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Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale se prononce sur le statut d’admis provisoire (permis F)

Bien que les conditions de la discrimination raciale ne soient pas réunies en l’espèce, le Comité estime que ce statut entraîne des conséquences néfastes pour les personnes concernées

Abstract

Auteure : Fanny Matthey

Publié le 05.06.2014

Pertinence pratique :

  • Le Comité est saisi d’une communication présentée par un ressortissant somalien, détenteur d’une admission provisoire en Suisse (permis F), qui estime que ce statut est contraire à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
  • Dans le cas d’espèce, le Comité estime que les actes imputables à l’Etat ne constituent pas une violation de la Convention.
  • Le Comité recommande toutefois à la Suisse de revoir le régime de l’admission provisoire afin de mieux garantir les droits fondamentaux des personnes concernées.

Contexte

A.M.M. dépose une demande d’asile en Suisse, à laquelle suit une décision d’admission provisoire. Il reçoit CHF 12,50 par jour à titre d’aide sociale. L’autorité cantonale compétente met un logement à sa disposition et s’acquitte du paiement de son assurance-maladie. A.M.M. présente de manière détaillée les démarches qu’il a entreprises depuis pour travailler (ce qu’il a fait de 2000 à 2002 dans des conditions précaires) ou se former (dans l’hôtellerie, domaine où il a exercé pendant deux ans, ou au niveau universitaire). D’autres aspects de sa vie privée sont aussi explicités (traitement médical, inspection de son domicile, obligation de suivre des cours sur «la vie en Suisse», demande de sortie du pays, etc.).

Régime d’admission provisoire

Dans ses observations, la Suisse rappelle que «l’admission provisoire n’est pas une autorisation de séjour mais constitue une mesure de substitution à la décision de renvoi». Elle précise aussi que «ce groupe de personnes [personnes soumises au régime d’admission provisoire] a été déclaré groupe-cible de l’encouragement à l’intégration». Ces deux affirmations illustrent l’ambiguïté de ce régime. Il s’ensuit un certain nombre d’obligations ou de contraintes qui encadrent ce statut:

  • A.M.M. réside dans le canton de Vaud. L’affaire permet de rappeler que ce sont les cantons qui sont compétents en matière d’accès au marché du travail, d’aide sociale, de limitation dans les choix du médecin et du logement notamment.
  • En ce qui concerne l’accès au marché du travail, les personnes avec un permis F peuvent exercer une activité lucrative moyennant une autorisation, qui doit être requise par l’employeur. En emploi, elles se voient prélever 10% de leurs revenus par l’Office fédéral des migrations (ODM) au titre de taxe spéciale. Par ailleurs, dans le cas d’espèce, des contrôles téléphoniques hebdomadaires ont été effectués auprès de l’employeur. Enfin, si l’admis provisoire trouve un emploi dans un autre canton, il doit, pour pouvoir l’occuper, recevoir une autorisation de l’ODM (rejetée en l’occurrence).
  • Pour suivre une formation à l’étranger, il faut obtenir une attestation d’admission provisoire (non reçue pour la revalidation du brevet de navigation maritime; apparemment reçue pour suivre une formation en Allemagne). En outre, l’accès à une formation universitaire est strictement encadré. Dans le cas d’espèce, l’Université de Lausanne exigeait, pour les permis F, trois ans d’expérience professionnelle. L’inscription de A.M.M. a été refusée. Il a en revanche été admis à l’Université de Genève, mais l’autorisation de changer de canton ne lui a pas été octroyée.
  • En matière de soins, les personnes au bénéfice d’un permis F peuvent recevoir les soins d’urgence. Pour les autres traitements, elles doivent préalablement recevoir une garantie de paiement de l’autorité cantonale concernée.
  • Concernant le logement, il est prévu que des contrôles puissent être effectués: l’autorité compétente peut «faire irruption dans le domicile sous certaines conditions liées à l’intérêt public et dans le respect de la proportionnalité» (en l’occurrence pour un contrôle de salubrité et un métrage du logement).

Discrimination raciale

A.M.M. allègue qu’il a fait l’objet de discriminations en matière d’emploi, de formation, de soins médicaux, de liberté de mouvement et de protection de sa vie privée.

Le Comité rappelle que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale «vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique», mais que la Convention ne s’applique pas lorsque la différence de traitement se fonde sur le critère de la nationalité ou de la citoyenneté par exemple.

Dans le cas d’espèce

Le Comité estime que A.M.M. n’a pas pu convaincre que les discriminations invoquées se fondent sur son origine ethnique ou nationale, plutôt que sur son statut d’admis provisoire. Il n’y a dès lors pas de discrimination raciale.

Le Comité juge cependant que la situation des admis provisoires est problématique et recommande à la Suisse de «revoir sa réglementation relative au régime de l’admission provisoire, afin de limiter autant que possible les restrictions à la jouissance et à l’exercice des droits fondamentaux, plus particulièrement les droits relatifs à la liberté de circulation, surtout lorsque ce régime se prolonge dans le temps».

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