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Nouveau Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant

Améliorer le respect des droits de l’enfant grâce à une procédure de recours individuelle

Abstract

Auteur : Jean Zermatten

Publié le 06.07.2011

Pertinence pratique :

  • Pour information
  • À examiner si la Suisse devait ratifier le Protocole

Le 17 juin 2011, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a adopté par consensus et avec la patronage de 39 Etats une résolution (A/HRC/17/36) demandant à l’Assemblée Générale des Nations Unies de consacrer la compétence du Comité des droits de l’enfant de recevoir et examiner des plaintes individuelles d’enfants pour violation de leurs droits, comme aussi des communications interétatiques et de mener des procédures d’enquête en cas de violations systématiques des droits. Voilà donc la voie ouverte pour que les 192 Etats de l’ONU adoptent lors de la prochaine assemblée générale, en décembre 2011, un 3ème Protocole facultatif à la Convention des nations Unies relative aux droits de l’enfant (CDE) pour concrétiser la requête légitime des enfants, de leurs représentants, des ONG, et de la Communauté internationale dans son ensemble.

Quelques étapes

Pour surveiller l’application des droits de l’enfant, La CDE a institué un Comité, doté de compétences décrites aux articles 43 à 45. Sa tâche principale est d’examiner les rapports périodiques des Etats parties. Dès le départ, la possibilité d’une procédure de communications a été évoquée et défendue par les ONG, mais n’a pas trouvé d’écho favorable de la part des Etats, si bien que le Comité des droits de l’enfant (le Comité CRC) ne dispose actuellement d’aucune compétence pour recevoir des communications individuelles ou étatiques, ni pour mener des enquêtes. Cette situation est unique puisque tous les autres organes de traité sont dotés de compétences en matière de communications individuelles ou étatiques. Il est intéressant de noter, en effet, que hormis le Comité CRC, les huit autres comités ont ou auront, dès l’entrée en vigueur des dispositions prévues à cet effet, la compétence d’examiner des communications provenant de particuliers.

Depuis 1989, de nombreux événements importants ont permis aux droits de l’enfant de s’imposer sur le plan universel et de devenir une réalité. L’idée d’une procédure de communication fut abordée lors du 10e anniversaire de la CDE. Néanmoins, à ce moment, le Comité n’était pas absolument convaincu de la nécessité d’un tel mécanisme et aucune initiative ne fut alors entreprise. En 2006, les discussions pour une procédure de communications ont cependant repris, à l’initiative du groupe des ONG spécialisées en droits de l’enfant. Dès ce moment, la campagne pour un 3e Protocole fut lancée et s’amplifia progressivement. Une date importante : la journée consacrée en mai 2008 par le Comité qui organisa une réflexion sur le sujet, son principal souci étant de s’assurer qu’un tel mécanisme puisse être approprié aux enfants et réaliste . Au terme de cette discussion, le Comité décida unanimement de soutenir le projet d’instaurer une procédure de communication. La première consultation informelle, organisée dans le cadre du Conseil des Droits de l’Homme (CDH), fut convoquée à l’initiative de la Slovénie en janvier 2009 ; par la suite, la Slovaquie prit le rôle de leader du groupe des « Etats amis ».
Lors de la session de janvier 2009, les membres du CDH ont consenti à former un «groupe de travail» pour examiner la question du protocole facultatif. Le 17 juin 2009, ce même CDH a adopté par consensus une résolution (A/HRC/11/L.3) établissant un groupe de travail à composition non-limitée pour examiner la possibilité d’élaborer un protocole facultatif à la Convention.

Le Groupe de travail s’est réuni une dernière fois, du 10 au 16 février 2011, pour un examen en détail de la proposition révisée. Après des négociations intenses et difficiles, le texte final issu de cette ultime négociation a finalement été adopté par le Groupe de travail, non sans quelques réticences de la part des ONG, des experts et des deux membres du Comité qui avaient été invités à prendre part au meeting, mais sans possibilité d’intervenir dans les négociations. Le compromis final n’a été trouvé qu’en dernière minute, par un «package» proposé par le Président du Groupe de travail, M. Drahoslav Stefanek, et accepté sans opposition. Le rapport du Groupe de travail et le projet soumis pour adoption n’ont été transmis qu’en avril 2011 et n’ont été débattus par le Conseil qu’à la session de juin. Il a été adopté par consensus le 17 juin 2011. L’acceptation attendue de l’UNGA (décembre 2011) ouvrira cet instrument à signature, puis à ratification des Etats, pour une entrée en vigueur après 20 ratifications.

