Articles

Aires de séjour et de transit pour les gens du voyage

Des événements récents mettent en lumière l’urgence de la situation

Abstract

Auteure : Andrea Egbuna-Joss

Publié le 02.05.2012

Pertinence pratique :

  • Des mesures urgentes doivent être prises pour les aires de séjour et de transit des gens du voyage en Suisse.
  • Il est demandé aux autorités cantonales d’aménagement du territoire de traiter la question des gens du voyage dans le cadre de la planification directrice cantonale et de prévoir une division claire des responsabilités entre cantons et communes.
  • Les aires de séjour et de transit doivent être définies en tant que telles dans le plan d’affectation des communes. Les communes sont invitées à collaborer avec le canton, à maintenir et rénover les aires existantes dans le respect des exigences du droit de l’aménagement du territoire ainsi qu’à en créer de nouvelles.
  • Les initiatives privées (utilisation d’un terrain avec l’accord du propriétaire) sont des solutions transitoires bienvenues. Toutefois, elles ne peuvent se substituer à des mesures d’aménagement du territoire.
  • Tous les acteurs doivent rechercher le dialogue et la coopération avec les gens du voyage.

Tensions entre le mode de vie des gens du voyage et l’aménagement du territoire

En 1999 est entrée en vigueur en Suisse la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (ci-après: Convention-cadre) du Conseil de l’Europe. Dans ce cadre, la Suisse a reconnu expressément le statut de minorité nationale aux minorités linguistiques, mais aussi aux membres de la communauté juive et aux gens du voyage. Elle s’est donc engagée en particulier à adopter des mesures adéquates en vue de promouvoir, dans tous les domaines de la vie économique, sociale, politique et culturelle, une égalité pleine et effective entre les gens du voyage et les personnes appartenant à la majorité (art. 4 al. 2 Convention-cadre) et à promouvoir des conditions propres à permettre aux gens du voyage de conserver et de développer leur culture (art. 5 al. 1 Convention-cadre). Selon une décision de principe du Conseil fédéral, les gens du voyage jouissent également de la protection constitutionnelle. A l’instar du droit international public, la Constitution fédérale suisse contraint également la Confédération, les cantons et les communes à tenir compte des besoins spécifiques des gens du voyage dans leur aménagement du territoire (ATF 129 II 321).

Même si des progrès divers ont été accomplis en matière de protection des gens du voyage, le domaine de l’aménagement du territoire, notamment, soulève encore de grandes difficultés. En 2008, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a recommandé à la Suisse de faciliter et d’accélérer l’aménagement et la création d’aires de transit et de séjour et de prévoir de meilleures incitations financières ainsi que d’autres types d’incitations à la création d’aires de transit et de séjour. Malgré de nombreux efforts, la Suisse manque aujourd’hui encore de lieux susceptibles d’accueillir à court ou long terme les gens du voyage.

Dans son troisième rapport sur la mise en œuvre de la Convention-cadre de janvier 2012, la Confédération établit que la situation ne s’est pas améliorée en dix ans. Durant la dernière décennie, le nombre d’aires de séjour a certes augmenté, passant de 11 à 14 au total, mais cela ne couvre que 50 % des besoins en matière de séjour hivernal. La situation des aires de transit, surtout utilisées durant les mois d’été, est encore plus dramatique: leur nombre s’est réduit durant la dernière décennie, passant de 51 à 43. Il faut relever en outre qu’environ trois quarts des aires de transit souffrent de défauts au niveau de la qualité.

Dans son rapport «Les gens du voyage et l’aménagement du territoire - la situation en 2010», la fondation Assurer l'avenir des gens du voyage suisses a conclu elle aussi que, malgré les efforts entrepris du point de vue de la conception et de l’aménagement du territoire, la mise en œuvre de la Convention-cadre reste insuffisante. La fondation demande la création de 26 aires de séjour et de 39 aires de transit supplémentaires ainsi que des aires de transit supplémentaires pour les gens du voyage étrangers.

Au vu des événements récents suivants, il apparaît que ces exigences pourront difficilement être appliquées.

Chiètres: une aire de séjour jugée non conforme à la zone d’affectation

Depuis 2010, un agriculteur de Chiètres (FR) autorisait des gens du voyage suisses à stationner leurs caravanes sur son champ. A l’automne de l’année passée, la commune de Chiètres, à la demande de quelques-uns de ses habitants, a pris contact avec lui afin de lui indiquer que l’aire de stationnement n’était pas conforme à l’affectation de la zone agricole. Elle lui proposait le reclassement de son terrain dans une autre zone d’affectation. Désireux de pouvoir à l’avenir encore utiliser son terrain à des fins exclusivement agricoles, l’agriculteur s’opposa à son reclassement. La commune va donc probablement fixer un délai pour l’évacuation du terrain. En dépit des intentions honorables dont semblent avoir fait preuve aussi bien l’agriculteur que les autorités, le champ situé à proximité du Papiliorama ne pourra bientôt plus servir de terrain de stationnement pour les gens du voyage. Le cas Chiètres illustre également que, aussi importantes que puissent être les initiatives privées, elles ne peuvent se substituer à un aménagement du territoire coordonné entre les cantons et les communes.

Burgdorf: des barrières contre le stationnement illégal de caravanes

La situation à Burgdorf (BE) est tout autre. Contrairement à Chiètres, le cas Burgdorf concerne majoritairement des gens du voyage étrangers, à qui il a été reproché d’avoir séjourné l’année passée de manière illégale et en grand nombre dans deux parcs publics de la ville et d’avoir provoqué la grogne de la population. Afin d’éviter cette situation à l’avenir, la ville a fait installer des barrières aux abords des parcs, empêchant ainsi l’accès des caravanes. Les gazons alentours ont en outre été barrés par des blocs de pierre. La ville de Burgdorf justifie ce procédé au motif qu’un renvoi ou une évacuation ne pourraient que difficilement être mis en œuvre. Elle souligne en outre l’inaction du canton ces dernières années et lui reproche de laisser les communes se débrouiller seules face à cette difficile situation.

Analyse

Il existe un décalage important entre la théorie et la pratique en matière de création d’aires de transit et de séjour. Bien que la Confédération et les cantons semblent prendre davantage conscience du problème ces dernières années, et malgré les nombreux projets et idées développés un peu partout en Suisse, il apparaît que, dans la pratique, peu de nouvelles aires de transit et de séjour voient le jour. Ce décalage est lié, la plupart du temps, au manque de volonté politique et/ou aux préjugés négatifs persistants sur les gens du voyage au sein d’une large frange de la population. Par exemple, la commune de Schwyz a proposé en 2010, sur les conseils et les recommandations du canton, la création d’une nouvelle aire de transit sur un terrain militaire devenu disponible. Lors des votations de septembre 2010, la population a toutefois refusé clairement l’établissement d’une «zone spéciale gens du voyage». Les communes paraissent incapables de gérer la situation et se contentent de lutter contre le séjour illégal des gens du voyage par l’adoption de mesures d’éloignement. Il apparaît donc nécessaire de mettre sur pied des mesures d’aménagement du territoire coordonnées et soutenues financièrement par la Confédération, ainsi que de lutter contre les préjugés négatifs existants par un travail de sensibilisation et d’information.

^ Retour en haut de la page