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Une loi-cadre pour l’aide sociale ?

Réflexions institutionnelles sur la nécessité d’harmoniser des aspects liés aux droits fondamentaux en matière d'aide sociale

Abstract

Auteures : Andrea Egbuna Joss, Eva Maria Belser

Publié le 19.05.2015

Pertinence pratique :

  • Selon la Constitution fédérale, la réglementation et l’allocation de l’aide sociale relèvent de la compétence des cantons. En raison des récents développements, l’aide sociale subit de fortes pressions (augmentation des personnes dans le besoin, allongement de la durée d’octroi). Il apparaît également que les différences cantonales et communales peuvent avoir un effet négatif sur la situation juridique personnelle. Celles-ci renforcent en effet le risque d’une concurrence entre les communes ou les cantons, les poussant à fixer des montants d’aide toujours plus bas ou des conditions d’octroi peu attractives.
  • Un rapport du Conseil fédéral sur la pertinence d’une plus grande implication de la Confédération a déterminé que la situation actuelle nécessitait une harmonisation et une coordination. Le rapport propose plusieurs pistes de solution pouvant contribuer à une uniformisation de la réglementation: la mise sur pied d’une loi-cadre par la Confédération, l’application par des conventions d’objectifs avec les cantons, la mise sur pied d’un concordat ou l’amélioration de la coordination des cantons par le maintien du statu quo.
  • Ni les cantons ni la Confédération ne se sont prononcés en faveur de l’ouverture d’une compétence fédérale en matière d’uniformisation de l’aide sociale. Il convient de se demander si une loi-cadre nationale apporterait une contribution efficace et à long terme pour résoudre les problèmes identifiés et permettrait le renforcement souhaité de l’aide sociale.
  • Une meilleure application des normes actuelles et une amélioration de la protection juridique des bénéficiaires de l’aide sociale permettraient déjà de résoudre partiellement voire totalement nombre de problèmes actuels. Les cantons sont à présent dans l’obligation de poursuivre leurs efforts dans le domaine de l’aide sociale et de la garantie du minimum vital afin d’atteindre une meilleure coordination et plus d’harmonisation. Les chevauchements entre l’aide sociale et les assurances sociales revêtent de plus une importance centrale.

Le minimum vital social: condition pour la jouissance des droits fondamentaux

La Suisse dispose d’un système de sécurité sociale dense: l'AVS, l'AI, les allocations pour perte de gains, l'assurance-chômage et les allocations familiales ont toutes pour but de protéger les personnes résidant en Suisse, ainsi que les membres de leur famille, des risques dont elles ne pourraient supporter seules les conséquences financières. L’aide sociale – aide financière de dernier recours – apporte un soutien aux personnes qui ne sont pendant une période plus en mesure de subvenir par elles-mêmes et dans une mesure suffisante à leur entretien. Bien que l’aide sociale soit subsidiaire à toutes les autres prestations (personnelles, publiques ou provenant de tiers), elle est toutefois devenue un pilier central du système social suisse, avec actuellement plus de 250'000 personnes bénéficiaires. Une nouvelle tendance se dessine par ailleurs. L’aide sociale, pourtant pensée comme un soutien financier provisoire et de courte durée, représente de plus en plus souvent une aide financière de longue durée, notamment pour les chômeurs et chômeuses de longue durée ou les personnes insuffisamment intégrées.

La Constitution fédérale garantit à l’art. 12 à quiconque se trouvant dans une situation de détresse et n’étant pas en mesure de subvenir à son entretien le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine (aide d’urgence). La protection de la dignité humaine (art. 7 Cst.) revêt en ce sens une importance centrale en tant que principe fondateur dans le fonctionnement de l’aide d’urgence, ultime recours après l’aide sociale.

Alors que l’aide d’urgence a pour objectif de prémunir quiconque sans condition contre un standard de vie indigne, l’aide sociale va au-delà du minimum vital prévu par la Constitution au travers de l’aide d’urgence. Elle garantit en effet ce que l’on appelle un minimum vital social assurant une certaine marge de manœuvre à la personne bénéficiaire et, par là même, lui permettant de prendre part à la société et de jouir véritablement des droits fondamentaux que lui garantit la Constitution. Le fonctionnement de l’aide sociale repose non seulement sur les droits fondamentaux et les buts sociaux de la Constitution fédérale (art. 41), mais aussi sur le Pacte de l’ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. En ratifiant ce traité, la Suisse s’est engagée à assurer, au maximum de ses ressources disponibles (en particulier par l’adoption de mesures législatives, art. 2), le plein exercice de ces droits (à savoir le droit à un standard de vie décent, art. 11).