Contenu

Le principal acquis du «futur» protocole réside dans la possibilité de communications (ou plaintes) individuelles devant le Comité. Une plainte pourra être déposée par ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers qui allèguent une violation des droits énoncés dans la CDE ou dans les deux protocoles facultatifs s’y rapportant (art. 5, para. 1). La question de la représentation de l’enfant a occupé de longues discussions avant d'être finalement traitée dans la partie sur les dispositions générales (art.3). La compétence du Comité de recevoir et examiner des communications individuelles couvre ainsi les trois instruments principaux (CDE, OPAC et OPSC) sans possibilité d’exclusion pour les Etats parties à plusieurs de ces traités.
La recevabilité de ces communications a fait l’objet de longues négociations. Les ONG et les experts ont rappelé l’importance d’être flexible dans le choix des critères de recevabilité pour que le processus soit effectivement accessible aux enfants et que ceux-ci puissent exprimer leur opinion. L’art.7, finalement accepté, énumère les différents critères de recevabilité des communications individuelles. Sa structure et son contenu s’inspirent des autres mécanismes existants. Pour être recevable, un plainte doit donc répondre aux critères standards : elle ne doit pas être anonyme (lit. a), ni constituer un abus de droits (lit. c), ni être mal fondée (lit. f). Elle doit aussi suivre la règle de l’exception des recours parallèles ou successifs (lit. d) et la règle de la non-rétroactivité (recevabilité ratione temporis, lit. g). La règle de l’épuisement des recours internes (lit. e) a également été maintenue dans le texte. La lit. b se contente de préciser que la plainte doit être faite par écrit. Or, tout au long des négociations, les ONG et les experts ont insisté afin de que la procédure soit «child-sensitive». Cette proposition a été rayée du texte final, réduisant la place de l’enfant dans la procédure de présentation de plaintes individuelles. Finalement, la lit. h ajoute encore un critère temporel, en limitant la recevabilité. La communication doit ainsi être présentée dans l’année suivant l’épuisement des voies de recours internes.

Un deuxième élément important : la procédure d’enquêtes qui permettra au Comité d’entrer en action dès qu’il aura reçu des informations sérieuses sur des violations graves ou systématiques de la Convention ou des deux protocoles facultatifs. Les articles 13 et 14 réglementent le déroulement et le suivi de la procédure d’enquêtes. Dans l’ensemble, celle-ci correspond à ce qui est prévu pour les autres organes de traité ayant aussi cette compétence. Suite à l’obtention de renseignements crédibles, le Comité peut charger certains de ses membres de mener une enquête, avec éventuellement une visite du pays (§ 1 et 2). L’enquête se déroule dans la confidentialité et avec la coopération de l’Etat partie concerné (§ 3). Si les procédures d’enquêtes sont considérées par les experts et les ONG comme un outil complémentaire aux communications individuelles, faisant partie d’un même ensemble, beaucoup d’Etats ont cependant exprimé leurs réticences face à cette procédure. Ces délégations ont essayé de limiter au maximum l’implication de cette procédure, en maintenant son caractère facultatif et la possibilité pour les Etats de ne pas la reconnaître. Ceci par le biais d'une clause de opt-out, qui fragilise l’ensemble du mécanisme d’enquêtes.

Troisième élément : l’article 12 institue une procédure de communications interétatiques classique, facultative. Les Etats doivent faire une déclaration pour reconnaître la compétence du Comité de recevoir et examiner les plaintes interétatiques. La procédure respecte aussi le principe de réciprocité (§ 2) et le Comité doit parvenir à un règlement à l’amiable (§ 3). Cette latitude est cependant plutôt théorique : à ce jour, aucune présentation de communication interétatique au titre des divers instruments internationaux n’a été enregistrée. Cette disposition n’a ainsi pas suscité de grandes discussions.

De plus, le projet prévoit l’intégration des grands principes de la CDE (intérêt supérieur et droit d’être entendu), l’idée d’une procédure «childfriendly», la possibilité de mesures conservatoires, la protection des victimes et la confidentialité. Des règles de procédure devront être adoptées par le Comité.

Quelques déceptions

Les discussions menées n’ont pas permis d’introduire la possibilité des plaintes collectives, ce qui aurait été une innovation en matière d’organes de traités de l’ONU, ni la possibilité de renoncer à la possibilité d’émettre des réserves, comme le fait le Protocole facultatif à la CEDAW. L’idée de trouver un consensus a mis un terme aux espoirs des esprits novateurs.

Effets attendus

Cette nouvelle compétence apparaît comme complémentaire au système de contrôle sur rapports classique pratiqué par le Comité. Les plaintes individuelles peuvent en effet remplir trois fonctions importantes : l’étude de cas individuels sur des violations précises de droits doit conduire à faire cesser la violation et/ou même amener des compensations aux victimes ; le résultat de l’examen d’une communication ne profite pas uniquement à la victime de la violation, mais peut amener aussi des modifications de la législation et des pratiques internes des Etats ; une communication individuelle peut parfois révéler des atteintes graves et/ou systématiques de certains droits dans un Etat donné.

Enfin, n’oublions pas que l’exigence d’avoir épuisé les voies de recours internes a très souvent comme effet de conduire les Etats à mettre en place des instances domestiques, afin d'éviter un accès direct à l’organe de traité. Cela pourrait-il amener la Suisse à considérer l’opportunité de créer au niveau national une instance de plainte, telle qu’on l’appelle de nos vœux et comme le Comité le lui avait recommandé explicitement en 2002? L’avenir nous le dira.

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