Articles
Respecter les droits humains, un grand chantier pour le tourisme
Importance de l'initiative multipartite «Table ronde pour les droits humains dans le tourisme»
Abstract
Auteures : Anna-Katharina Burghartz, Laura Marschner
Pertinence pratique :
- Les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme demandent l'intégration et l'implémentation, à l’échelle nationale et internationale, d’un cadre de référence pour la protection des droits humains dans le tourisme. A cette fin, tous les acteurs du tourisme doivent assumer leur responsabilité en matière de droits humains, et cela même si l’obligation de faire respecter ces droits incombe en premier lieu aux Etats.
- Les initiatives multipartites telles que la «Table ronde pour les droits humains dans le tourisme» peuvent être déterminantes pour élaborer des normes applicables à tout le secteur, car elles transposent les Principes directeurs de l’ONU de manière pragmatique et détaillée à la branche du tourisme.
- La table ronde aide les entreprises à assumer leur responsabilité en matière de respect des droits humains en leur proposant un modèle de déclaration d'engagement, un guide de mise en œuvre et des formations en ligne.
- Elle est à l’heure actuelle la seule initiative multipartite de ce domaine à compter des participants suisses. En font partie KUONI - qui en est par ailleurs membre fondateur - et la Fédération Suisse du Voyage.
Le tourisme peut avoir des répercussions négatives sur les droits humains, notamment lorsque la population locale est délogée pour laisser la place à de nouveaux hôtels, lorsque les droits des travailleuses et des travailleurs sont violés ou que des enfants sont exploités sexuellement. Les entreprises doivent elles aussi assumer leur responsabilité en la matière, aux côtés des Etats. Afin de déterminer en quoi consiste cette responsabilité, des entreprises et des organisations de la société civile provenant d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse ont lancé en octobre 2012 une initiative multipartite, la «Table ronde pour les droits humains dans le tourisme». Dans le but d’aider les entreprises à assumer leur devoir de diligence, elles proposent plusieurs outils tels qu’un guide et des formations en ligne. Cette initiative se fonde sur les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (Principes directeurs de l’ONU) adoptés en 2011 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU (cf. l’article de la newsletter du CSDH du 6 mai 2011).
Aspects essentiels des Principes directeurs de l’ONU
En vertu des Principes directeurs de l’ONU, c’est avant tout aux Etats qu’il incombe de veiller à ce que les entreprises respectent les droits humains («Obligation de protéger les droits de l’homme incombant à l’Etat», principes 1 à 10). La responsabilité des entreprises vient compléter ce devoir de l’Etat («Responsabilité incombant aux entreprises de respecter les droits de l’homme», principes 11 à 24): il s’agit pour elles de faire des droits humains un des éléments de leur gouvernance et de les intégrer dans leurs pratiques, d’où leur obligation d’identifier les incidences négatives potentielles ou réelles sur les droits humains, de les prévenir et de les atténuer. Les Principes directeurs exigent également de mettre en place des mécanismes de réparation judiciaires ou non judiciaires qui soient efficaces («Mécanismes de réclamation», principes 25 à 31; sur l’ensemble de ces principes, cf. l’article de la newsletter du CSDH du 6 mai 2011). L’instrument des Principes directeurs de l’ONU n’est certes formellement pas contraignant, mais il est généralement bien reçu par les Etats, la société civile et les acteurs économiques.
Palette des droits humains concernés
Dans le tourisme comme dans les autres secteurs économiques, tous les droits humains sont susceptibles d’être violés: les droits civiques et politiques tout comme les droits économiques, sociaux et culturels (cf. principe 11). Certains d’entre eux sont toutefois particulièrement à risque: la protection contre la discrimination, les droits à la terre, à la santé, à un travail digne, la protection contre le travail forcé, le droit à un niveau de vie adéquat, le droit au respect de la vie privée et en particulier le droit de participer et des droits procéduraux (par exemple, la consultation des peuples indigènes sur les décisions prises dans leur région en matière de développement touristique ou la liberté syndicale). Les droits des femmes, des enfants et des peuples indigènes étant particulièrement menacés, et cela de diverses manières, ces groupes sont particulièrement vulnérables (cf. Alles was Recht ist - Menschenrechte und Tourismus, en allemand).
