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La Convention de Lanzarote

Une meilleure protection des enfants contre les abus et l’exploitation sexuelle

Abstract

Auteur : Jean Zermatten

Publié le 01.02.2012

Résumée :

La Convention de Lanzarote complète le dispositif de protection des enfants contre les abus sexuels. En cas de ratification par la Suisse, elle amènerait des changements positifs:

  • Avant-projet art. 196 Code pénal suisse (CP): répression du recours aux services sexuels proposés contre rémunération par des enfants de 16 à 18 ans
  • punissabilité de l’encouragement de la prostitution d’enfants (Avant-projet art. 195, lit. a, CP)
  • protection contre la pornographie enfantine, protection des enfants contre la participation à des représentations sexuelles étendue aux 16-18 ans (Avant-projet art. 197, ch. 3, 3bis et 4, CP)
  • punissabilité du fait d’amener un enfant à participer à une représentation pornographique (Avant-projet art. 197, ch. 2 bis CP)
  • reste la question de la punissabilité du grooming que le projet soumis à consultation n’a pas prévu de criminaliser spécifiquement, mais qui pourrait éventuellement l’être si le Conseil Fédéral en décide ainsi.

La base de toute protection de l’enfant est la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1989 (ci-après CDE). Mais il faut admettre que les législateurs de la CDE, s’ils ont parlé de protection de l’enfant contre l’exploitation économique et sexuelle, contre les abus en tous genres, notamment dans le domaine sexuel, avaient imaginé que les mesures de protection prévues par les articles 32, 34, 35 et 36 CDE suffisaient. Ils n’ont pas imaginé les développements incroyables des nouvelles technologies, ni surtout les effets inattendus et préjudiciables de leur utilisation pour les enfants. Il a fallu des années pour apprendre qu’internet cachait des pièges: accès aux sites pornographiques et grooming. Par grooming, on entend le fait pour un adulte de proposer intentionnellement, par le biais des nouvelles technologies, une rencontre à un enfant, dans le but de se livrer avec lui à des activités sexuelles ou de l’entrainer dans la production de matériel pornographique.

Une protection étendue grâce à l’OPSC

C’est pourquoi les Etats ont renforcé en l’an 2000 la CDE par un Protocole facultatif sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (OPSC). L’OPSC est destiné à étendre la protection, en définissant très précisément les actes de vente, de prostitution et de pornographie. Cet instrument complète le dispositif de la CDE et s’appuie sur ses articles 32, 34, 35 et 36 CDE. L’OPSC est d’inspiration pénale et impose des obligations strictes aux Etats. Elle exige la pénalisation de certains actes (art. 2 et 3) et la poursuite des auteur-e-s. Elle instaure également la juridiction extraterritoriale (art. 4), en offrant une base à l’extradition (art. 5) et elle donne un statut aux victimes et témoins (art. 8). La Suisse a ratifié l’OPSC en 2006 et a déposé son rapport initial au Comité des droits de l’enfant le 9 décembre 2011.

Depuis lors, une attention constante a été portée sur la question de la violence et de l’exploitation sexuelles et des abus, notamment par le Rapport mondial sur la violence à l’égard des enfants (2006), l’Observation générale no 13 du Comité des droits de l’enfant sur «Le droit de l’enfant d’être affranchi de toutes formes de violence». La Convention de l’OIT 182 (ratifiée par le Suisse en 2000) sur l’interdiction des pires formes de travail des enfants (1999) inclut «l’utilisation, le recrutement ou l’offre d’un enfant à des fins de prostitution, de production de matériel pornographique ou de spectacle pornographique» (art.3).

Cet effort de protection très important s’est concrétisé sur le plan européen par la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels de 2007 (ci-après la Lanzarote).

Relations entre OPSC et la Lanzarote

La Lanzarote a pour but de mieux protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle liée à la prostitution et à la pornographie. Elle établit son action sur quatre piliers: de meilleurs instruments pénaux, la coopération internationale, la coordination des actions sur le niveau national et des mesures de prévention systématiques, adaptées à l’âge des publics cibles, les enfants, les parents, ou le public en général. Elle est basée sur la CDE, sur l’OPSC et reprend les quatre grands principes de la CDE. A savoir: la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement et le droit d’être entendu, ainsi que le principe de la dignité de l’enfant, personne unique. Elle va cependant plus loin. Elle complète en effet l’édifice universel et formule plusieurs exigences. Tout d’abord, la nécessité de disposer de procédures judiciaires adaptées aux enfants, notamment en évitant les auditions répétées des enfants victimes (risques élevés de victimisation secondaire, art. 35). Mais également une définition très précise des actes à incriminer (chap. IV), en particulier le trafic d’enfants, le «tourisme sexuel» et la pédopornographie, ainsi que la définition d’un âge minimum clair pour le consentement à des relations sexuelles. Enfin, elle demande l’extension de la protection des enfants contre les abus à travers internet et la mise sur pied d’un système efficace de signalement et d’investigation dans le cadre des enquêtes.

