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Bonne collaboration entre la Suisse et la Turquie pour localiser et restituer un enfant à son père

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 17 mai 2011: Küçük c. Turquie et Suisse (requête no 33362/04)

Publié le 06.07.2011

Pertinence pratique :

  • Une violation de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants du 25 octobre 1980 peut également constituer une infraction à l’article 8 de la CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale).
  • Afin de vérifier une éventuelle violation de la CEDH, il convient d’examiner si les autorités ont été diligentes et ont mené toutes les actions raisonnables, en concordance avec le principe primordial de l’intérêt de l’enfant, afin de localiser un enfant qui a été enlevé et assurer son retour auprès du parent qui en a la garde.

Décision

Dans son arrêt de chambre, non définitif (sous réserve de demande de renvoi devant la Grande de la Cour), la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dit, à l’unanimité, qu’il y a eu non violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme par la Turquie et la Suisse. Les deux pays ont fait le nécessaire pour localiser l’enfant et assurer son retour en Turquie. Toutefois, elle estime qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté) par la Turquie dans la mesure où le père et fils ont été détenus arbitrairement, sans base légale en droit turc, durant quelques heures à leur arrivée à l’aéroport en Turquie.

Faits

Les requérants, Murat Küçük, et son fils, Nevzat Abdullah Küçük, sont des ressortissants turcs nés en 1972 et 1997 et résidant à Ankara. Suite au divorce en 2001, l’autorité parentale et la garde exclusive de l’enfant, alors âgé de quatre ans, sont attribuées au père. En juillet 2002, la mère de l’enfant exerce son droit de visite et part en vacances avec lui. Elle ne ramène pas l’enfant à son père qui, au début août 2002, saisit la justice pour faire respecter son droit de garde et obtenir le retour de l’enfant. Entretemps, son ex-épouse avait quitté le pays avec leur fils en utilisant des documents falsifiés. Diverses actions pénales sont alors entreprises pour faux et usage de faux. La mise en œuvre de la recherche des fugitifs s’effectue dans le respect des procédures nationales et internationales, notamment à travers l’émission de notices dans les pays membres d’Interpol.


En juin 2003, les autorités suisses informent les autorités turques que les fugitifs avaient été localisés en Suisse, mais qu’ils ont disparu à la fin de leur autorisation de séjour temporaire. Les autorités turques saisissent immédiatement l’Office fédéral suisse de la justice, afin que soient prises toutes les mesures nécessaires pour assurer le retour de l’enfant. Elles transmettent toutes les informations dont elles disposent. Les autorités suisses procèdent sans délai à la recherche des fugitifs (interrogatoires de témoins, recherches dans des lieux où les fugitifs avaient été aperçus, etc.). La police cantonale du Jura émet un mandat d’amener pour enlèvement à l’encontre de la mère et de l’oncle de l’enfant. Les autorités turques demandent la localisation des fugitifs sur la base de la loi fédérale relative à la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication, mais les autorités suisses estiment que pour faire appliquer ce type de mesures, il convient que soit actionné un mécanisme d’entraide pénale internationale. Il est à relever que le père mène lui-même des investigations en Suisse et suggère des pistes d’action aux autorités suisses.

De manière indépendante, le 15 octobre 2004, les autorités suisses localisent l’enfant, qui vit dans la clandestinité avec sa mère et son oncle. Elles le placent dans un foyer pour mineurs. Murat Küçük obtient la restitution de son fils. Le 18 novembre 2004, père et fils rentrent en Turquie. Arrivés à Ankara, ils sont tous deux appréhendés par la police vers 1 heure du matin et placés en détention à l’aéroport, du fait de la restriction imposée auparavant pour les fugitifs, et dans le but de vérifier leur identité. Bien que Murat Küçük puisse produire des documents explicatifs et demande à être traduit devant un magistrat, ce n’est que le lendemain matin, après plusieurs heures en détention, qu’il finira par être entendu par le procureur et remis en liberté avec son fils.

Griefs

Invoquant l’article 8, Murat Küçük, agissant en son nom et au nom de son fils, estime que les autorités turques et suisses ont manqué à leur obligation de prendre des mesures adéquates pour assurer l’exécution rapide de décisions judiciaires pour rétablir l’autorité parentale et la garde effectives. Invoquant l’article 5 § 1, il ajoute que leur maintien en détention pendant plusieurs heures dans les locaux de la police à l’aéroport était illégal.

Analyse

Pour la CEDH, la question était de savoir si les autorités turques et suisses ont été diligentes et ont mené toutes les actions raisonnables avec un degré de célérité suffisant. La CEDH a interprété ces obligations positives à la lumière de la Convention des Nations-Unies relative aux droits de l’enfant et de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. En ce sens, il est surtout attendu que soit respecté le principe primordial de l’intérêt de l’enfant pour toute question relative à sa garde et que sa protection soit assurée contre les effets nuisibles d’un déplacement illicite. La Cour rappelle que les procédures mises en place par la Convention de la Haye doivent viser le retour immédiat de l’enfant dans l’Etat de sa résidence habituelle et elle note explicitement que «l’adéquation d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre. (…) car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations» entre un enfant et le parent qui ne vit pas avec lui.

Se référant en particulier à l’article 7 de la Convention de la Haye, la CEDH souligne que les autorités centrales nationales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs États respectifs pour assurer le retour immédiat des enfants. Dans le cas d’espèce, les autorités suisses et turques impliquées, ainsi que spécifiquement les autorités centrales respectives, ont agi avec rapidité et entrepris les démarches visant une collaboration efficace. En passant en revue toutes les mesures prises, la Cour considère qu’elles étaient nombreuses et appropriées, notamment en ce qui concerne les autorités suisses fédérales et cantonales de divers échelons qui ont mené des actes d’investigation aussi rapidement que possible pour tenter de localiser l’enfant. Que certaines mesures n’aient pas été explorées ne signifie pas que celles qui ont été entreprises n’étaient pas suffisantes. De même, la suggestion par le père de pistes d’action supplémentaires n’est pas suffisante pour constater que les autorités ont manqué à leurs obligations positives. La CEDH estime donc qu’il n’y a pas eu violation, par la Suisse et la Turquie, de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Enfin, la CEDH a estimé qu’il y avait bien violation de l’article 5 § 1 par la Turquie, la privation de liberté du père et du fils à l’aéroport en Turquie n’ayant pas de base légale en droit turc.

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