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L’approche concernant les initiatives populaires

Pour un aménagement du droit à l’initiative conforme aux droits humains

Abstract

Auteures : Eva Maria Belser, Andrea Egbuna-Joss

Publié le 14.03.2013

Résumé :

  • Deux recommandations de l’EPU, qui ont été soumises à un examen approfondie, concernent le rapport de la Suisse aux initiatives populaires et exigent des mesures pour améliorer la compatibilité des initiatives populaires avec les droits fondamentaux et les droits humains (recommandations 123.59 et 123.60). Le Conseil fédéral a rejeté ces deux recommandations le 27 février 2013.
  • Les motions acceptées par le Parlement en 2011 et 2012, qui proposent de soumettre les initiatives populaires à un examen préliminaire matériel (non-contraignant) ainsi que d’élargir les motifs de nullité, ne satisfont que partiellement à ces recommandations.
  • Une troisième recommandation, rejetée par la Suisse dès octobre 2012, exige l’abrogation de l’interdiction des minarets à l’art. 72 al. 3 de la Constitution fédérale (recommandation 124.3).

Recommandation similaire en 2008

Déjà dans le cadre du premier Examen Périodique Universel de la Suisse en 2008, la Belgique avait recommandé à la Suisse de prendre des mesures législatives et d’autre nature, pour que les droits humains soient pris en considération à temps par les autorités judiciaires, en particulier pendant l’élaboration des initiatives populaires, afin de garantir leur conformité avec les obligations internationales (EPU de la Suisse 2008, recommandation 57.4). La Suisse avait rejeté la recommandation en 2008 en invoquant le fait qu’aucune mesure supplémentaire n’était nécessaire pour atteindre le but de la recommandation. Elle estimait que le Conseil fédéral suisse et le Parlement examineraient de toute façon, préalablement, la conformité des initiatives populaires avec le droit international. Les initiatives populaires qui violeraient le droit international impératif seraient déclarées nulles par l’Assemblée fédérale; et, même si ces initiatives étaient adoptées, leur application serait mise en conformité avec le droit international (cf. EPU, A/HRC/8/41/Add.1).

Statu quo inchangé

La recommandation faite par la Belgique dans le cadre du premier EPU se rapportait à l’Initiative populaire fédérale «Contre la construction des minarets», qui avait été lancée en mai 2007 et qui avait eu une résonnance mondiale. En 2008 déjà, la réaction de la Suisse officielle n’avait pas totalement convaincu. La Suisse n’a jamais connu – sauf dans le domaine du droit international impératif –de mesures constitutionnelles ou institutionnelles qui empêchent l’adoption d’initiatives populaires contraires aux droits humains.

Il est vrai que le Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale effectuent un contrôle de l’initiative vis-à-vis des droits humains, mais cette intervention est insuffisante à deux égards. D’une part, il ne s’agit pas (tel que la Belgique l’a recommandé) d’une autorité judiciaire qui contrôle la conformité d’une initiative avec les engagements pris par la Suisse en matière de droits humains. D’autre part, le contrôle effectué par le Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale n’est pas à même de garantir les engagements pris par la Suisse en matière de droits humains; étant donné que mêmes les initiatives populaires qui sont considérées comme contraires aux droits humains (tel fut le cas lors de l’Initiative contre l’interdiction des minarets) doivent être soumises au vote du peuple et des cantons. Et si, finalement, une variante respectueuse du droit international est proposée pour mettre en œuvre une initiative adoptée par le peuple, cela ne permet souvent pas de débloquer la situation. Le conflit concernant l’application de l’Initiative sur le renvoi et l’Initiative sur la mise en œuvre déposée en décembre 2012 illustrent parfaitement ce problème. C’est aussi pour cette raison que la Belgique avait exigé un contrôle des tribunaux suffisamment tôt.

Le fait que quatre années plus tard, il a été recommandé à la Suisse d’abroger l’interdiction des minarets, surprend tout aussi peu que le rejet immédiat de cette recommandation par la Suisse. Seuls le peuple et les cantons, mais pas le Conseil fédéral ou l’Assemblée fédérale, peuvent supprimer l’interdiction des minarets de la Constitution en vigueur (art. 72, al. 3 Cst.). Ainsi, il appartient au Tribunal fédéral, ainsi qu’à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, d’éclaircir la situation juridique.

Nécessité d’agir reconnue

La nécessité d’agir pour améliorer la conformité des initiatives populaires avec le droit international en général, et avec les droits fondamentaux et les droits humains en particulier, est largement reconnue en Suisse (cf. l’article dans la Newsletter du CSDH du 6 mai 2011). Le Conseil national et le Conseil des États ont adopté en 2011 et en 2012 deux motions à ce sujet. L’une exige la création de bases légales pour un examen matériel préliminaire des initiatives, qui se déroulerait avant le début de la collecte des signatures et qui serait non-contraignant. L’autre exige d’élargir les critères fondant la déclaration de nullité d'une initiative au respect de l'essence des droits fondamentaux de la Constitution et de ceux inscrits dans la CEDH. (cf. article dans la Newsletter du CSDH du 1er février 2012). Il revient désormais au Conseil fédéral d’élaborer un projet.

Les mesures prévues à la lumière des recommandations EPU

La première des mesures proposées, à savoir l’examen préalable de l’initiative populaire par l’administration avec possibilité d’amélioration ultérieure et obligation d’une remarque préventive, n’est pas à même de satisfaire aux recommandations qui ont été adressées à la Suisse dans le cadre de l’EPU. Un examen préalable non-contraignant ne peut pas empêcher que des initiatives populaires contraires aux exigences du droit international en matière de droits humains soient soumises au vote du peuple et des cantons et acceptées par ces derniers.

La deuxième mesure -soit le fait d’élargir les critères de nullité d’une initiative au respect de l’essence des droits fondamentaux et des droits humains- est davantage en accord avec les recommandations de l’EPU. Mais il reste encore des questions importantes à régler, notamment celle de savoir quelle instance doit être compétente pour contrôler et pour décider de la nullité d’une initiative, et à quel moment de la procédure d’initiative cette instance intervient. La réponse à cette question est d’autant plus décisive que l’essence des droits fondamentaux et des droits humains ne peut être déduite clairement ni de la Constitution fédérale, ni de la CEDH, ni des autres conventions internationales relatives aux droits humains, mais doit plutôt être déterminée par une interprétation des valeurs (et en prenant en considération la jurisprudence européenne et internationale).

Décision du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral a rejeté le 27 février 2013 les recommandations 123.59 et 123.60. Il explique dans sa réponse que la possibilité pour les citoyens suisses de demander des amendements de la Constitution par le biais d’une initiative populaire constitue un élément fondamental de la démocratie suisse. «Des mesures législatives visant à améliorer la compatibilité entre les initiatives populaires et le droit international sont actuellement à l’examen», ajoute-t-il. «Il est impossible de prévoir quelle sera la décision du Parlement à ce propos.»

Compte tenu de la situation décrite précédemment et du fait qu’une révision partielle de la Constitution fédérale est nécessaire pour élargir les motifs de nullité des initiatives populaires, cette décision du Conseil fédérale n’est pas étonnante. On peut cependant espérer que le Conseil fédéral saura faire avancer les efforts déjà entrepris et prendra en considération, lors de l’élaboration du message, les nouvelles recommandations internationales.

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