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Interdiction de dissimuler le visage
Une initiative cantonale aboutit au Tessin, mais le Conseil des Etats dit non au niveau national
Abstract
Auteure : Andrea Egbuna-Joss
Pertinence pratique :
- Pour information
- Le Grand Conseil tessinois examine actuellement la validité de l’initiative
- Une interdiction complète de dissimuler le visage sur l’ensemble du domaine public ne semble pas compatible avec les exigences de la Constitution fédérale, dans la mesure où elle serait disproportionnée et difficilement justifiable par les intérêts liés à la sécurité et l’ordre publics
Au Tessin , l’initiative populaire pour l’interdiction de dissimuler le visage a abouti
Dans le canton du Tessin, une initiative cantonale visant l’interdiction de dissimuler le visage dans les lieux publics a abouti. Le 19 mai 2011, la demande d’initiative munie de 11'316 signatures a été déposée à la Chancellerie cantonale par un représentant du comité d’initiative, accompagné pour l’occasion d'une femme enveloppée d’un châle sombre et d'une personne au visage masqué par un passe-montagne noir.
En voulant interdire totalement la dissimulation du visage sur la voie public, l’initiative ne vise pas seulement les musulmanes voilées, mais également les manifestants cagoulés, qu’il s’agisse d’autonomistes de gauche ou de hooligans. Selon le comité d’initiative, c’est la raison pour laquelle l’initiative n’est pas en contradiction avec l’interdiction de toute discrimination. Il s’attend dès lors à un large soutien de l’ensemble de la classe politique.
Prochaine étape: le Grand Conseil tessinois va examiner la validité de l’initiative. Pour ce faire, il devra se pencher sur les questions de respect du droit supérieur, d’unité de la forme et de la matière, sans oublier l’exécutabilité.
La Commission des institutions politiques du Conseil des Etats s’oppose à une telle interdiction au niveau national
En janvier 2011, la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats (CIP-E) s'est prononcée sur une initiative du canton d’Argovie. Celle-ci demandait l'interdiction, sous peine de sanctions pénales, de couvrir le visage dans les lieux publics. La Commission a rejeté cette initiative cantonale par 8 voix contre 2.
La CIP-E a tout d’abord constaté que des interdictions du port de la cagoule dans les lieus publics existaient déjà dans un certains cantons, mais présentaient d'importantes difficultés de mise-en-oeuvre, notamment lors de grandes manifestations. D'après elle, l’adoption d’une réglementation nationale ne permetterait pas de remédier à ces diffucultés et n’apporterait donc aucune contribution substantielle à une amélioration du sentiment de sécurité lors de grandes manifestations.
La Commission a constaté de plus que la motivation des initiants était moins liée à la nécessité de s’attaquer à certains fauteurs de trouble qu'à la volonté de lutter contre le port de voiles religieux. Elle a ainsi émis des doutes sur la proportionnalité d’une interdiction de dissimulation du visage pour cause de religion, sachant que le port de la burka/niquab reste un phénomène marginal en Suisse et ne présente pas de problème véritable. Une telle interdiction pourrait en outre envoyer un signal négatif aux touristes provenant des pays arabes et nuire à ce secteur de l'économie suisse.
Analyse
Une interdiction de dissimer son visage sur l’ensemble du domaine public touche non seulement la liberté personnelle, voire la liberté d’expression, mais également et surtout la protection de la liberté de conscience et de croyance garantie par l'article 15 de la Constitution hélvétique. Toute restriction à ces droits doit donc être soumise aux condition de l'article 36 Cst. Des considérations relatives à la sécurité et à l’ordre publics peuvent éventuellement justifier une interdiction de se couvrir le visage lors de manifestations soumises à autorisation, tel que c'est le cas déjà dans plusieurs cantons. Elle peut également justifier certaines interdictions limités dans le temps et l'espace, comme par exemple dans les banques ou les aéroports. Une interdiction de durée indéterminée et valable sur l’ensemble du domaine public ne semble cenpendant pas de nature à respecter les exigences de la Constitution fédérale.
Si l’initiative tessinoise devait être validée, puis acceptée, l’Assemblée fédérale devrait à nouveau se pencher sur cette thématique, puisque c'est à elle qu'il revient de garantir les constitutions cantonales aux termes de l’article 51 al. 2 combiné avec l’article 172 al. 2 Cst. A la lumière des prises de position adoptées jusqu’à présent par le Conseil fédéral, il n’est pas exclu que la modification constitutionnelle envisagée au Tessin soit rejetée pour cause de non-conformité avec le droit fédéral.