Publication finale

Le droit de participation de l’enfant durant la pandémie de coronavirus

Publié le 05.10.2022

Introduction

Cas pratique : Azrah

Azrah a 13 ans. Elle vit avec son petit frère de 10 ans et sa mère, qui travaille dans un hôpital. En raison de la pandémie, les écoles ferment l’après-midi et les enfants restent à la maison. Avant, leur grand-père, âgé de 74 ans, s’occupait d’eux, mais comme il fait partie des personnes vulnérables, il ne peut plus le faire. L’après-midi, Azrah doit suivre l’enseignement à distance tout en gardant seule son petit frère. Elle a plusieurs fois par semaine des devoirs de grammaire notamment. L’enseignement en ligne a été mis sur pied sans que les élèves soient consulté·e·s. Or, c’est très difficile pour Azrah de tout faire en même temps : suivre les cours en ligne, faire ses devoirs et s’occuper de son petit frère. Et comme sa mère travaille davantage en raison de la pandémie, elle doit encore assumer des tâches ménagères. Elle ne parvient souvent pas à terminer ses devoirs de français, ce qui lui vaut des remontrances de la part de son enseignante. Azrah en est d’autant plus frustrée qu’elle aime beaucoup cette matière et aimerait faire de bonnes notes. De plus, la pandémie est source pour elle d’une autre préoccupation : elle aimerait se faire vacciner. Son grand-père approuve, mais sa mère est contre, ce qui désécurise Azrah. Peut- elle le faire même sans l’accord de sa mère ?

Ce cas pratique fictif montre les répercussions que le confinement a pu avoir sur les familles et comment les mesures de lutte contre la pandémie ont entravé l’exercice, par des enfants comme Azrah, de leur droit de participation. Étant donné que l’enseignement à distance a été mis sur pied sans consulter Azrah, elle n’a pas pu indiquer à son enseignante qu’elle avait besoin de plus de temps pour faire ses devoirs, mais qu’elle poursuivait en revanche chaque soir sa lecture obligatoire. Pour ce qui est de la vaccination contre le COVID-19, Azrah devrait en être informée d’une manière adaptée à son âge, afin qu’elle puisse se forger sa propre opinion. Concernant le fait de se faire vacciner ou non, elle aimerait pouvoir en décider elle-même.

Un tel cas se situe à la croisée de trois domaines essentiels de la vie d’un enfant : la santé, la famille et l’instruction. Or, l’article 12 CDE1 garantit aux enfants le droit de prendre part à toutes les décisions concernant ces domaines2. Ce droit ne dépend pas de leur capacité de discernement et ne se limite pas à leur droit d’être entendus durant les procédures de séparation ou de protection de l’enfant3. Il comprend au contraire plusieurs formes de participation à une procédure : le droit d’être informé, d’être présent lors de l’audience, de se forger et d’exprimer librement son opinion ; le droit d’être entendu et celui de ne pas être entendu ; enfin, le droit d’être accompagné et représenté4. Le droit de participation n’est pas un acte posé une fois pour toutes, mais un processus dans lequel l’avis de l’enfant doit être pris en compte en tout temps (avant, pendant et après la procédure)5. Le cas fictif présenté ci-dessus a aussi comme objectif de montrer que les droits de participation de l’enfant s’appliquent à plusieurs échelons : individuel (familial et médical), institutionnel (école, hôpital et cabinets médicaux) et politique (« conseil des enfants » en temps de pandémie).