Principe: la réglementation et le financement de l’aide sociale relèvent de la compétence des cantons

Selon les termes de l’article 115 de la Constitution fédérale, «les personnes dans le besoin sont assistées par leur canton de domicile. La Confédération règle les exceptions et les compétences.» Bien que, à première vue, cette norme règle uniquement les questions de compétences, la doctrine et la jurisprudence y voient une obligation pour les cantons de prévoir une aide sociale qui aille au-delà de l’aide d’urgence.

La Loi fédérale sur la compétence en matière d'assistance des personnes dans le besoin (LAS) établit quel canton est responsable de l’assistance d’une personne dans le besoin. L'art 10 LAS interdit expressément de pousser une personne dans le besoin à quitter le canton. La Confédération a prévu des exceptions pour l’attribution de prestations sociales aux demandeurs/demandeuses d’asile, aux réfugié-e-s, aux personnes étrangères admises à titre provisoire, ainsi qu’aux Suisses de l’étranger. Les cantons règlent ensuite au travers de lois cantonales relatives à l’aide sociale les conditions et l’attribution de l’aide sociale et prennent en charge les coûts. Dans la plupart des cantons, la compétence d’exécution a été déléguée aux communes, qui disposent souvent de marges de manœuvre importantes.

Avantages et inconvénients que représente pour les individus la nature fédéraliste de l’aide sociale

Le système fédéraliste assure une prise en compte des particularités locales et des circonstances de chaque cas. Il correspond également au principe d’individualisation en vigueur dans le domaine de l’aide sociale, selon lequel l’aide doit être adaptée au cas par cas. Les personnes en fin de droits, les familles monoparentales, les grandes familles, les personnes toxicodépendantes ou les personnes en état de faiblesse présentant des besoins différents, le système fédéraliste de l’aide sociale peut représenter un avantage pour les personnes bénéficiaires.

Ce système peut cependant également présenter un inconvénient pour les individus, tout comme les pressions générales en faveur de l’austérité budgétaire et les critiques émises à l’encontre des chevauchements entre l’aide sociale et les assurances sociales de la Confédération. Dans la pratique, il existe des différences notoires entre les cantons et parfois même entre les communes d’un même canton concernant le montant de l’aide matérielle allouée aux bénéficiaires. Au niveau national, le montant de l’aide ne fait l’objet d’aucune disposition uniforme, pas plus que les prestations sous condition de ressource telles que l’avance sur contributions d’entretien, les réductions de prime, les contributions aux frais de logement et les prestations complémentaires pour familles. En outre, les dispositions fédérales présentent elles aussi des inégalités, puisqu’elles prévoient pour les personnes étrangères des régimes très différents en matière d’aide sociale et d’urgence (aide d’urgence, aide d’urgence élargie ou aide sociale réduite) en fonction du statut du séjour.

Pour les bénéficiaires de l’aide sociale comme pour les personnes et familles à faible revenu, cette situation présente un risque: en cas de déménagement dans une autre commune ou dans un autre canton, ces personnes risquent de voir leur aide matérielle soudainement réduite, bien que leur situation personnelle et concrète n’ait que très peu changé entre l’ancien et le nouveau lieu de séjour.

Ces inégalités ne violent toutefois pas en soi le principe d'égalité garantit à l’art. 8 Cst. En effet, selon le Tribunal fédéral, le principe d’égalité porte uniquement sur le domaine de compétence d’une seule et même autorité ou collectivité territoriale. La structure fédéraliste de la Suisse permet donc aux cantons et communes de prévoir dans leur domaine de compétence des dispositions différentes (cf. ATF 125 | 173 cons. 6d). Ils sont toutefois tenus de respecter les principes juridiques de la Constitution fédérale ainsi que les dispositions en matière de droits fondamentaux et humains. À condition que ceux-ci soient respectés, le droit fédéral ne prévoit pas l’obligation de mettre sur pied des dispositions nationales homogènes.