Une branche en butte à trois difficultés
Trois écueils principaux se présentent aux acteurs du tourisme: l’étendue des secteurs concernés, la grande variété des parties prenantes et l’existence de destinations particulièrement problématiques du point de vue des droits humains, telles que les régions sortant d’un conflit armé.
Une large palette de prestations et de prestataires
Le tourisme comprend des prestations et des produits d’une grande diversité, qui incluent toutes sortes d’entreprises et de secteurs (gastronomie, hôtellerie ou transport par ex.). Il repose donc sur une chaîne logistique très complexe, qui peut aller du voyagiste dans le pays de provenance au prestataire de services dans le pays de destination, en passant par la compagnie aérienne. On comprend dans ces circonstances qu’il n’est pas simple, pour les acteurs de la branche, d’identifier et d’évaluer les problèmes affectant les droits humains, ce qui ne manque pas de soulever des questions sur l’étendue de la responsabilité de ces mêmes acteurs.
Des parties prenantes aux intérêts variés
Pour répondre à ces questions, il faut prendre en compte les intérêts des différentes parties prenantes, soit les gouvernements des pays de départ comme ceux des pays de destination, les entreprises, les investisseurs, les touristes, le personnel travaillant dans le tourisme ainsi que les personnes et groupes touchés par cette activité. Il n’est pas rare que les intérêts économiques entrent en conflit avec le respect des droits humains, et cela par exemple en raison de la forte concurrence qui caractérise la branche (tourisme à bas prix par ex.) ou des avantages économiques que les Etats retirent du tourisme (en attirant des investisseurs étrangers et en se procurant des devises). Il est par ailleurs parfois ardu de concilier les intérêts et les besoins des voyageuses et des voyageurs avec les droits de la population de la région de destination. Dans les régions où l’eau manque par exemple, les pénuries de cette ressource vont souvent de pair avec une forte consommation de la part du secteur touristique (il suffit de penser aux terrains de golf et aux piscines).
Des destinations instables du point de vue politique, juridique ou économique
L'instabilité politique et juridique (aussi appelée déficit de gouvernance) qui règne souvent dans les zones sortant d’un conflit armé ou encore une situation économique instable dans la région de destination augmentent le risque pour les entreprises de se retrouver impliquées dans des violations de droits humains (cf. Rapport de la SPM sur le Sri Lanka, Myanmar Tourism Impact Assessment et Tourism Watch, cahier no 78). Ces régions se caractérisent en effet par une protection insuffisante des droits humains du fait de la faiblesse de l’Etat de droit, de l’absence de mécanismes de mise en œuvre et du manque de volonté politique de protéger et promouvoir les droits humains. Dans ce genre de situation, évaluer les risques qu’elles courent de fouler ces droits est une démarche particulièrement difficile pour les entreprises, qui doit être faite avec tout le soin voulu. Ainsi, depuis la lente ouverture du Myanmar, le tourisme y connaît une forte croissance, qui génère certes des emplois, mais ne va pas sans risques pour les droits humains. Des rapports font par exemple état de propriétaires dépossédés de leurs terrains sans être indemnisés et même sans avoir eu leur mot à dire, pour créer des zones hôtelières spéciales (cf. Myanmar Tourism, Sector Wide Impact Assessment 2015).
Une situation précaire du point de vue de la politique ou de l’Etat de droit dans la région de destination peut aussi entraver toute action en justice contre les responsables de violations des droits humains. Quand la protection juridique offerte par l’Etat n’est pas suffisante, il n’existe souvent pas d’autre moyen qui permettrait aux victimes d’obtenir réparation. Le caractère international des affaires ne facilite pas non plus les choses: lorsqu’un voyagiste suisse opère dans une zone sortant d’un conflit armé et que ses activités sur place génèrent des violations des droits humains, cela représente pour les victimes un obstacle supplémentaire pour accéder aux mécanismes de mise en œuvre et de réparation.
Même dans des destinations stables sur le plan politique, économique et juridique, telles que la Suisse, le secteur touristique est entaché de violations des droits humains, comme l’a relevé la Section suisse d’Amnesty International.