Les droits de l’enfant, tels que la préservation de leur santé, le bien supérieur de l’enfant et son droit de participation, restent valables même durant une crise comme celle du COVID-19 (voir le chapitre 10)6. La participation des enfants est indispensable pour déterminer leurs intérêts, en particulier lorsque des mesures de protection prises par les pouvoirs publics (fermeture partielle des classes, port obligatoire du masque et vaccination, par exemple) peuvent toucher leur droit à la santé, à l’instruction et aux loisirs ou entrer en conflit avec les droits de leurs parents. De nombreux instruments internationaux règlementent le respect et la protection des droits fondamentaux durant une pandémie7, mais ils n’abordent pas le respect des droits de l’enfant. Les droits fondamentaux des enfants ne peuvent être limités que si la loi prévoit une telle possibilité, si l’intérêt public l’exige et si la mesure est proportionnée. De plus, l’essence de ces droits est intangible (voir le chapitre 10) : c’est sur la base de la Constitution fédérale, qui leur octroie des compétences particulières en situation d’urgence, que le Conseil fédéral et les gouvernements cantonaux ont agi8 et c’est sur la base de la loi sur les épidémies que Berne a adopté les ordonnances COVID-199. Les cantons ont appliqué leurs stratégies de protection dans les écoles pour l’année scolaire 2021-2022 et ont légiféré en vertu de l’ordonnance COVID-19 situation particulière et de la loi sur les épidémies.

En avril 2020, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a lancé un appel à la communauté internationale, demandant que les enfants soient informés de la situation et qu’ils soient associés aux décisions prises pour lutter contre la pandémie10. Il rappelait que dans le domaine de la santé, le droit de participation de l’enfant comprend le droit d’être informé de manière compréhensible et adaptée à son âge sur les questions de santé et de participer aux décisions, et que ce droit s’applique également à la vaccination contre le COVID-19 et aux éventuels traitements contre cette maladie. Pour ce qui est de l’instruction, le comité souligne entre autres l’importance de la participation lors de l’organisation de l’enseignement en ligne, qui doit prendre en compte les potentielles inégalités11 : le personnel enseignant ne pouvant souvent pas savoir de quoi est fait le quotidien des enfants, les retours de ces derniers sont déterminants. Toutes les familles n’ont en effet pas les mêmes possibilités d’aider leurs enfants à suivre l’enseignement à distance. Pour prendre en compte cette réalité, il faut écouter les enfants et les associer activement à l’organisation de l’enseignement en ligne. Dans sa déclaration, le comité aborde donc les droits de l’enfant et le droit de participation par rapport surtout au port du masque, à la vaccination et aux tests ainsi qu’aux fermetures partielles ou totales d’établissements scolaires12.

Le présent chapitre réunit des analyses juridiques sur l’application du droit de participation des enfants et des adolescent·e·s prévu à l’article 12 CDE ainsi que les résultats d’études empiriques menées en Suisse sur la santé, l’instruction et la vie numérique des enfants et des jeunes durant la pandémie de COVID-19.

Analyse

Santé des enfants en temps de coronavirus

Droit de jouir du meilleur état de santé possible

Les enfants, c’est-à-dire toutes les personnes de moins de 18 ans (art. 1 CDE), ont le droit « de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation » (art. 24 CDE)13. Cela inclut des services appropriés de prévention, de promotion de la santé et de réadaptation et des services curatifs et palliatifs, assurés en temps voulu, tout comme le droit pour l’enfant de grandir et de se développer au maximum de son potentiel14. Cette notion se fonde sur la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui considère la santé comme étant un « état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consistant pas seulement en une absence de maladie [...]15 ». S’y ajoute l’obligation fondamentale de préserver les intérêts supérieurs de l’enfant (art. 3 CDE, art. 11 Cst.), intérêts qui comprennent la santé et le développement de l’enfant16.

À l’échelle nationale, le droit de l’enfant à un sain développement et à l’épanouissement figure parmi les buts sociaux de la Constitution (art. 41 al. 1 let. b Cst.). Si ce droit n’implique aucun droit subjectif à des prestations de l’État (al. 4), il est toutefois possible en Suisse de faire valoir en justice le droit qu’a chaque enfant à des soins de santé élémentaires, en se fondant sur le droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse (art. 12 Cst.17) et, plus précisément pour les enfants, sur l’article 11 alinéa 1 Cst.18. Les parents (ou les représentant·e·s légaux·ales) sont au demeurant responsables de la prise en charge médicale des enfants, dans le cadre de leur devoir de diligence19.