Le risque d’une concurrence négative au niveau de l’aide sociale...

Ces différences, bien qu’admises, peuvent renforcer le risque d’une concurrence négative dans le domaine de l’aide sociale, notamment en raison de l’augmentation des coûts de l’aide sociale dans les cantons et communes et d’une pression grandissante en faveur de mesures d’économie et de contrôles des bénéficiaires. Au niveau communal, la problématique apparaît encore renforcée en raison des grandes différences sociodémographiques et d’une péréquation financière intercommunale insuffisante. Au nom de l’austérité économique, les communes s’attachent à rendre leurs dispositions en matière d’aide sociale et leurs conditions d’octroi les moins attractives possible, afin de décourager l’arrivée de nouveaux bénéficiaires.

... dans les cantons

De plus en plus d’interventions parlementaires dans les cantons proposent la réduction des prestations dans le domaine de l’aide sociale (cf. p. ex. les plans d’économie du canton de Berne, article du 06.05.2015 paru dans «Der Bund»), ou demandent de priver les bénéficiaires de l’aide sociale de voitures (cf. p. ex les débats dans le canton de Zurich, article de la NZZ du 19.01.2015) ou encore exigent que les frais de l’aide sociale soient remboursés par les fonds de la caisse de pension. Parfois, les pressions existantes en faveur de mesures d’austérité sont renforcées par des dispositions cantonales. C’est le cas dans le canton de Berne par exemple, qui a introduit un système de bonus-malus afin d’augmenter l’efficacité des services sociaux communaux. En cas de différence en matière de coûts sociaux entre les frais communaux effectifs et les frais cantonaux moyens par habitant, la commune obtient un bonus ou un malus. Ces dispositions mises sur pied en 2014 font actuellement l’objet de plusieurs recours, qui remettent en question la légalité du système. C’est pourquoi la Direction de la santé publique et de la prévoyance sociale a décidé de suspendre en 2015 l’attribution des malus et bonus jusqu’à la clarification des questions juridiques (cf. Communiqué de presse du 16 mars 2015).

... et dans les communes

Selon différents rapports, il est apparu que certaines communes ont exercé des pressions plus ou moins fortes ou ont adapté les modalités de versement de l’aide sociale afin d’encourager les bénéficiaires de l’aide sociale à déménager dans une autre commune. Or, un tel procédé viole l’interdiction d’inviter au départ inscrite à l’art. 10 al. 1 LAS, qui prévoit que les «autorités ne doivent pas pousser une personne dans le besoin à quitter le canton, notamment en lui accordant une aide pour frais de déménagement ou d'autres avantages, à moins que ce ne soit dans son intérêt». Cette interdiction est valable de manière analogue à l’intérieur du canton, donc pour les communes.

Si une commune essaie activement d’exercer des pressions sur un propriétaire ou sur un nouvel arrivant potentiel, afin de le décourager de s’installer sur son territoire, elle se rend indirectement coupable d’une violation de la liberté d’établissement (art. 24 al. 1 Cst.), que les Suisses et ressortissant-e-s de l’UE installé-e-s en Suisse peuvent invoquer.

Le cas le plus connu d’une telle pratique est le «cas Rorschach» dévoilé au début 2015. Une bénéficiaire de l’aide sociale, qui avait quitté St-Gall, voulait s’établir dans la commune de Rorschach. Bien qu’elle se soit présentée à plusieurs reprises au service social de la commune, elle s’est à chaque fois vu refuser son inscription. En outre, les propriétaires ont été sommés de ne pas lui faire parvenir de contrat de location. Lasse, elle a fini par rentrer à St-Gall, où le service social a alors adressé une demande de rectification à la ville de Rorschach et s’est réservé la possibilité de porter l’affaire devant le Tribunal administratif cantonal.

Bien que le cas Rorschach soit le plus connu, il n’est certainement pas le seul. Certains services sociaux n’hésitent pas à présenter des loyers moyens bien inférieurs à la réalité (c’est-à-dire pour lesquels il n’existe presque pas de logements sur le territoire de la commune) ou à prendre des mesures d’aménagement du territoire dans le but de réduire le nombre de logements à loyer modéré. Ces procédés favorisent le tourisme social.

