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L’isolement en tant que défi pour la détention

Le CPT et la CEDH concrétisent les exigences pour un placement à l’isolement conforme aux droits humains

Abstract

Auteur : Alexander Spring

Publié le 27.06.2012

Pertinence pratique :

  • Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) concrétisent les critères de conformité de l’isolement avec les droits humains.
  • La décision de placement à l’isolement doit pouvoir s’appuyer sur une base légale claire et doit satisfaire aux exigences du principe de la proportionnalité, au cas par cas.
  • Avant toute extradition, l’État qui expulse doit vérifier s’il existe un danger concret que la personne expulsée puisse se retrouver, dans l’Etat cible, en détention à l’isolement dans des circonstances contraires aux droits de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).

L’isolement, c’est-à-dire l’isolation totale d’une personne détenue des autres détenu-e-s, est la forme extrême de la détention et est souvent désignée comme «détention dans la détention». L’isolement des détenu-e-s peut avoir de graves conséquences sur leur santé psychique et physique. Même si, comparativement, il n’y a que peu de détenu-e-s en détention à l’isolement, le contrôle des conditions de ce régime de détention constitue, pour cette raison, un point sensible du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). Dans son Rapport annuel 2010-2011, le CPT a traité en détail ce domaine problématique.

Les motifs admissibles pour une décision de placement à l’isolement

Le CPT définit quatre cas de figure, dans lesquels l’isolement peut en principe être appliqué lors de la détention:

  • L’isolement résultant de la décision d’un tribunal: Dans la plupart des pays européens, il existe la possibilité d’ordonner lors de la détention provisoire le placement à l’isolement, afin d’éviter les risques de collusion. L’isolement en tant que sanction pénale n’est pas admissible, selon le CPT.
  • L’isolement en tant que sanction disciplinaire: L’isolement est une mesure disciplinaire courante dans le cadre de la détention européenne. Elle ne doit, cependant, être appliquée qu’en tant qu’ «ultima ratio». C’est-à-dire en tant que punition en cas de manquements considérables de la part des personnes détenues au règlement interne de l’établissement carcéral.
  • L’isolement administratif à des fins préventives: les détenu-e-s dangereux-ses, qui représentent un danger pour autrui, peuvent être mis-e-s à l’isolement pour le maintien de la sûreté et de la sécurité de l’établissement carcéral. Ce type d’isolement peut durer, selon le degré de dangerosité actuel de la personne détenue, de quelques heures à des années. Il est effectué, dans la plupart des cas, dans des quartiers de haute sécurité.
  • L’isolement à des fins de protection: Chaque système carcéral connaît des détenu-e-s, qui, par exemple, en raison de leur motif de détention (par ex. pédophilie) ou en raison de leur appartenance à un groupe, doivent être protégé-e-s des autres détenu-e-s. L’État peut remplir dans de tels cas l'obligation de protection qu’il a vis-à-vis des détenu(e)s par l’instauration d’une détention à l’isolement.

Les critères de fond du CPT

Étant donné que la décision de placement à l’isolement porte atteinte, de surcroît, aux droits déjà limités par la privation de liberté des détenu-e-s, celle-ci doit pouvoir être justifiée au cas par cas. Pour l’appréciation de sa légalité, les principes suivants, notamment, sont d’une importance primordiale :

  • Le principe de la proportionnalité: La décision de placement à l’isolement doit toujours se trouver en rapport avec une mise en danger imminente ou potentielle de biens juridiques importants. De par la restriction sensible des droits des détenu-e-s, le principe de la proportionnalité n’est en principe respecté que lorsqu’il s’agit d’intérêts publics prépondérants. On devrait avoir recours, chaque fois qu’il est possible, à des moyens plus cléments, afin de maintenir en équilibre les intérêts publics, surtout du point de vue du lieu et du temps. Chaque isolement ordonné ne devrait restreindre les droits des détenu-e-s que dans la mesure nécessaire à chaque cas concret pour le maintien de l’ordre de l’établissement, ce qui veut dire qu’il faut éviter les restrictions schématiques. Cela ne signifie donc pas que l’isolement entraîne automatiquement une restriction des contacts avec l’extérieur (téléphone et lettres) et avec les autres ressources normalement disponibles. Au contraire, les contacts sociaux à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement pénitencier doivent être encouragés, autant que possible.
    En outre, l’isolement ne devrait pas se différencier de la détention normale (par exemple, l’exercice en plein air, l’aménagement des cellules et les soins médicaux). Le CPT recommande particulièrement que l’on supprime la restriction selon laquelle les seules lectures à caractère religieux doivent être permises pendant l’isolement disciplinaire.
  • Base légale: Chaque forme d’isolement doit pouvoir s’appuyer sur une base légale suffisante. Cette dernière doit être communiquée de façon compréhensible aux détenu-e-s concerné-e-s. Elle devrait être formulée de telle manière à ce que les circonstances dans lesquelles l’isolement peut être ordonné soient décrites de manière précise. Ensuite, il faut désigner les autorités compétentes pour ordonner cette mesure et réglementer les modalités de la procédure prévues, ainsi que les droits de recours.
  • L’obligation de rendre des comptes: La décision de placement à l’isolement doit être documentée. Pour cela, il faut énumérer toutes les circonstances qui ont conduit à la décision de placement ou de maintien de l’isolement. De surcroît, tous les contacts entre le personnel et la personne détenue doivent être consignés.
  • Pas de discrimination: Les autorités compétentes pour ordonner l’isolement doivent prendre particulièrement soin à ce que les éléments non pertinents ne soient pas pris en compte dans la décision et surtout, que les membres de certains groupes ne soient pas affectés davantage par ces mesures, sans motifs objectifs et raisonnables.