L’apparition du discours sur les droits humains dans le secteur touristique
Encore récemment, seules les stratégies de tourisme durable faisaient référence aux droits humains, et uniquement de manière implicite. Ce n’est que dernièrement que des initiatives (comme la «Table ronde pour les droits humains dans le tourisme» encore évoquée plus bas) s’intéressent de façon spécifique aux répercussions du tourisme sur les droits humains.
Dans les années 1990 déjà, diverses organisations (entreprises touristiques, Etats et la société civile) ont commencé à se soucier des contraintes environnementales et des effets tant sociaux qu’économiques de cette industrie (mentionnons le devoir de diligence découlant de la protection du consommateur dans le tourisme instauré par la directive 90/314/CEE ou les mouvements en faveur d’un tourisme respectueux de l’écologie et du développement, appelés tourisme durable ou tourisme responsable). Lancé en 2000, le Pacte mondial des Nations Unies – la plus grande initiative multipartite d’autorégulation des entreprises au monde – a été l’un des premiers acteurs à promouvoir la responsabilité des entreprises dans le domaine des droits humains, tourisme compris. C’est en 2011 que nous avons assisté à un véritable bond en avant, avec l’adoption des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies, qui mettent l’accent sur les risques que les entreprises font courir aux droits humains et sur les devoirs de vigilance qui en découlent (voir ci-dessus).
En dépit de la taille et de l’importance du secteur du tourisme, il n’existe pour l’instant qu’un nombre limité d’initiatives publiques ou privées qui s’intéressent aux effets du tourisme sur les droits humains et à l’exercice d’une diligence raisonnable de la part des entreprises.
Parmi les initiatives qui, s’inspirant des Principes directeurs des Nations Unies, s’emploient particulièrement à défendre les droits humains dans le tourisme et à promouvoir la responsabilité des entreprises en la matière, mentionnons l’initiative multipartite internationale Code de conduite pour la protection des enfants contre toute exploitation sexuelle dans le tourisme (The Code). Par ailleurs, diverses organisations non gouvernementales (en collaboration parfois avec d’autres acteurs) s’intéressent au sujet du tourisme et des droits humains, comme il en va de Tourism Concern, de Tourism Watch, du Groupe de travail Tourisme et Développement (akte) ou encore d’ECPAT.
Partisane d’une approche qui combine le respect des droits humains à d’autres objectifs écologiques et sociaux, l’Organisation mondiale du tourisme des Nations Unies (OMT) a adopté en 2001 son Code mondial d’éthique du tourisme pour maximiser la contribution de ce secteur au développement socio-économique et pour en minimiser l’impact négatif. Le Comité du tourisme de l’OCDE, un forum chargé de surveiller les politiques et les changements structurels qui influent sur le tourisme national et international et d’échanger sur ce sujet, fait lui aussi sien l’objectif du développement durable. Parmi les autres démarches, mentionnons le Global Sustainable Tourism Council, auquel est aussi affiliée l’initiative des voyagistes Tour Operators Initiative. Par ailleurs, des organisations non gouvernementales s’adressent aux voyageuses et aux voyageurs pour leur faire prendre conscience de leur influence (voir le site Fair unterwegs, le portail voyages d’akte). Enfin, la tendance à la certification équitable n’épargne pas le tourisme et des organisations comme TourCert ou Fair Trade Tourism délivrent ces labels.
Approche du sujet en Suisse
Pour l’instant, la «Table ronde pour les droits humains dans le tourisme» (voir ci-dessous) est la seule initiative multipartite d’autorégulation des entreprises lancée avec la participation d’acteurs suisses qui s’intéresse à une vaste palette de sujets liés aux droits humains dans le tourisme. KUONI, l’un des fondateurs de cette table ronde, est actuellement le seul voyagiste suisse à en être membre. Il reste à voir dans quelle mesure l’adhésion de la Fédération suisse du voyage, en date du 14 juin 2014, motivera ses membres à faire le pas. S’agissant de la société civile, la table ronde compte parmi ses membres fondateurs le Groupe de travail Tourisme et Développement (akte), l’organisation non gouvernementale suisse la plus active dans le domaine des droits humains et du tourisme.