Efforts d’harmonisation et d’amélioration de la coordination

Afin d’harmoniser et de mieux coordonner la prise en charge et l’allocation de l’aide sociale à l’intérieur du canton, cinq cantons (TI, GE, NE, BS et VD) ont adopté des lois d’harmonisation et de coordination.

Au niveau national, il manque encore un cadre commun contraignant. Dans la pratique, les services sociaux se fondent sur les Concepts de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (SCIAS). La SCIAS est l’organisation spécialisée de l’aide sociale. Elle est organisée comme une association et dispose actuellement de quelque 1000 membres, dont les 26 cantons et la Principauté du Liechtenstein, une grande partie des villes et communes suisses et près de 150 organisations privées actives dans le domaine de l’aide sociale ainsi que certains offices fédéraux. Pour le compte de ses membres, la SCIAS élabore depuis plus de 50 ans des directives concernant l’aide sociale. Ces directives définissent les points-clés de l’aide sociale, tels que le minimum vital social, les mesures possibles d’intégration ainsi que les obligations et sanctions envisageables contre les bénéficiaires de l’aide sociale. Elles ne traitent cependant pas des questions liées aux effets combinés de l’aide sociale et des autres institutions de sécurité sociale.

D’un point de vue juridique, les directives de la SCIAS sont des recommandations qui acquièrent un statut contraignant dès lors qu’il y est fait référence dans la législation cantonale ou communale. Dans certains cantons, les directives n’ont qu’une valeur indicative, dans d’autres elles sont partiellement ou totalement contraignantes. En outre, elles accordent une marge de manœuvre relativement grande aux autorités, qui en font parfois usage. C’est pourquoi il existe souvent des différences importantes d’application. Il apparaît donc clairement que les dispositions permettent uniquement de réduire les inégalités cantonales et communales, mais pas de les supprimer totalement.

Il ne faut toutefois pas perdre de vue que des différences cantonales et communales sont souhaitables, à condition qu’elles permettent aux cantons et communes de prévoir d’autres formes de soutien social, d’encourager l’intégration dans le premier et le second marché du travail ainsi que de mettre sur pied des structures de jour ou des offres de conseil ciblées. Ces différences sont cependant problématiques si elles conduisent à une concurrence négative. Elles sont même contraires au droit fédéral si elles entraînent des limitations non justifiées de droits fondamentaux.

Les directives de la SCIAS font actuellement l’objet d’une révision. Bien que les cantons et les communes aient la possibilité de s’impliquer dans l’élaboration et la révision de ces directives et de décider de leur dimension juridiquement contraignante, de plus en plus de voix se font entendre pour dénoncer l’implication d’une organisation privée dans la définition de l’aide sociale et par là même la faible légitimité démocratique des directives. À l’automne 2015, les directives révisées seront donc probablement approuvées pour la première fois par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS). Jusqu’alors, la CDAS s’était contentée de les recommander aux cantons et aux communes.

La Confédération doit-elle s’impliquer plus activement?

Au vu des inégalités existantes et de l’importance croissante de l’aide sociale, des discussions au niveau politique sont menées depuis 20 ans sur la nécessité d’impliquer plus encore la Confédération. Une réglementation uniforme permettrait de renforcer le statut de l’aide sociale et d’assurer une organisation unifiée du minimum vital social dans toute la Suisse. Diverses interventions parlementaires (p. ex. motion Humbel 11.3638, motion Weibel 11.3714, motion Weibel 12.3031) ont ainsi eu pour objectif l’adoption d’une loi-cadre sur le minimum vital ou d’une loi-cadre sur l’aide sociale, de manière analogue à la Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA).

Le Conseil fédéral s’est toujours opposé à ces interventions, rappelant l’ordonnance constitutionnelle et la compétence des cantons prévue à l’art. 115 Cst. Dans ses explications, il précise que le «fait que l’aide sociale n’est pas réglée au niveau fédéral ne cause pas de lacune dans le droit entre les buts sociaux constitutionnels et le système de sécurité sociale». En outre, il ajoute que les cantons ont toujours la possibilité de mieux coordonner leurs prestations.

Au mois de novembre 2013, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a finalement émis un postulat, demandant au Conseil fédéral de vérifier si, et dans quelle mesure, une loi-cadre relative à l’aide sociale pourrait apporter des réponses aux questions en suspens.

