficiles à contrôler pour des cas individuels.

Conditions pour la fiabilité des assurances diplomatiques

Malgré cette critique, la Cour a confirmé dans le cas Abu Qatada que la fiabilité d’une assurance dans les cas individuel n’est pas formellement exclue. Ceci même si l'Etat de destination présente des violations systématiques de l’interdiction de la torture et un système judiciaire qui garantit l’impunité. La CEDH a cependant précisé dans l’arrêt Abu Qatar qu'en tels cas, seules des assurances qualifiées peuvent être considérées comme suffisantes.

La CEDH a résumé dans l’arrêt les critères d’appréciation pertinents. Outre l’assurance du respect des droits humains en général, les points suivants sont d'importance: la manière dont les assurances sont détaillées, quelle autorité a accordé les garanties et dans quelle mesure cette autorité peut agir de manière obligatoire pour l’état visé, comment sont établies les relations bilatérales entre les deux Etats impliqués et s’il existe un suivi objectif, afin de vérifier la tenue des garanties assurées. Cependant, la CEDH laisse ouverte la question de savoir quel poids doit être accordé à chacun des critères. Dans cette affaire, le fait qu'un accord concret avait été prévu pour le suivi par une institution des droits de l’homme indépendante a certainement joué un rôle important dans la décision de la Cour d'écarter les risques de violation grave de l’art. 3 CEDH.

Non-respect du droit à un procès équitable en tant qu’obstacle à l’extradition

Malgré cette appréciation, la CEDH a considéré l’extradition comme inadmissible. Elle a considéré pour la première fois dans son histoire le non-respect du droit à un procès équitable (art. 6 CEDH) dans l’Etat visé comme obstacle à l’extradition. Cependant, la CEDH a mis l’accent sur le fait que non pas la totalité des violations de l’art. 6 CEDH laisserait paraître l’extradition comme inacceptable, mais seul un refus grave et manifeste du droit à un procès équitable. C’est ce que la CEDH a admis en rapport avec le risque qu’il y aurait lors de la réouverture du procès contre le plaignant en raison des dépositions des co-accusés obtenues sous la torture.

Reste à savoir pourquoi la Cour n’a pas pris en considération également les assurances diplomatiques d’un procès équitable données par la Jordanie, qui correspondaient aux prescriptions de l’art. 6 CEDH. Le fait que la CEDH se prononce par contre en faveur d’un élargissement de la protection contre l’extradition lors de violations graves de l’art. 6 CEDH et – tel qu’évoqué dans l’arrêt – même en cas de violations graves du droit à la liberté et à la sûreté (art. 5 CEDH), est un éclaircissement d'importance pour la pratique.

Toutefois, l’arrêt démontre aussi l’exercice argumentatif difficile entre l’exclusion du risque de torture au motif de l’existence d’une assurance et la violation systématique de l’interdiction de la torture pouvant mener de nouveau à l’admission d’une violation de l’art. 6 CEDH. En outre, il faut attendre de voir si cet arrêt représentera un point de départ pour la reconnaissance d’un nouvel obstacle général à l’extradition ou si ce ne sont que les circonstances particulières de l’assurance diplomatique de la Jordanie, notamment l’implication des plus hauts représentants des deux Etats parties, qui ont conduit à l’admission de la violation des garanties de procédure comme obstacle à l’extradition et si, par conséquent, il ne sera appliqué que de manière exceptionnelle.

Réactions à l’arrêt

Le fait qu’Abu Qatar n’a pu être extradé à la suite de l’arrêt de la CEDH a été commenté de manière hostile dans la presse britannique. Cela a conduit à des critiques massives de la part du Gouvernement britannique concernant la pratique de la Cour. A la demande du recourant, qui maintient la violation de l’art. 3 CEDH, une Commission de la Cour examine actuellement si les faits doivent être transmis à la Grande Chambre.

^ Retour en haut de la page