Parmi les initiatives internationales, c’est surtout le Code de conduite pour la protection des enfants contre toute exploitation sexuelle dans le tourisme (The Code), soutenu notamment par le SECO et l’Office fédéral de la police (fedpol), qui a pris de l’ampleur dans le milieu des entreprises touristiques actives en Suisse. Plusieurs voyagistes suisses ont ainsi rejoint cette initiative, qui s’engage pour la protection des enfants et lutte contre la prostitution enfantine. La constitution de The Code à l’échelle mondiale est principalement à mettre au crédit d’ECPAT international et de son réseau, dont fait partie ECPAT Switzerland, ainsi que de l’OMT et de l’UNICEF. TourCert est une autre initiative importante du secteur suisse du tourisme. Actuellement (chiffres de décembre 2014), plus de 80 entreprises touristiques suisses détiennent le label RSE décerné par TourCert en matière de durabilité et de responsabilité sociale de l'entreprise. En revanche, le Global Sustainable Tourism Council ne compte qu’une seule entreprise suisse, Kuoni, parmi ses membres.
Les institutions publiques suisses ont lancé des initiatives ponctuelles tendant à inscrire, de façon indirecte et implicite, le sujet des droits humains dans le tourisme. Ainsi, le SECO estime, dans sa politique du tourisme, que la mondialisation du tourisme exige un renforcement de la coopération internationale en matière de politique touristique. Aussi la Suisse s’engage-t-elle à l’échelon multilatéral au sein de l’OMT et du Comité du tourisme de l’OCDE. En outre, le SECO œuvre en faveur de l’essor d’un tourisme durable au plan économique, écologique et social. Dans ce contexte, il a rédigé en 2010 un document intitulé Politique touristique, où il insiste sur l’importance du respect des normes fondamentales du travail et des normes sociales fondamentales. S’agissant des droits humains et des entreprises en général, la Suisse milite, en tant que membre de l’OCDE en particulier, pour le développement de l'obligation de respecter des entreprises, notamment en promouvant le respect des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, une tâche confiée au Point de contact national.
L'initiative multipartite «Table ronde pour les droits humains dans le tourisme»
En octobre 2012, diverses entreprises touristiques (dont le voyagiste suisse KUONI) et des organisations non gouvernementales suisses (Groupe de travail Tourisme et Développement, akte), allemandes et autrichiennes ont lancé l'initiative multipartite «Table ronde pour les droits humains dans le tourisme». Les membres fondateurs se sont fixé pour objectif d’engager une démarche de responsabilité de l'entreprise à l’égard des droits humains dans l’industrie touristique en s’inspirant des Principes directeurs de l’ONU et, en particulier, des principes 11 à 25. Pour adhérer à cette table ronde, les futurs membres doivent s’engager explicitement à s’acquitter de leur responsabilité en tant qu’entreprise telle qu’elle est définie par les Principes directeurs. Ceux-ci instituent notamment un devoir de diligence raisonnable, soit l’obligation d’évaluer les risques posés par les activités commerciales et leurs effets sur les droits humains.
La table ronde poursuit également d’autres objectifs inspirés des Principes directeurs 16 à 21: formuler et diffuser tant des normes applicables à la branche touristique qu’une politique de gestion de la responsabilité à l’égard des droits humains ; appliquer les normes à toutes les pratiques commerciales et à toutes les activités des entreprises touristiques, en fournissant informations et documentation ; garantir un transfert de connaissances fondé sur l’accès aux bonnes pratiques et, en dernier lieu, sensibiliser la société civile, l’économie et le monde politique à l’importance du respect des droits humains dans le tourisme. Les fondateurs de la table ronde ont été rejoints par vingt autres membres provenant d'Autriche, d'Allemagne et de Suisse: outre six entreprises touristiques, il s’agit des associations faîtières suisse et autrichienne, de représentant-e-s du monde associatif et d’organismes publics.