Le rapport du Conseil fédéral

Afin de donner suite à ce postulat, le Conseil fédéral a publié fin février 2015 son rapport sur «l’aménagement de l’aide sociale et des prestations cantonales sous condition de ressources – besoins et possibilités d’intervention». En résumé, aux yeux du Conseil fédéral, des mesures devraient être adoptées dans quatre domaines: au niveau de l’uniformisation de certains aspects qui devraient être valables pour tous, comme la définition de l’aide sociale et de sa fonction ou les conditions d’octroi; au niveau de l’harmonisation d’aspects qui doivent être analogues, mais pas forcément uniformes, comme les types de prestation, la procédure et la protection juridique; au niveau des mesures institutionnelles de renforcement de l’aide sociale; au niveau de la coordination avec les autres systèmes de prestation (cf. rapport, p. 47).

Le rapport traite enfin des points forts et des points faibles des différentes possibilités d’intervention pour atteindre ces objectifs. Outre l’élaboration d’une loi-cadre, il aborde également la possibilité d’une convention d’objectifs entre la Confédération et les cantons, d’un concordat avec déclaration de force obligatoire générale et obligation d’adhérer (art. 48a Cst.) ainsi que le maintien du statu quo avec poursuite des travaux en cours.

Une loi-cadre nécessiterait l’introduction d’une nouvelle base constitutionnelle. Selon la proposition du Conseil fédéral, il pourrait s’agir d’une compétence conditionnée dont jouirait la Confédération lorsque, malgré leurs efforts d’harmonisation, les cantons ne parviendraient pas à se mettre d’accord. En cas de convention d’objectifs dans le domaine de l’aide sociale ou d’un concordat dans le cadre de l’art. 48a Cst., des ajustements constitutionnels seraient également nécessaires. L’idée d’un concordat semble certes réalisable, mais il paraît difficile d’harmoniser et de coordonner les dispositions cantonales, d’autant plus qu’une déclaration de force obligatoire générale nécessiterait un arrêté fédéral avec possibilité de référendum. Pour ce qui est de la compétence conditionnée de la Confédération, elle pose deux questions (comme actuellement le concordat HarmoS): à quelles conditions et à quel moment devra-t-on déterminer que les efforts intercantonaux d’harmonisation n’ont pas abouti.

Les principaux acteurs du domaine sont unanimes sur le fait que des ajustements sont nécessaires et qu’il convient de rechercher une réglementation harmonisée dans différents domaines. Toutefois, ils ne sont pas d’accord sur le procédé à suivre pour atteindre cet objectif. La Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS) plaide en faveur d’une loi-cadre plus large sur le minimum vital, mais s’oppose à une loi-cadre sur l’aide sociale. Elle souhaiterait conférer une plus grande légitimité aux directives SCIAS en les acceptant à l'avenir. L’Association des communes suisses s’est également prononcée contre une loi nationale relative à l’aide sociale et privilégie des réformes au moyen d’une révision des directives SCIAS, des adaptations des législations cantonales ou l’adoption d’un concordat. L’association «L’initiative des villes pour la politique sociale» ainsi que la SCIAS se sont quant à elles prononcées en faveur d’une loi-cadre relative à l’aide sociale. Elles proposent en outre que la Confédération exploite davantage ses possibilités d’intervention garanties par l’art. 114 al. 5 Cst. (dispositions en faveur des personnes au chômage) et l’art. 116 (lutte contre la pauvreté familiale), afin de combler les lacunes existantes.

Conclusion intermédiaire

En résumé, il convient de souligner que le système fédéraliste permet une prise en compte des particularités locales et des circonstances personnelles au cas par cas et, partant, de respecter le principe d’individualisation au niveau de l’aide sociale. Toutefois, dans les faits, ce système contribue également à de grosses inégalités intercommunales et intercantonales, ainsi qu’entre différents groupes de personnes, en raison notamment de la législation fédérale.

Dans le contexte des débats publics menés sur l’augmentation des coûts et sur le montant des prestations de l’aide sociale, l’existence de ces inégalités peut générer de mauvaises incitations. Une commune ou un canton souhaitant ou contraint d’économiser sera ainsi tenté de rendre le soutien aux personnes dans le besoin – y compris l’aide sociale – aussi peu attractif que possible, de fixer des montants plus bas que ceux pratiqués dans les communes ou cantons voisins et d’user de méthodes parfois peu compatibles avec le respect des droits fondamentaux pour réduire autant que possible le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale sur son territoire.