En 2013, le Comité des droits de l’enfant a précisé que les États membres devaient aussi prendre en compte les évolutions suivantes afin de protéger le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible20 :

  • pandémies de grippe,
  • soins de santé mentale,
  • nouvelles technologies telles que vaccins et médicaments21,
  • disponibilité de vaccins contre les maladies infantiles courantes22 et
  • déterminants structurels, tels que la situation économique et financière mondiale, la pauvreté, le chômage, les migrations et les déplacements de population ainsi que les discriminations.

En avril 2020, le Comité des droits de l’enfant a mis en garde contre les graves conséquences de la pandémie sur la santé, notamment psychique, des enfants. Il a appelé la communauté internationale à veiller aux droits de l’enfant et à les protéger : toutes les mesures adoptées pour maîtriser la situation doivent prendre en compte la santé des enfants et ne sont licites qu’à condition d’être nécessaires, proportionnées et le moins incisives possible. Malgré la pression croissante sur les systèmes de santé et les ressources limitées, les enfants devraient continuer à avoir accès aux soins de santé, y compris aux tests, à la vaccination, aux traitements médicaux contre le COVID-19 ainsi qu’aux autres traitements, aux services psychologiques ainsi qu’aux traitements des pathologies préexistantes. De plus, les États membres doivent faire preuve de créativité pour trouver des solutions afin que les enfants jouissent, même en temps de pandémie, de leur droit au repos, aux loisirs, à la détente et aux activités culturelles et artistiques23.

L’OMS a établi que l’interruption des services de santé habituels frappait de manière particulièrement forte certains enfants et adolescent·e·s. De plus, la fermeture des écoles a eu des répercussions très graves en termes d’accès des jeunes aux services de prévention ; il faut savoir par exemple que de nombreux·euses adolescent·e·s souffrant de troubles psychiques n’ont accès à ces services que dans le cadre scolaire24.

Données empiriques suisses

On dispose maintenant des résultats de nombreuses études empiriques qui montrent que les enfants et adolescent·e·s vivant en Suisse ont aussi souffert, ou souffrent encore, des conséquences de la pandémie, un facteur important de détresse psychologique pour les élèves25. Durant la crise du coronavirus, de nombreux·euses jeunes hébergé·e·s dans des services de protection de l’enfance et de la jeunesse n’ont plus pu rentrer à la maison le week-end par exemple, ou ont vu les visites limitées, quand elles n’étaient pas interdites26. Les données font état d’une augmentation de la proportion de jeunes traité·e·s dans des structures résidentielles en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent27.

Une étude menée dans le canton de Zurich a révélé que depuis la fermeture des écoles, la part des jeunes satisfait·e·s de leurs amitiés et de leur santé a diminué. Elle laisse supposer qu’à long terme, la fermeture des installations de sport et de loisirs nuit à la santé de cette population. En janvier 2021, une élève sur deux et un peu plus d’un élève sur quatre disaient souffrir de problèmes émotionnels. Les effets négatifs sont particulièrement marqués chez celles et ceux qui allaient déjà mal avant la crise28. Ces résultats empiriques expliquent qu’un certain consensus semble s’être dégagé à l’échelle tant internationale que nationale : garder les écoles ouvertes doit être un objectif primordial si l’on veut garantir le droit à la santé des enfants et des adolescent·e·s29, et les stratégies de test constituent un moyen d’atteindre cet objectif30.

Le Comité des droits de l’enfant se dit préoccupé, dans le rapport qu’il a adressé à la Suisse en octobre 2021, « par le fait que le nombre d’enfants vivant dans la pauvreté reste élevé » et par le fait que les enfants menacés par la pauvreté, les enfants en situation de handicap et ceux vivant en institution ou sans domicile fixe soient particulièrement discriminés31. Or, la situation de cette population s’est encore aggravée avec la pandémie. Concrètement, le comité recommande par exemple à la Suisse de « veiller à ce que soient collectées et analysées des données sur l’état de santé des jeunes de moins de 14 ans » et des enfants défavorisés également32.

