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Mesures étendues en matière de protection contre les discriminations
Toute une série de recommandations de l’EPU demande une loi générale contre les discriminations
Abstract
Auteures : Eva Maria Belser, Andrea Egbuna-Joss
Résumé :
- Le nombre de recommandations qui portent sur les différentes formes de discrimination est particulièrement important.
- La Suisse est priée de veiller à une cohabitation pacifique et à une meilleure protection des droits des personnes ou des groupes de personnes désavantagés en prenant des mesures législatives ou d’autre nature.
- On exige en particulier de la Suisse qu’elle complète son approche sectorielle contre les discriminations par une loi générale sur les discriminations effective au niveau national.
- Le Conseil fédéral a rejeté, le 27 février 2013, l'ensemble des recommandations sur le sujet (123.24, 123.28, 123.29, 123.31, 123.35, 123.39 et 123.76), à l'exception de la recommandation 123.31 (Adopter des stratégies globales de lutte contre la discrimination).
Recommandations similaires formulées par différents comités internationaux
Déjà en 2008 lors du premier Examen Périodique Universel, l’égalité de traitement ainsi que la protection contre les discriminations se trouvaient au centre des discussions. La Suisse avait rejeté, à l’époque, la plupart des recommandations qui lui avaient été faites dans ce domaine. En 2010, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU recommandait non seulement de mieux mettre en œuvre les lois existantes sur la protection contre les discriminations, mais également d’adopter une législation globale contre les discriminations et de l’appliquer au niveau national de manière uniforme (Comité DESC, Observations finales Suisse 2010, ch. 7). Enfin, en février 2012, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, a adressé la même recommandation à la Suisse. Hammarberg a tout particulièrement fait valoir qu’une approche sectorielle dans le domaine de la protection contre les discriminations conduirait nécessairement à des lacunes et que la protection du droit fondamental de l’art. 8 Cst. serait insuffisante si ce dernier n’était pas concrétisé par une loi s’adressant aussi aux personnes privées. Dans sa réponse, la Suisse a expliqué que l’absence d’une loi générale nationale contre les discriminations ne mènerait pas à une réelle lacune matérielle de protection, mais serait l’expression de la particularité de l’ordre juridique suisse et devrait être interprétée en fonction de la tradition moniste et fédéraliste de l’ordre des compétences (cf. documentation en allemand sur humanrights.ch).
A l’occasion du deuxième Examen Périodique Universel, neuf États ont de nouveau demandé à la Suisse d’améliorer la protection contre les discriminations et de créer une loi générale de protection contre les discriminations (Recommandations 123.24, 123.28, 123.29, 123.31, 123.35, 123.39 et 123.76). Il apparaît donc de plus en plus clair que la Suisse fait bande à part concernant la protection contre les discriminations. Une situation que le monisme de droit international public ou la structure fédéraliste de l’État n’expliquent que de manière insuffisante et qui est de moins en moins comprise par les observateurs étrangers.
Refus de ratifier une interdiction générale des discriminations émanant du droit international
Certes, avec l’art. 8 Cst., un droit fondamental général à l’égalité et l’interdiction des discriminations existent bien en Suisse. Mais, dans le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme CEDH, la Suisse n’est liée qu’à l’interdiction accessoire de discrimination (soit une interdiction qui ne peut être appliquée qu’en rapport avec la violation d’autres droits contenus dans la CEDH). Malgré plusieurs interventions parlementaires, la Suisse a toujours rejeté une ratification du 12ème Protocole additionnel à la CEDH, qui prévoit une interdiction générale des discriminations. Quant à l’article 26 du Pacte II de l’ONU, qui comporte également une interdiction générale des discriminations, la Suisse y a apporté une réserve, en restreignant son champ d’application aux autres droits exprimés dans le Pacte.
Analyse
Plusieurs raisons expliquent les réticences de la Suisse au sujet d’une loi générale d’interdiction des discriminations. Premièrement, la Confédération signale, et ce à juste titre, que l’approche sectorielle (visant en particulier l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre le racisme et la xénophobie et depuis peu l’égalité des personnes handicapées) a eu du succès dans beaucoup de domaines. Deuxièmement, une loi générale contre les discriminations touche aux compétences des cantons dans de nombreux domaines, notamment la santé et l’éducation, et entraîne ainsi des questions concernant le fédéralisme. Troisièmement, ce qui peut préoccuper la Suisse, c’est le fait qu’il existe dans les lois fédérales quelques points problématiques du point de vue de l’égalité et de l’interdiction des discriminations (autrefois surtout dans le Code civil, aujourd’hui surtout dans le domaine des étrangers et de l’asile), qui doivent obligatoirement être appliquées en raison du contrôle restreint de la constitutionnalité des lois fédérales (cf. article dans la Newsletter du CSDH du 6 mai 2011). Quatrièmement, ce n’est pas très clair dans quelle mesure une loi générale contre les discriminations serait, ou devrait être, applicable aux personnes privées.
Malgré ces objections et ces doutes, le moment est venu pour la Suisse de revoir sérieusement sa manière de traiter les questions de discrimination. Ces recommandations internationales correspondent, en outre, à des revendications politiques internes, qui sont formulées par un Parlement et une société civile de plus en plus pressants.
La critique, selon laquelle l’approche sectorielle poursuivie par la Suisse conduirait à une protection lacunaire et ne serait pas à même de contrer efficacement les discriminations multiples, doit être prise au sérieux. Il faudrait également examiner de manière approfondie une des recommandations de l’EPU 2012. Celle-ci préconise de ne pas miser seulement, dans le cadre de la protection contre les discriminations, sur des mécanismes de protection judiciaires traditionnels; mais de développer, et ainsi de garantir, des possibilités d’intervention facilement accessibles, comme des organes de médiation (Ombudsman) permettant aux groupes de personnes discriminés, et particulièrement vulnérables, de faire valoir leurs droits.
A cet effet, le partage des compétences entre la Confédération et les cantons doit être respecté. Ceci ne devrait toutefois pas être utilisé comme excuse pour contourner les prescriptions du droit international et de la Constitution fédérale. Les compétences des cantons sont toujours soumises aux réserves des droits fondamentaux. Aujourd’hui déjà, les cantons sont liés, et ce même dans leurs domaines de compétences, à l’interdiction des discriminations de l’art. 8 al. 2 de la Constitution fédérale.
Enfin, il semble urgent d’éclaircir la question de l’effet horizontal de l’interdiction des discriminations. Il s’agit d’examiner la question de la liberté des employeurs privés, bailleurs et assureurs, de désavantager des personnes sur la base de leur origine, de leur race, de leur situation sociale, de leur mode de vie ou de leur religion.
Perspectives
Bien que la Suisse ait rejeté l’adoption d’une loi générale contre les discriminations, elle a reconnu qu’il était nécessaire d’examiner l’efficacité réelle des dispositions existantes en matière de protection contre les discriminations. La Confédération a mandaté le CSDH pour réaliser une étude sur l’accès à la justice dans les cas de discrimination. Cette étude est en cours d’élaboration. De plus, le Parlement a chargé en décembre 2012 le Conseil fédéral de présenter un rapport sur le droit existant ainsi que des mesures préventives contre les discriminations.
Il reste à espérer qu’on pourra remédier rapidement aux lacunes que ces travaux pourraient éventuellement déceler.