Les instruments de la table ronde
Jusqu’ici, la table ronde a élaboré trois instruments qui aident les entreprises à développer une culture de respect des droits humains: un modèle de déclaration d'engagement (commitment), un guide de mise en œuvre et un module de formation en ligne.
Déclaration d'engagement
En adhérant à la déclaration, l’entreprise concernée s’engage à respecter les droits humains sur lesquels ses activités commerciales ont ou pourraient avoir une incidence tout au long de la chaîne logistique (voir Principe no 16). Cette déclaration standard sert à la fois de repère et de base à la démarche de concrétisation et de mise en œuvre de la responsabilité de l'entreprise à l’égard des droits humains. En la signant, les entreprises manifestent leur attachement à la Déclaration universelle des droits de l’homme, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (voir Principe 12). Les acteurs du monde politique et de la société civile souhaitant devenir membres doivent eux aussi signer la déclaration et s’engager à œuvrer pour les objectifs de la table ronde.
Stratégie de défense des droits humains
Pour compléter la déclaration, formulée en termes généraux, chaque entreprise membre doit élaborer sa propre stratégie de défense des droits humains. A cette fin, le Groupe de travail Tourisme et Développement (akte) et d’autres membres de la table ronde ont publié un guide de mise en œuvre, dont le but est d’orienter et de soutenir les entreprises dans cette démarche en leur proposant des graphiques, des listes de contrôle et des exemples pratiques.
De par sa structure et son contenu, ce guide reprend les Principes directeurs de l’ONU qui concernent les entreprises (principes 11 à 24 et 29 à 31) et en dégage cinq axes:
- Stratégie: l’entreprise élabore une stratégie de défense des droits humains qui en définit le cadre, les objectifs et ses propres engagements.
- Point de la situation: l’entreprise analyse les risques potentiels et effectifs que ses activités présentent pour les droits humains.
- Intégration: l’entreprise tient compte de sa stratégie et des résultats de l’analyse des risques pour développer sa culture et son mode de gestion, ainsi que pour mettre en place des mécanismes internes de réclamation et de réparation. Elle élabore un plan d’action qui lui servira de cadre de référence.
- Réparation: l’entreprise prévient les violations potentielles des droits humains ; lorsqu’elle identifie des atteintes effectives, elle les fait cesser et veille à leur réparation. Les parties lésées doivent aussi pouvoir saisir les mécanismes internes de réclamation et d’alerte.
- Rapports: l’entreprise analyse régulièrement ses progrès (c’est-à-dire qu’elle mesure l’efficacité de son action et son succès et en rend compte publiquement), afin de garantir que sa responsabilité de respecter les droits humains s’inscrira de façon durable, efficace et efficiente dans ses pratiques.
Formation en ligne
La formation en ligne complète les mesures de formation interne aux droits humains, favorisant ainsi l’intériorisation de la responsabilité de l’entreprise à tous les échelons de celle-ci. Elle englobe un cours d’introduction sur le tourisme et les droits humains, ainsi qu’à leurs problématiques, et un cours avancé pour les cadres et les spécialistes, qui aborde en détail la déclaration d'engagement et le guide.
Premier bilan de la table ronde
La table ronde est l’une des rares initiatives à aborder spécifiquement les droits humains dans le tourisme et le devoir de diligence des entreprises. La concrétisation des Principes directeurs de l’ONU dans les différents secteurs d’activité économique étant une nécessité, cette initiative est la bienvenue. Qui plus est, elle intègre la perspective des principales parties prenantes, grâce à la pluralité de ses fondateurs. Il n’en reste pas moins que les instruments élaborés jusqu’ici par cette initiative ne représentent qu’un début. Il faut en effet poursuivre les travaux, et cela doit parfois se faire au sein des entreprises, comme l’analyse des risques dans les chaînes logistiques ou l’amélioration de l’accès aux mécanismes de réparation. Les entreprises membres ont pour tâche de traduire les principes généraux de la table ronde en stratégies et instructions pratiques, par exemple lorsqu’elles sont confrontées à une chaîne logistique problématique.