Droit à l’éducation en temps de coronavirus

Objectifs éducatifs étendus, égalité des chances et droit aux loisirs

La CDE, qui garantit à chaque enfant le droit à l’éducation (art. 28 CDE), fixe de vastes objectifs en la matière (art. 29 CDE), tels que l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques. Le mandat confié à l’instruction comprend en outre l’égalité des chances et les droits de participation33. Selon le Comité des droits de l’enfant, il faut promouvoir de manière expresse la participation des enfants au sein des établissements scolaires34, les écoles jouant un rôle déterminant en la matière35 ; en temps de COVID-19, il leur incombe également de stimuler les compétences des enfants dans le domaine de la santé, par exemple dans le but de réfuter les informations erronées sur la pandémie et la vaccination36.

Le droit à un enseignement de base est aussi reconnu au plan national, puisqu’il figure dans la Constitution fédérale37. Ce droit doit notamment contribuer à concrétiser l’égalité des chances38. Plusieurs mandats supplémentaires découlent de l’art. 11 Cst., tels que la promotion, au sein des institutions publiques, de l’épanouissement personnel et social des enfants39. Pour le reste, le système scolaire relève de la compétence des cantons, et l’on observe d’importantes disparités dans la manière dont ces derniers règlementent le droit des élèves de participer aux décisions qui les concernent40. Peu d’accords intercantonaux ont été passés dans le paysage suisse de l’éducation. Le concordat HarmoS (2007)41, qui fixe des normes pour la scolarité obligatoire et traite notamment du droit de participation des élèves, fait figure d’exception.

Pour qu’apprentissage et enseignement soient conçus en tenant compte du point de vue des enfants, il est important d’y associer ces derniers42. Au moment d’adopter des mesures contre la pandémie, les États devraient aussi prendre en compte leurs répercussions sur les droits des enfants dans le domaine de l’instruction. Le Comité des droits de l’enfant les exhorte par exemple à s’assurer que l’enseignement en ligne ne creuse pas davantage les inégalités existantes ni ne remplace les interactions entre élèves et enseignant·e·s43.

Enfin, les enfants ont également droit au repos et aux loisirs (art. 31 CDE) : il n’est pas licite de les exclure des activités de loisirs en raison de mesures sanitaires ou scolaires ni de leur confier de manière exagérée la garde de proches, sauf si une base légale expresse l’autorise et si le principe de proportionnalité est respecté. L’enfant doit par ailleurs pouvoir jouer librement (art. 31 CDE)44. La décision prise par le canton de Berne en octobre 2020, d’interdire aux enfants de jouer au football à l’air libre, a soulevé une question intéressante du point de vue juridique. Des voix se sont à raison élevées, doutant de la proportionnalité de cette mesure (sur ce sujet en général, voir le chapitre 10) : d’une part, les manifestations réunissant 10 à 15 personnes à l’intérieur étaient toujours autorisées à ce moment-là, et d’autre part les cantons ont, en vertu de l’article 11 Cst., le devoir non seulement de protéger les enfants des maladies, mais aussi de promouvoir leur développement45.

Données empiriques suisses

Les élèves n’ont pas tou·te·s réagi de la même manière à la fermeture des écoles : si la décision a généralement été bien acceptée, 13 % des élèves ont déclaré se porter mal, ou très mal, du fait de cette mesure de confinement46 ; la moitié des élèves a estimé ses effets « plutôt défavorables » pour elle ; la communication avec les enseignant·e·s, l’étude à la maison et la planification autonome des journées ont représenté un problème pour 20 à 25 % d’entre elles et eux47 ; enfin, parents et élèves ont indiqué que le volume de travail était important, ce qui explique pourquoi, en fonction des ressources de la famille, certains parents se sont sentis dépassés48.

