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Le droit au regroupement familial de la directive 2004/38/CE examiné par la Cour de l’AELE

Interprétation du droit au regroupement familial pour les personnes au bénéfice d’un permis de résidence permanent (arrêt E-4/11)

Abstract

Auteure : Fanny Matthey

Publié le 26.10.2011

Pertinence pratique

  • La Cour de l’Association européenne de libre-échange exerce sa juridiction sur les Etats membres de l'Association européenne de libre-échange (AELE) qui ont adhéré à l’Espace économique européen (EEE). Il s’agit de la Norvège, de l’Islande et du Liechtenstein. La Suisse n’est donc pas directement touchée par cet arrêt.
  • Il a cependant une certaine pertinence politique dans la mesure où la Suisse, avec son Accord de libre circulation figé, ne suit pas l'évolution européenne et se trouve en décalage avec les normes européennes, dans ce domaine en tout cas.

La question posée à la Cour AELE

Les articles 16 à 18 de la directive 2004/38 de l’Union européenne relative au droit des citoyens de l'UE et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (appelée « Directive sur la libre circulation », DLC) prévoit qu’un citoyen de l’UE qui séjourne sur le territoire d’un Etat membre pendant cinq années ininterrompues y acquiert, sans condition, un droit de séjour permanent. Le droit de séjour permanent n’est soumis à aucune exigence (pas même financière) et n’est perdu qu’en cas d’absence ininterrompue de plus de deux ans ou de mesures d’éloignement motivées pour des raisons d’ordre ou de sécurité publics.

La question qui est posée à la Cour AELE est de savoir si un ressortissant de l’EEE au bénéfice d’un permis de résidence permanent, qui est retraité et qui perçoit des prestations de l’aide sociale, peut se prévaloir du droit au regroupement familial, sachant que les membres de la famille vont également demander une aide sociale.

Résumé des faits

A. Clauder est un ressortissant allemand au bénéfice d’un droit de séjour permanent au Liechtenstein. Il est retraité et reçoit des prestations complémentaires. Il épouse une ressortissante allemande et dépose pour elle une demande de regroupement familial. Les autorités du Liechtenstein refusent au motif que M. Clauder ne dispose pas de ressources financières suffisantes et que les prestations complémentaires qu’il reçoit devront être augmentées si son épouse est autorisée à résider avec lui au Liechtenstein. M. Clauder, dans son recours, fait valoir que la DLC n’exige pas de disposer de moyens financiers suffisants. Le Tribunal administratif du Liechtenstein (auprès duquel le recours a été déposé) demande à la Cour AELE d’interpréter l’article 16 par. 1 DLC.

Raisonnement de la Cour

Dans son jugement, la Cour AELE a interprété l’article 16 DLC dans le sens invoqué par Arnulf Clauder et a principalement retenu les éléments suivants.
La directive sur la libre circulation connaît trois types de droits de séjour différents. L’article 6 traite du droit de séjour inférieur à trois mois, l’article 7 est consacré au droit de séjour supérieur à trois mois, mais temporaire, et l’article 16 concerne le droit de résidence permanent.

Pour établir son raisonnement, la Cour examine la question en deux temps. Elle se demande d’abord si l’article 16 DLC confère un droit de résidence dérivé aux membres de la famille qui entendent bénéficier du regroupement familial et s’interroge ensuite sur le fait de savoir si un tel droit (de résidence) dérivé peut être exercé indépendamment des ressources financières des membres de la famille ou du bénéficiaire.

Pour répondre à la première question, la Cour rappelle tout d’abord la systématique de la directive. L’article 16 est silencieux sur la question des membres de la famille, alors que l’article 7 prévoit expressément qu’un membre de la famille pourra accompagner un citoyen de l’UE pour autant que le bénéficiaire du droit de séjour dispose tant de ressources financières suffisantes pour lui-même et pour sa famille que d’une assurance maladie complète et qu’ils ne dépendent pas de l’assistance sociale. La Cour déduit donc que le droit de résidence permanent prévu par l’article 16 confère un droit dérivé de résidence aux membres de la famille. Dans la mesure où ce droit de résidence représente le plus haut degré d’intégration, il ne peut pas être compris autrement qu’incluant le droit de vivre avec sa famille.