Propositions de solution

Aujourd’hui déjà, il serait possible de résoudre partiellement voire totalement nombre de problèmes apparus en raison de cette concurrence intercantonale et intercommunale négative au niveau de l’aide sociale. Il conviendrait pour ce faire d’améliorer la péréquation financière à l’intérieur des cantons ou d’appliquer de manière plus cohérente les normes juridiques uniformes actuelles. Les procédés employés par certaines autorités communales et cantonales en violation de l’interdiction d’inviter au départ inscrite à l’art. 10 LAS n’ont été jusqu’alors que très rarement sanctionnés. Le Tribunal fédéral fait preuve lui aussi de retenue et se contente le plus souvent de souligner que les communes n’ont pas agi de manière arbitraire (cf. p. ex ATF 8C_805/2014 du 27 février 2015, cons. 4).

En outre, une protection efficace des droits fondamentaux au niveau de l’aide sociale – notamment en lien avec un renforcement de la protection juridique – pourrait mettre un frein au nivellement vers le bas. Dans la pratique, les recours lancés par des bénéficiaires de l’aide sociale pour violation de leurs droits fondamentaux sont souvent considérés comme voués à l’échec et, par conséquent, aucune assistance juridique gratuite n’est accordée. Les arrêts de dernière instance qui apportent une clarification sur le minimum fédéral légal et imposent une harmonisation fondée sur le droit fédéral et international actuel ne sont pas plus fréquents.

Les failles d’une loi-cadre

Dans la perspective de l’élaboration d’une loi-cadre nationale relative à l’aide sociale, il convient de souligner que l’aide sociale touche à un domaine lié aux droits fondamentaux. Les droits fondamentaux de la Constitution fédérale et les droits humains du droit international représentent pour la Confédération, les cantons et les communes des garde-fous contraignants dans l’élaboration et l’application du droit. Une uniformisation n’entraînera donc pas forcément un meilleur respect et une meilleure protection des droits fondamentaux. Les interventions parlementaires proposant des dispositions plus strictes et une réduction des prestations pourraient même gagner en attractivité au niveau fédéral, profitant d’une couverture médiatique certaine. Il n’est donc pas certain qu’une réglementation uniforme permettrait à elle seule d’assurer un renforcement de l’aide sociale.

S’il est certes possible d’interdire l’application du droit cantonal quand il ne respecte pas le droit fédéral ou les droits fondamentaux (et même de mener un contrôle abstrait des lois cantonales en matière d’aide sociale), une réglementation problématique issue du droit fédéral devrait obligatoirement être appliquée par le Tribunal fédéral, quand bien même celle-ci violerait les droits fondamentaux (art. 190 Cst.). Même une application de la Constitution recherchée par le biais du droit international serait impossible sur le plan juridique du fait qu’aucune justiciabilité n’est reconnue aux droits sociaux et économiques.

Il convient en outre de rappeler que les principes fédéraux, qui complètent le droit intercantonal, cantonal et communal, ne pourraient faire table rase des défis que représentent la coordination et la coopération avec les assurances sociales, avec les autres prestataires fédéraux, cantonaux, communaux et privés ainsi qu’avec les propriétaires et employeurs (sociaux).

Conclusion

Les voies pouvant mener à un renforcement de l’aide sociale et à un fonctionnement de celle-ci économique et conforme aux droits fondamentaux ne sont pas évidentes. En plus d'envisager une harmonisation au niveau national au moyen d’une loi-cadre, il convient de continuer à rechercher des solutions alternatives. Il s'agit ainsi d'envisager l'amélioration de la péréquation financière intercommunale, le renforcement de la protection juridique pour les bénéficiaires de l’aide sociale, une application scrupuleuse des dispositions existantes en matière de droits fondamentaux et de droit fédéral (notamment l’interdiction d’inviter au départ), une surveillance efficace des services sociaux, une coordination entre les cantons intensifiée, démocratique, légitimée, volontaire et menée dans le respect du droit, ainsi que le renforcement et le développement des directives SCIAS et leur acceptation et adoption par la CDAS.

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