Études et rapports
Numérisation et vie privée au travail
Opportunités et risques des technologies numériques
Abstract
Les technologies numériques, telles que l’intelligence artificielle, les mégadonnées, les superordinateurs ou encore l’Internet des objets, ont non seulement le potentiel d’amener des changements positifs dans notre vie, mais constituent aussi une menace sérieuse pour les droits humains, et notamment pour le droit au respect de la vie privée des employé·e·s. L’étude du CSDH présente les technologies numériques qui jouent aujourd’hui, et joueront à l’avenir, un rôle dans les rapports de travail et répond aux questions concernant leurs répercussions sur le droit au respect de la vie privée.
Numérisation du poste de travail
Au travail, les technologies numériques sont utilisées dans une foule de processus : la sélection des candidat·e·s à un emploi, l’optimisation des chaînes de valeur et des processus de communication, la protection des moyens de production ou encore de la sécurité des employé·e·s, leur surveillance et leur contrôle ainsi que les instructions qui leur sont données, entres autres.
Parmi les exemples les plus récents du recours à des technologies numériques au travail, citons la géolocalisation par GPS, les technologies portables (par ex. montres ou lunettes intelligentes) et les systèmes à base biométrique et autres systèmes algorithmiques « intelligents » (tels que les logiciels vidéo qui analysent de manière automatisée le comportement des candidat·e·s). Le tournant numérique va par ailleurs de pair avec un élargissement de la palette de modèles de travail, car le travail s’affranchit des contraintes de lieu et de temps.
Traitement des données : où est la limite ?
La numérisation du poste de travail a pour corollaire une capacité de traitement des données pratiquement illimitée, le risque étant que les technologies collectent des données non seulement professionnelles, mais aussi personnelles.
Dès lors, tous les processus de traitement de données utilisés dans le monde du travail doivent satisfaire aux exigences de transparence et se rapporter aux aptitudes d’une personne à occuper un emploi ou être nécessaires à l’exécution du contrat de travail. Pour justifier le recours aux technologies numériques, les intérêts de l’employeur·euse doivent être d’autant plus légitimes que le risque est grand pour la vie privée des employé·e·s. Le traitement de données sensibles (par ex. en rapport avec la santé) ou l’élaboration de profils de personnalité (profilage) doivent satisfaire à des exigences particulières.
Évolution des dispositions légales dans un domaine difficile à réglementer
Les instances législatives ont souvent un temps de retard sur les nouvelles technologies, qui progressent à un rythme vertigineux, de sorte que, dans la vie quotidienne et au travail, il y a de plus en plus de cas d'utilisation de technologies numériques qui ne sont pas encore couverts par les lois existantes. Ces derniers doivent donc être évalués par voie d'interprétation.
Dès lors, les dispositions légales récemment adoptées par l’Union européenne et par la Suisse exigent qu’il soit tenu compte de la protection des données dès la phase de conception des technologies (privacy by design) et que les paramètres par défaut soient favorables au respect de la vie privée (privacy by default). À titre complémentaire, ces législations demandent des études d’impact sur la vie privée (privacy impact assessment) lorsque le traitement des données présente un grand risque pour la personnalité ou les droits fondamentaux de la personne dont les données sont traitées.
L’importance de la prise en compte du droit du travail
Lorsqu’on aborde le sujet des technologies numériques au travail selon une perspective des droits humains, il est important de ne pas se limiter au domaine de la protection des données, mais de renforcer aussi la protection de la vie privée dans le droit du travail. Comme le montre la débat entourant les contrats d’engagement d’Uber, il faut en effet aussi placer dans le champ d’application du droit du travail les activités indépendantes favorisées par les technologies numériques, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui.