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Héberger un requérant d’asile débouté dans des abris de protection civile est conforme au droit

Au sujet de l’arrêt du Tribunal fédéral du 22 novembre 2013

Abstract

Auteur : Raffael Fasel

Publié le 12.03.2014

Pertinence pratique :

  • Le Tribunal fédéral estime que le fait d’héberger dans un abri de la protection civile un requérant d’asile débouté – un homme célibataire de 35 ans sans problèmes médicaux – ne constitue pas une atteinte à sa dignité ni une violation de son droit au respect de sa vie privée et familiale, ni une violation de l'interdiction de la torture ou de traitements inhumains ou dégradants.
  • Le Tribunal fédéral ne se prononce pas sur le fait d’héberger des personnes particulièrement vulnérables dans des abris de protection civile.

Faits

S., un requérant d’asile de 35 ans, dont le Tribunal fédéral ne dévoile pas l’origine, dépose une demande d’asile à son arrivée en Suisse. Le 26 juillet 2011, l’Office fédéral des migrations (ODM) refuse d’entrer en matière sur cette demande et prononce le renvoi de S. en Italie, où il a transité pour entrer en Suisse. Pendant l’organisation de son renvoi, S. est hébergé dans un abri de protection civile du canton de Vaud.

S. requiert la reconsidération de son renvoi, ce à quoi l’ODM répond le 7 mars 2012 par un refus d’entrer en matière. S. demande alors à l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) d’être transféré dans un autre type de logement. Il fait valoir en particulier que les conditions d’hébergement dans les abris de protection civile sont inhumaines et dégradantes. Il relève que toute la structure est souterraine, et donc éclairée et aérée artificiellement ; les lieux sont exigus, donnent un sentiment d’enfermement. Les dortoirs sont aménagés de banquettes superposées à trois étages, trop basses pour s’y tenir assis ; il y sent en général mauvais, et le niveau sonore est élevé. De plus, les maladies infectieuses s’y transmettent rapidement et il n’y a pas d’endroit privé dans lequel on puisse installer un tant soit peu ses affaires personnelles. L’abri de protection civile n’étant ouvert que pour la nuit, S. est contraint de passer ses journées dans la rue, sans chauffage, sans eau chaude, sans installations sanitaires ni aucun endroit où se reposer. Ces conditions de vie lui rappellent celles de ses détentions traumatisantes dans son pays d’origine.

Dans sa décision du 16 février 2012, l’EVAM rejette la demande de transfert. S. recourt auprès du Département de l’économie et du sport (DECS), et une décision négative tombe le 29 juin 2012. C’est ensuite au tour du Tribunal cantonal du canton de Vaud de rejeter le 10 octobre 2012 le recours de S. Ce dernier s’adresse alors au Tribunal fédéral en invoquant une violation du droit à la protection de sa dignité humaine (art. 7 Cst, découlant de l’art. 12 Cst), de son droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) et de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (art. 3 CEDH).

Alors que la procédure est encore en cours auprès du Tribunal fédéral, par décision du 14 décembre 2012, l’ODM lève sa décision de non entrée en matière du 7 mars 2012 et rouvre la procédure d’asile de S., au motif que le délai pour procéder au renvoi vers l’Italie est expiré.

L’arrêt du Tribunal fédéral

Dans son arrêt du 22 novembre 2013 (8C_912/2012) le Tribunal fédéral conclut que dans le cas présent, les conditions d’hébergement ne constituent pas une atteinte à la dignité humaine et au droit à une assistance minimale (art. 7 et 12 Cst). Il fait valoir que ce droit garantit uniquement les conditions nécessaires à une survie décente afin de ne pas être réduit à la mendicité, et que sa mise en œuvre doit être différenciée en fonction de la situation de la personne concernée. Dans le cas présent, il convient de prendre en compte particulièrement le fait qu’il s’agit d’un homme célibataire de 35 ans, qui n’a ni obligations familiales ni problèmes de santé. Il souligne en outre que l’aide d’urgence n’a qu’un caractère temporaire, car les personnes sous le coup d’une décision de renvoi du territoire suisse, comme le plaignant, ne doivent d’aucune manière être incitées à y rester.

En ce qui concerne la violation alléguée de l’art. 3 CEDH qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants, le Tribunal fédéral relève qu’un traitement doit atteindre un certain degré de gravité pour tomber sous le coup de cet article. Il ne suffit pas que le traitement comporte des aspects désagréables. L’appréciation de ce degré dépend de l’ensemble des données. Le Tribunal fédéral indique que S. n’est pas une personne particulièrement vulnérable, que l’hébergement proposé par l’aide d’urgence n’est qu’une solution temporaire, qui n’est pas conçue pour un séjour durable. Estimant que le degré de gravité nécessaire n’est pas atteint, le Tribunal fédéral rejette le grief de la violation de l’art. 3 CEDH.

Le Tribunal fédéral examine enfin la violation du droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH). Il considère à ce sujet que l’art. 8 comprend certes le droit d’avoir un domicile et de pouvoir en jouir en toute tranquillité, mais qu’il n’impose pas pour autant à la Suisse de garantir aux personnes un niveau de vie déterminé. Il conclut par conséquent qu’il n’y a en l’espèce pas de violation de l’art. 8 CEDH et qu’il faut rejeter l’ensemble du recours de S.

Une aide d’urgence contestée

Depuis l’entrée en vigueur de la révision de la loi sur l’asile, le 1er janvier 2008, les requérants d’asile ayant reçu une décision de non-entrée en matière, ceux frappés d’une décision négative entrée en force ainsi que ceux dont l’admission provisoire a été levée, n’ont plus droit à l’aide sociale, mais seulement à une aide d’urgence.

Le droit à une assistance en cas de détresse est inscrit à l’art. 12 Cst. Découlant du droit au respect de la dignité humaine (art. 7 Cst.), il garantit à toute personne se trouvant en Suisse le droit de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Contrairement à l’aide sociale, que les cantons peuvent subordonner à des conditions particulières, le droit à l’aide d’urgence est garanti à toute personne dans le besoin se trouvant en Suisse, quel que soit son statut juridique ou sa nationalité.

L’aide d’urgence n’inclut toutefois aucun droit à un revenu minimal. Les cantons décident dans une large mesure comment ils comptent couvrir les besoins de base indispensables à la poursuite d’une vie digne: nourriture, habillement, hébergement et soins médicaux d’urgence, pour l’essentiel.

Les organisations d’aide aux réfugié-e-s et les juristes ont critiqué à plusieurs reprises le fait que le régime d’aide d’urgence appliqué aux requérant-e-s d’asile débouté-e-s sert avant tout à les inciter à quitter la Suisse, et que les diverses aides ne sont pas octroyées de manière simple, mais nécessitent de nombreuses démarches. Les modestes moyens mis à disposition des bénéficiaires de l’aide d’urgence ne permettent pas à ces derniers de mener une existence digne.

Selon les chiffres de l’ODM, 14 290 personnes tenues de quitter la Suisse ont perçu des prestations de l’aide d’urgence en 2012, pendant en moyenne 102 jours, sous forme de logement, de nourriture, de vêtements et de soins médicaux d’urgence.

Loger les bénéficiaires de l’aide d’urgence dans des abris de la protection civile

L’hébergement dans des structures provisoires, telles que les abris de la protection civile, auxquels les cantons recourent par manque de logements ordinaires, pose le problème du respect des droits fondamentaux des bénéficiaires de l’aide d’urgence.

Vivre plusieurs mois dans de telles structures, exiguës et la plupart du temps sans fenêtres, engendre des carences et génère des maladies psychiques. Y loger des personnes vulnérables telles que des familles avec enfants, des personnes mineures non accompagnées, des femmes seules et des personnes malades, traumatisées ou âgées est particulièrement problématique.

Dans sa décision du 22 novembre 2013, le Tribunal fédéral souligne notamment que le recourant, S., n’est pas une personne particulièrement vulnérable, mais un homme célibataire de 35 ans, sans obligations familiales ni problèmes de santé. Il ne répond pas à la question de savoir si l’hébergement dans l’abri de protection civile en question aurait pu ou non être considéré conforme à la législation si le recourant avait été une personne particulièrement vulnérable. Etant donné les besoins de protection particuliers des personnes vulnérables, on peut toutefois se demander si le Tribunal fédéral aurait dans ce cas considéré ces hébergements provisoires de l’aide d’urgence comme conformes aux droits fondamentaux. Par ailleurs, et même pour des hommes seuls et en bonne santé, être logé dans un hébergement de masse accessible seulement la nuit soulève d’autres questions relevant des droits fondamentaux, dès que le séjour dans de telles structures se prolonge ou que le fait de devoir passer la journée à l’extérieur génère des risques pour la santé, par exemple à la mauvaise saison.

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