En ce qui concerne la seconde question, la Cour souligne que l’article 16 DLC prévoit un droit de résidence sans condition et que cette situation est notoirement différente de celle qui prévalait sous l’empire des anciennes directives (90/364 et 90/365) qui contenaient la possibilité pour les Etats de soumettre le droit de résidence à la condition, notamment, d’avoir des ressources financières suffisantes.

La Cour est ainsi d’avis que si un ressortissant d’un Etat membre a un droit permanent et inconditionnel au séjour, l’empêcher de fonder une famille reviendrait à affaiblir son droit de circuler et de s’établir librement, ce qui serait contraire au but de la directive et la priverait de toute effectivité. Toujours selon la Cour, il ne peut pas en aller autrement, même si le membre de la famille devait dépendre de l’aide sociale. Enfin, dans la mesure où la Cour admet que le droit consacré à l’article 16 DLC n’est pas soumis à condition et qu’il confère de surcroît un droit dérivé pour la famille du bénéficiaire, il faut présumer que le droit dérivé en question ne peut pas non plus être soumis à la condition des ressources financières suffisantes. La Cour rappelle enfin le droit à la vie privée et familiale garanti par l’article 8 CEDH.

En conclusion, la Cour estime que l’article 16 par. 1 DLC doit être interprété de telle manière à ce qu’un ressortissant (à la retraite et au bénéfice de l’aide sociale) qui dispose d’un droit de résidence permanent peut revendiquer le droit au regroupement familial même si le membre de sa famille, pour lequel il fait valoir ce droit, réclamera aussi des prestations d’aide sociale.

Commentaire

Le regroupement familial repose sur le droit au respect de la vie privée et familiale et se fonde en principe sur la durabilité du séjour. Pour schématiser, il est possible de dire que plus la personne concernée bénéficie d’un droit de séjour durable et stable, plus son droit au regroupement familial sera facilement reconnu et moins les conditions relatives au regroupement seront rigoureuses. Il en va ainsi tant en droit européen qu’en droit suisse. Toutefois, le regroupement familial a une portée propre en droit européen. La DLC est en effet un instrument qui poursuit une visée économique et qui souhaite éliminer l’obstacle que représente pour les citoyens de l’UE l’obligation de se séparer de leurs proches. La vie familiale étant primordiale pour l’exercice effectif de la liberté de circulation, la Cour de justice de l’Union européenne a étendu progressivement et considérablement le bénéfice du regroupement familial des citoyens de l’UE (voir par exemple les arrêts Metock et Zambrano).

Cette affaire est intéressante à double titre. Le premier point consiste à observer les différences de mécanismes entre l’accord EEE et l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP). Il y a, d’un côté, un accord dynamique avec l’accord EEE qui intègre au fur et à mesure la législation européenne et, de l’autre, un accord statique (ALCP) qui fait dater au 21 juin 1999 toute la législation applicable. Le système de l’ALCP présente donc un net désavantage pour les ressortissants de l’Union européenne par rapport à celui de l’EEE en raison de sa structure figée et non réceptive à l’évolution législative et jurisprudentielle.

Il importe en outre de souligner qu’en Suisse l’autorisation d’établissement ne relève pas de l’ALCP, mais de la loi fédérale sur les étrangers (LEtr). Les citoyens de l’UE au bénéfice d’un permis d’établissement doivent donc se référer à l’article 34 LEtr (et 43 LEtr pour le droit au regroupement familial) qui implique un régime plus favorable que l’ALCP puisque l’autorisation est octroyée pour une durée indéterminée et sans condition. L’autorisation d’établissement peut cependant être révoquée si le bénéficiaire (ou une personne à sa charge) « dépend durablement et dans une large mesure de l’aide sociale » (art. 63 al. 1, let. c LEtr), ce qui implique donc un décalage supplémentaire avec le droit évolutif de l’Union européenne.

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