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Pas de transfert selon le Règlement Dublin en cas de risque de traitement inhumain

La Cour de justice de l’Union européenne confirme l’inadmissibilité des transferts des demandeurs d’asile vers la Grèce dans le cadre du Règlement Dublin II (affaires jointes C-411/10 et C-493/10)

Abstract

Auteure : Barabara von Rütte

Publié le 01.02.2012

Pertinence pratique

  • Les requérants d’asile ne doivent pas être transférés selon le système de Dublin vers des Etats membres dans lesquels les procédures d’asile et les conditions d’accueil sont marquées par des défaillances systémiques tels qu’il subsiste un risque de traitement contraire aux droits fondamentaux.
  • La présomption que les Etats membres de l’Union européenne respectent les droits fondamentaux des requérants d’asile et que ces Etats devraient être considérés comme «Etats sûrs», doit pouvoir être réfragable.
  • Dans le cas où la procédure de détermination de l’Etat compétent dépasserait un délai raisonnable, l’Etat transférant doit procéder lui-même à l’examen de la demande d’asile.
  • La Suisse s’est obligée par l'Accord d'association de Dublin de prendre en considération la jurisprudence de la CJUE, et par conséquent cet arrêt également.

Presqu’une année après l’arrêt de principe de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH ), M.S.S contre Belgique et Grèce, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé dans son arrêt du 21 décembre 2011 que les transferts selon le Règlement Dublin II sont inadmissibles lorsqu’il y a risque de traitement inhumain dans le pays d’accueil.

Situation initiale

Le cas concernait des personnes de pays tiers qui, en passant par la Grèce, se sont rendues au Royaume-Uni (C 411/10, N.S.), ainsi qu’en Irlande (C-493/10 M.E. e.a.), où ils ont déposé une demande d’asile. Selon le Règlement Dublin II, la Grèce aurait été compétente pour l’examen de la demande d’asile. Les recourants ont fait valoir que la procédure d’asile et les conditions pour les requérants d’asile auraient été insuffisantes en Grèce. Les tribunaux nationaux compétents ont adressé par la suite à la CJUE des questions dans le cadre de l’ainsi-nommé renvoi préjudiciel au sujet de l’interprétation du Règlement Dublin II, notamment de l’art. 3 al. 2, et de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne.

Obligation d’examen de l’Etat transférant

La CJUE a d’abord traité la question de savoir si l’Etat membre transférant doit contrôler si l’Etat membre compétent selon le Règlement Dublin II respecte les droits fondamentaux de l’Union, ainsi que les garanties minimales des Directives européennes 2003/9, 2004/83 et 2005/85. Selon la Cour de justice, le système communautaire européen sur l’asile est cependant fondé sur le principe de la confiance réciproque, selon lequel tous les Etats parties respectent les droits fondamentaux, y compris ceux de la Convention européenne de droits de l’homme (CEDH), ainsi que la Convention de Genève relative au statut des réfugiés (CSR). Malgré cela, il ne serait pas exclu que les requérants d’asile dans certains pays membres pourraient être traités de manière contraire aux droit fondamentaux. Dans le cas où un requérant d’asile serait menacé dans l’Etat compétent par un traitement inhumain ou dégradant, le transfert ne serait ainsi plus compatible avec l’art. 4 CSR, stipulant l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. La CJUE conclut qu’un Etat lèse le droit de l’Union s’il transfert un requérant d’asile dans le pays membre compétent à la lumière du Règlement Dublin II, alors même qu’il ne peut ignorer que dans ce pays, le système d’asile présente des déficits d’une telle gravité que le requérant d’asile peut encourir le risque d’être soumis à un traitement inhumain ou dégradant.

En tenant compte des considérants de la CEDH dans l'arrêt M.S.S., la CJUE attire l’attention sur le fait que les Etats membres disposeraient d’informations suffisantes, afin d’être en mesure de se représenter la situation du système d’asile dans l’Etat concerné. La CEDH s’était de son côté rapportée notamment aux comptes rendus d’Amnesty International, Human Rigts Watch, Pro Asyl, du UNHCR, du Conseil de l’Europe et de la Commission européenne.

Présomption réfragable sur le respect des droits fondamentaux

La CJUE dénie logiquement la question de savoir s’il existe une présomption irréfragable que les Etats signataires du Règlement Dublin respectent les droits fondamentaux de l’Union. Une telle présomption irréfragable ne serait pas compatible avec l’obligation des Etats membres d’interpréter et d’appliquer, conformément aux droits fondamentaux, le Règlement Dublin II. Des réglementations nationales qui considèrent certains Etats de manière irréfutable comme des « Etats sûrs », ne seraient pas admissibles.

Obligation d’examen?

La Cour de justice s’est également penchée sur la question de savoir si l’Etat transférant doit examiner lui-même la demande d’asile en application de l’art. 3 al. 2 du Règlement Dublin II, si l’Etat normalement compétent ne respecte pas les droits fondamentaux. L’avocate générale Trstenjak a demandé une telle obligation des Etats membres dans ses Conclusions finales. Du point de vue de la CJUE, l’Etat membre transférant peut faire usage de son droit d’examen de la demande. Mais il peut également, à l’aide des critères de compétences du Chapitre III du Règlement, examiner ensuite si un autre Etat membre pourrait être compétent pour le traitement de la demande d’asile.

L’Etat membre transférant ne doit pas aggraver la situation de la personne requérante d’asile en procédant à l’examen visant à déterminer l’Etat normalement compétent dans des délais disproportionnés. Dans le cas où la procédure dure trop longtemps, l’Etat transférant doit procéder lui-même à l’examen de la demande d’asile, conformément à l’art. 3 al. 2 du Règlement Dublin II.

Importance pour la Suisse

La Suisse s’est engagée à travers l'Accord d'association de Dublin à respecter la jurisprudence de la CJUE. Les droits fondamentaux de l’Union ancrés dans la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, sur lesquels la CJUE se base, ont « le même sens et la même portée » que les garanties conférées par la CEDH (art. 52 al. 3 de la Charte) qui doivent être respectées par la Suisse également. L’arrêt est par conséquent pertinent pour la pratique suisse également.

L’Arrêt de la CJUE du 21 décembre 2011 précise que les transferts selon le Règlement Dublin II sont illégaux si les requérants d’asile concernés courent un danger réel d’être soumis à un traitement inhumain ou dégradant dans le pays concerné. La Cour de justice fait référence non seulement aux expulsions vers la Grèce, mais déclare comme étant inadmissibles les transferts vers tous les pays membres où les procédures de demande d’asile et les conditions d’accueil sont tellement déficitaires que les requérants risquent d’y être soumis à un traitement contraire aux droits fondamentaux.

L’ODM renonce depuis janvier 2011 en grande partie aux transferts vers la Grèce selon le Règlement Dublin II, et au lieu de cela, traite lui-même les demandes d’asile. « Les requérants d’asile qui avaient accès à la procédure d’asile en Grèce et qui y disposaient d’un hébergement » peuvent cependant, être transférés de la même manière qu’auparavant (Communiqué de presse du 26.1.2011). Le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette pratique (D-2076/2010). Le dernier Rapport du Comité contre la torture du Conseil de l'Europe sur les conditions de détention en Grèce montre que les conditions d’accueil pour les requérants d’asile en Grèce ont continué à se détériorer. C’est pour cette raison qu’un contrôle efficace doit être mis en place dans les cas de transferts vers la Grèce, afin d’examiner si les requérants d’asile y ont véritablement accès à une procédure d’asile et à un logement humainement digne.

L’Arrêt de la CJUE précise une fois de plus que le Système Dublin ne peut fonctionner que si les standards minimales prévus par les Directives européennes sont appliqués et respectés dans tous les Etats membres et que les procédures d’asile et les conditions d’accueil des Etats Dublin y sont comparables. Pour la Suisse, il en résulte qu’à l’avenir elle ne pourra guère se permettre des écarts entre la partie matérielle et procédurale du Système Européen Commun d’Asile– notamment des Directives d’accueil, de qualification et de procédure.

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