Ratification de la Lanzarote et Suisse

La Suisse a signé la Lanzarote le 16 juin 2010. Le Conseil fédéral a mené une procédure de consultation auprès des cantons et des milieux concernés car une ratification éventuelle de la convention nécessiterait une révision du code pénal. Cette procédure s’est achevée le 30 novembre 2011. L’analyse des résultats de la consultation est en cours avant que le Conseil Fédéral ne la soumette au Parlement.
Pour adhérer à la Lanzarote la Suisse doit modifier, à notre avis, ses pratiques et ses lois. Elle doit promouvoir la coopération nationale pour lutter contre l’exploitation et les abus sexuels concernant des enfants (art. 1 al. 1 lit. c). Elle doit mettre en place des mesures de prévention, d’identification et de prise en charge des situations de risques pour les professionnel-le-s qui travaillent avec et pour des enfants. Enfin, elle doit assurer une coordination de l’action au niveau national. La simple énumération des nombreux services nationaux et cantonaux qui s’occupent de la prévention des abus sexuels et de l’exploitation sexuelle des enfants montre le déficit de coordination nationale. Notre pays n’a pas de stratégie ni d’harmonisation de la protection des enfants. La ratification de cette convention pourrait donner une impulsion dans ce sens.

La Suisse pêche depuis longtemps par l’idée d’une majorité sexuelle à 16 ans, alors que cet âge est une limite de protection absolue et non une majorité sexuelle proprement dite. Cela a entrainé des problèmes comme la possibilité de se prostituer à 16 ans, ou de participer à des représentations de pornographie enfantine dès ce même âge. La ratification de la Lanzarote amène des changements positifs, puisqu’un nouvel art. 196 CP réprimera le recours aux services sexuels proposés contre rémunération par des enfants de 16 à 18 ans. De même, l’encouragement de la prostitution d’enfants va également être punissable (Avant-projet art. 195, lit. a CP). Pour la pornographie enfantine, la protection des enfants contre la participation à des représentations sexuelles sera étendue aux 16-18 ans (Avant-projet art. 197, ch. 3, 3bis et 4 CP). Le fait d’amener un enfant à participer à une représentation pornographique, tout comme le fait de l’encourager à une telle participation, deviendront également punissables (Avant-projet art. 197, ch. 2 bis CP).

Pénaliser le grooming

Un problème relevé lors de la consultation est la pénalisation du grooming. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (TF), les tentatives d’actes d’ordre sexuel avec des enfants (art. 187 en relation avec l’art. 22 CP) au moyen d’internet ne sont punissables que si l’adulte fait suivre la proposition de rencontre de certains actes concrets, tel que de se trouver à l’heure dite à l’endroit prévu. Le simple fait de «chatter» ne constitue ainsi pas une tentative d’actes d’ordre sexuel avec des enfants (ATF 131 IV 100ss, consid. 8). Il y a donc ici une lacune et il serait opportun que la législation suisse se conforme totalement à la Lanzarote (art. 23, sollicitation d’enfants à des fins sexuelles) en érigeant le grooming en une infraction spécifique.

Le dernier né des instruments internationaux est la toute nouvelle Directive 2011/92/UE du Parlement et du Conseil de l’Union européenne relative à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants et à la pédopornographie. Entrée en vigueur le 17 décembre 2011, cette directive remplace la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil. Elle reprend dans ses grandes lignes la Lanzarote, mais l’applique à tous les membres de l’Union européenne. Elle exige que les Etats adoptent les mesures préventives utiles et toutes les dispositions législatives, administratives et judiciaires prévues dans un délai de 2 ans. En ce qui concerne le grooming, par exemple, elle exige également la criminalisation spécifique de cette action.

On peut donc conclure que, si la Lanzarote a jeté les bases de cette protection des enfants contre les abus et l’exploitation sexuelle, de nombreux instruments internationaux se sont développés depuis lors, qui ont une influence directe ou indirecte pour la Suisse. N’oublions jamais que la coopération internationale et l’harmonisation des actions est indispensable dans ce domaine. La ratification prochaine de la Lanzarote par notre pays ne peut que réjouir, mais quelques modifications législatives supplémentaires sont encore nécessaires et seront, nous l’espérons, prises en compte dans le message que le CF soumettra aux Chambres dans la deuxième partie de 2012.

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