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Pas de dispense des cours de natation pour des motifs religieux

A propos de l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_666/2011 du 7 mars 2012

Abstract

Auteure : Andrea Egbuna-Joss

Publié le 02.05.2012

Pertinence pratique :

  • Le Tribunal fédéral confirme son changement de jurisprudence de 2008, selon lequel les garçons ne sauraient être libérés des cours de natation pour des motifs d'ordre religieux, aussi à l’égard des demandes de dispense des jeunes filles musulmanes.
  • En outre, dans le sens d’une solution proportionnée, les cantons et les communes devraient rechercher tout d’abord le dialogue avec les parents et l’enfant lui-même.
  • Les parents doivent être informés des mesures d’accompagnement comme des maillots de bain couvrant le corps, les vestiaires séparés et les douches individuelles. Il faut attirer l’attention des exploitants de piscines sur le fait qu’ils doivent éventuellement adapter leur règlement afin d’autoriser les burkini.
  • L’octroi d’une dispense reste possible selon la nouvelle jurisprudence lorsqu’il existe des circonstances particulières qui la justifient. L’obligation de tenir compte des prescriptions religieuses ne représente pas en soi une circonstance particulière qui permette de justifier la dispense d’un cours de l’enseignement obligatoire.

Les parents de deux jeunes filles du canton de Bâle-Ville ont reçu une amende de 700.- francs en automne 2008 pour avoir refusé à plusieurs reprises d'autoriser leur fille à participer aux cours de natation pour des motifs d’ordre religieux. Après le rejet de leur recours par le Tribunal cantonal, les parents ont fait recours au Tribunal fédéral en faisant valoir une atteinte inadmissible à leur liberté de conscience et de croyance.

Evolution de la jurisprudence du Tribunal fédéral

C’est en 1993 que le Tribunal fédéral a dû se saisir pour la première fois de la question de l'admissibilité d'une dispense du cours de natation pour des motifs d'ordre religieux (ATF 119 Ia 178). Qualifiant ce cours de matière de l'enseignement scolaire dont le contenu n’est pas indispensable, il a estimé que la liberté de croyance des enfants et des parents et le droit à l'éducation des parents étaient plus importants que l'intérêt de l’Etat à la fréquentation du cours de natation. Il a par ailleurs souligné que les ressortissants de pays et de culture différents doivent s’en tenir uniquement au respect de l’ordre juridique suisse et qu’il n’existe aucune obligation juridique les chargeant d’adapter leurs coutumes et manière de vivre.

Or, en 2008, le Tribunal fédéral a entamé un changement de jurisprudence dans le cas de deux jeunes garçons musulmans du canton de Schaffhouse dont le père avait requis en vain une dispense du cours de natation (ATF 135 I 79). Le père se fondait notamment sur une règle religieuse selon laquelle il n’est pas permis aux croyants musulmans de voir le corps largement dénudé de personnes de l'autre sexe. Selon le Tribunal fédéral, après l'entrée en vigueur de la Convention des droits de l’enfant et à la lumière du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, il n’était plus possible de soutenir le principe de l’arrêt de 1993 qui considère la natation comme un contenu de l’enseignement sujet à dispense. En outre, les exigences d’intégration avaient gagné en importance et la composition de la population résidant en Suisse s’était modifiée de manière déterminante sur le plan religieux. Les litiges à propos d’une dispense du cours de natation se présentaient comme un lourd problème de l'intégration des étrangers. La reconnaissance d'un droit de dispenser en général les enfants musulmans des cours collectifs de natation irait à l’encontre des efforts consentis pour intégrer ce groupe de population. Par conséquent, la décision des autorités schaffhousoises de prescrire aussi aux enfants musulmans des cours de natation mixtes, avec des mesures d’accompagnement telles que des maillots de bain couvrant le corps et des possibilités de se changer et se doucher séparément, ne doit pas être considérée comme une atteinte inadmissible à la liberté de croyance.

Arrêt du Tribunal fédéral du 7 mars 2012

Dans son récent arrêt (2C_666/2011 du 7 mars 2012), le Tribunal fédéral a confirmé son changement de jurisprudence de 2008 et l’a déclaré applicable également aux demandes de dispense pour jeunes filles musulmanes. Soulignant à nouveau le principe de primauté des obligations scolaires par rapport au respect de prescriptions religieuses de groupes particuliers de population, il a estimé que l’intérêt public à l'intégration de tous les élèves doit être considéré comme supérieur aux convictions religieuses personnelles des recourants. Selon cette jurisprudence, une dispense du cours de natation resterait possible mais les recourants n’ont fait valoir aucune circonstance particulière qui permettrait de la justifier.

Analyse

L’argumentation du Tribunal fédéral ne parvient pas à convaincre sur tous les points, même si son changement de jurisprudence de 2008 concernant des demandes de dispenses de jeunes garçons et la confirmation de cette jurisprudence en 2012 à propos des demandes des jeunes filles paraissent en principe justes.

Certes, selon l’art. 3 al. 1 de la Convention des droits de l’enfant (CDE), il faut tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Reste que le fait que les enfants d'âge scolaire puissent apprendre à nager uniquement dans un cours mixte paraît moins plausible. Il est bien sur juste et important de garantir à tous les enfants d’apprendre à nager, mais il faut également considérer les effets possibles d’un refus de dispense sur le bien de l’enfant. Un tel refus peut confronter l’enfant à un cas de conscience accablant dès lors qu’il risque de devoir adopter un comportement qu’il connaît comme étant catégoriquement rejeté par ses parents pour des raisons morales et religieuses. C’est pourquoi, dans ce contexte, le droit de l’enfant au sens de l’art 12 CDE d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant est important, ainsi que l’obligation correspondante des autorités de prendre dûment en considération les opinions de l’enfant eu égard à son âge et à son degré de maturité. Même si la haute valeur accordée par le Tribunal fédéral à l’intérêt public de l’intégration est juste et légitime, l’intégration est néanmoins un processus complexe qui ne se produit pas qu’aux cours de natation. En outre, dans le sens d’une solution proportionnée, les autorités compétentes devraient rechercher tout d’abord le dialogue avec les parents et l’enfant lui-même. Le fait d'imposer en force les cours de natation devrait intervenir uniquement en dernier recours. Les parents doivent en outre être expressément informés des mesures d’accompagnement comme l’autorisation de porter un maillot de bain couvrant le corps et la possibilité de se changer et de se doucher séparément. Il faut également attirer l’attention des exploitants de piscines sur le fait qu’ils doivent éventuellement adapter leur règlement dans de tels cas afin d’autoriser les burkini. S’il existe des circonstances particulières qui justifient une dispense, son octroi reste possible selon la nouvelle pratique, sans que le Tribunal fédéral n’en précise davantage les conditions. Peut-être faut-il prendre en considération les problèmes de santé (par ex. une allergie au chlore) ou les problèmes psychiques de l’enfant en raison d’un conflit de conscience ou de tensions dans la famille. Mais l’obligation de respecter des prescriptions d’ordre religieux ne représente pas en soi un motif suffisant pour justifier une dispense d’un cours de l’enseignement scolaire obligatoire.

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