Nouveaux arrêts de la CEDH sur la conformité de l’isolement avec les droits humains

Le fait que l’isolement conduit sans cesse à des problèmes et à des discussions peut également être constaté dans trois nouveaux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de 2012. Ces arrêts font largement références aux normes du CPT.

Dans les arrêts Piechowicz c. Pologne et Horych c. Pologne, il fallait juger de l’admissibilité de l’isolement qui avait été ordonné à l’encontre des recourants pour deux ans et neuf mois, respectivement sept ans et neuf mois pour motif de dangerosité. Dans les deux cas, la Cour a constaté une violation de l’art. 3 CEDH. En raison de leur dangerosité, la CEDH a jugé, certes, la décision primaire de placement à l’isolement pour les deux recourants conformes à la Convention. En revanche, elle a considéré que les modalités concrètes de l’isolement étaient disproportionnées. Elle est arrivée à cette conclusion non seulement à cause de la durée de la mesure, mais aussi à cause des possibilités manquantes d’exercice physique et mental, de l’utilisation stricte et schématique des mesures de sécurité (le port des menottes à chaque sortie de la cellule, des contrôles répétés des orifices corporels), et de la possibilité manquante de faire examiner la conformité au droit de l’isolement.

Dans un autre cas de figure, la CEDH a dû juger de la conformité de l’isolement à la Convention européenne des droits de l’homme dans l’arrêt controversé Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni. Concrètement, il fallait examiner ici si l’extradition de six terroristes présumés vers les USA et leur placement à l’isolement, prévu dans une prison de haute sécurité («ADX-Supermax») violerait l’art. 3 CEDH. En confirmation de sa pratique passée, la Cour a retenu qu’une isolation sensorielle et sociale complète ne saurait jamais être justifiée et violerait ainsi l’art. 3 CEDH. D’autres formes d’isolation de personnes détenues, moins étendues, pourraient également se trouver en contradiction avec cette garantie. L’étendue de l’isolement, sa durée, ainsi que le but à atteindre et les conséquences sur la santé des personnes concernées par ces mesures seraient des éléments décisifs pour l'appréciation. C’est la raison pour laquell aucunes limitation abstraite de durée n’a pu être définie pour un placement à l’isolement admissible. En revanche, une telle mesure ne devrait pas être ordonnée pour une durée indéterminée, mais il faudrait pourvoir, de manière procédurale, à ce que le bien-être de la personne concernée et la proportionnalité de la mesure soient respectés pendant toute sa durée.

En s’appuyant sur ces principes, la Cour est arrivée à la conclusion que l’extradition du recourant ne violait pas l’art. 3 CEDH, même en sachant qu’il serait détenu dans une prison de haute sécurité américaine. En considérant le fait que, dans le cas des six terroristes présumés, le risque d’une mise en danger de la sécurité était suffisamment grand, des restrictions d’envergure des conditions de détention ainsi que la décision de placement à l’isolement seraient en principe justifiées. Cela serait certes l’objectif de ce régime de détention que d’exclure tout contact social entre les détenu-e-s et aussi de réduire au minimum les interactions sociales avec le personnel carcéral. En revanche, les détenu-e-s ne se trouveraient pas dans une isolation sensorielle et sociale totale, étant donné que dans la prison «Supermax» les détenu-e-s auraient à leur disposition suffisamment de prestations de service et de programmes d’activités à l’intérieur de leur cellule (TV, radio, programmes de formation etc.). De surcroît, chaque personne détenue aurait la possibilité de communiquer régulièrement par écrit ou téléphoniquement avec ses proches. En outre, l’existence de possibilités réalistes pour les recourants d’un assouplissement des conditions de détention (en partant des contacts multipliés avec les autres détenus jusqu’au transfert en détention normale) a été un élément de poids dans la décision rendue par la CEDH

Prises de position sur l’isolement en Suisse

Le Tribunal fédéral avait déjà fait remarquer en 1997 que l’isolement peut se révéler indigne de l’être humain, «surtout lorsque viennent s’ajouter des conditions de détention aggravantes (durée plus longue, petite cellule, peu de lumière, nourriture insuffisante, restrictions extrêmes des contacts avec le monde extérieur, etc.)». Dans son Rapport sur la Suisse de l’année 2008, le CPT a aussi critiqué certains faits, lors de l’isolement à des fins préventives, qui, en Suisse, est effectué dans des quartiers de haute sécurité. Il a critiqué notamment le fait que pour les détenu-e-s ayant des troubles psychiques, il n’y aurait souvent aucune infrastructure médicale suffisante. De surcroît, le CPT a recommandé de réglementer clairement par écrit les raisons et la procédure pour la détention dans un quartier de haute sécurité.

Dans son Rapport sur la visite de la prison de Bochuz (VD) du mois de février 2012, la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) a également attiré l’attention sur les conséquences graves qu’un isolement pourrait avoir sur les personnes détenues ou en thérapie stationnaire. Cet organisme a critiqué notamment le manque de proportionnalité dans l’aménagement de l’isolement. Les restrictions de la détention dépassent souvent les limites de ce qui serait nécessaire pour le maintien de la sécurité de l’établissement. Ainsi, par exemple, cette mesure est régulièrement ordonnée pour une durée minimale de six mois. De surcroît, il faudrait veiller à ce que le contact avec le personnel carcéral et le monde extérieur ne soit pas restreint inutilement.

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