La diversité de la branche, un écueil
La table ronde se concentre sur les entreprises et leur responsabilité à l’égard des droits humains, sans sous-estimer pour autant le rôle et l’importance des autres acteurs du tourisme, comme l’illustre son approche multipartite. Néanmoins, l’initiative ne fait pas (encore) tout à fait justice à la diversité de la branche. D’une part, quelques grands voyagistes n’en font pas partie. D’autre part, le tourisme, notamment en Suisse, compte de nombreuses petites et moyennes entreprises (PME), qui peuvent elles aussi se rendre responsables d’atteintes aux droits humains ou y contribuer. Il serait ainsi utile d’aborder les dangers et les difficultés propres aux PME (pour la situation des PME dans les rapports entre économie et droits humains, voir par ex. le guide de la Commission européenne à l’attention des PME).
De façon générale, il est difficile d'adopter des normes valables pour l’ensemble de la branche, un constat partagé par la table ronde, dont l’ambition est pourtant d’agir sur ce plan. Il faut ainsi voir dans l’adhésion en 2014 de Tourismusmesse Berlin, le plus grand salon du tourisme au monde, un signe positif qui pourrait favoriser l’internationalisation de l’initiative.
Par ailleurs, il serait important de sensibiliser l’opinion aux risques que le tourisme suppose pour les droits humains non seulement outre-mer, mais également en Europe. En effet, le tourisme peut porter atteinte aux droits humains aussi en Suisse et en Europe en général, notamment en raison de la précarité des rapports de travail, tant dans le secteur du transport que dans celui de l’hébergement, ou encore en raison de l’impact des grands projets d’infrastructure sur la population locale.
Mécanismes de réparation
La table ronde doit perfectionner l'accès aux mécanismes de réparation dans l’industrie touristique, surtout ceux mis en place par les entreprises («mécanismes de réparation au niveau opérationnel»), auxquels elle n’a guère prêté attention jusqu'ici. L’initiative souligne la nécessité de mettre en place des mécanismes de réparation et leur importance tant pour les victimes de violation des droits humains que pour l’efficacité des systèmes de responsabilité des entreprises à l’égard des droits humains. Le guide de mise en œuvre aborde lui aussi l'accès aux mécanismes de réparation, mais le fait d’une façon relativement succincte pour l’instant. Il serait ainsi souhaitable, pour la poursuite de sa démarche, que la table ronde formule d’autres instructions pratiques et propose un soutien sur mesure pour le tourisme.
Conclusion
La «Table ronde pour les roits humains dans le tourisme» est une initiative multipartite axée sur l’engagement des entreprises touristiques à respecter les droits humains dans toutes leurs activités et à répondre de leur impact négatif sur les droits humains. Elle est potentiellement de nature à lancer un mouvement de prise en compte des droits humains dans les entreprises touristiques et dans l’ensemble de la branche. Elle aide en effet les entreprises désireuses d’intégrer les droits humains dans leur culture d’entreprise et d’être à la hauteur de leur obligation de respecter.
A cet égard, l’initiative reflète l’état actuel des débats sur la responsabilité des entreprises à l’égard des droits humains dans le secteur touristique. En effet, l’intégration d’une approche fondée sur les droits humains dans cette branche n’en est qu’à ses débuts et on ne peut pour l’instant parler d’une application à l’échelle de tout le secteur, un constat qui vaut aussi pour la Suisse. Certes, des progrès ont été accomplis à divers égards, mais il serait souhaitable que les entreprises et les pouvoirs publics redoublent d’efforts pour que le tourisme suisse adopte une approche fondée sur les droits humains.
Autres liens et documentations :
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- Evangelischer Entwicklungsdienst e.V (éd), Alles was Recht ist – Menschenrechte und Tourismus, Bonn 2012
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Société pour les peuples menacés (SPM), Zones d’ombre au paradis du soleil. Le tourisme et les droits humains au Sri Lanka (résumé en français de l’étude complète en allemand Schatten im Sonnenparadies, Tourismus & Menschenrechte in Sri Lanka), février 2015
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MCRB/DIHR/IHRB, Myanmar Tourism Sector-Wide Impact Assessment, février 2015
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Roundtable, Guide de mise en œuvre (en anglais)
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Tourism Watch, Cahier no 78 (en allemand), mars 2015