Un droit de participation sur tous les plans

Le droit de participation figurant à l’art. 12 CDE garantit à l’enfant d’être associé à tous les processus de décision concernant sa santé et son éducation, et cela tant sur le plan structurel qu’individuel49. La question se pose donc de savoir si les droits liés à la participation de l’enfant ont été préservés sur tous les plans lors de la pandémie.

Plans institutionnel et politique

Le plan structurel comprend tant un niveau institutionnel (hôpital, foyer et cabinet médical) qu’un niveau politique (communal, cantonal et national). C’est à lui que se réfère le Comité des droits de l’enfant lorsqu’il recommande à la Suisse, en octobre 2021, « de veiller à ce que le point de vue des enfants soit pris en compte dans l’élaboration des services d’intervention qui leur sont destinés »50. Plusieurs études ont déjà montré que les enfants veulent être associés aux décisions : par exemple, les enfants et adolescent·e·s ayant participé à l’étude que le Réseau européen de jeunes conseillers (ENYA) a menée en 2018 sur leur santé psychique ont notamment recommandé de former le personnel enseignant à la prévention et à la détection des problèmes psychiques, de doter les centres scolaires de spécialistes de la santé psychique et de sensibiliser les élèves à leurs droits en la matière51.

Il n’existe pas en Suisse, à notre connaissance, de bases légales nationales, ni de recommandations, rapports ou études sur des mesures COVID-19 (fermeture – partielle ou totale – des écoles, port du masque obligatoire, possibilités de se faire tester ou vacciner et recommandations en la matière, etc.) pour lesquels on aurait associé les enfants à leur formulation sur ce plan structurel de la participation. Une année et demie après sa création, la task force nationale COVID-19 compte certes un pédiatre et un pédopsychiatre52, mais pas d’enfant ni d’expert·e· en droit de l’enfant.

Sur le plan scolaire non plus, on ne connaît pas d’exemple d’assemblée scolaire ou de conseil de classe qui aurait été invité à participer à l’organisation de l’enseignement en temps de crise. L’école en ligne a été largement mise sur pied par les centres scolaires ou par des membres du corps enseignant et a été appliquée de manière très disparate d’une institution à l’autre. Il va sans dire que le fait d’avoir dû l’organiser dans des temps extrêmement courts a sans aucun doute représenté un tour de force53. Les premiers résultats du baromètre des écoles sur les problèmes rencontrés au temps du COVID-19, auquel ont participé 7116 personnes de trois pays germanophones (Suisse, Allemagne et Autriche), montrent que si les personnes interrogées ont généralement été informées de manière adéquate par les autorités scolaires, il subsiste tout de même un besoin supplémentaire en information et clarification54.

Plan sanitaire

Sur le plan individuel, le droit des enfants de participer aux décisions médicales qui les concernent comprend l’obligation, pour les parents et le personnel médical, de faire en sorte que l’enfant soit apte à prendre part aux décisions. Cela commence par une information adaptée à l’enfant55.

Bonne pratique : Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur les soins de santé adaptés aux enfants

Les Lignes directrices de 2011 stipulent :

« C. Participation

12. Dans le domaine de la santé, ce principe revêt deux dimensions :

i. Quand, selon la loi, un enfant est apte à consentir à une intervention, cette dernière ne peut être effectuée qu’après qu’il y a donné son consentement libre et éclairé. [...]

ii. L’enfant devrait aussi être considéré comme un membre actif de la société et non comme un sujet passif soumis aux décisions des adultes. Cela suppose de veiller, en tenant compte de l’âge et du degré de maturité de l’enfant, à l’informer, à le consulter et à lui donner la possibilité de participer aux processus de décision sociaux portant sur les questions relatives aux soins de santé, y compris l’évaluation, la planification et l’amélioration des services de santé. »56

Toute intervention médicale exige en amont que l’enfant soit en mesure de donner librement son accord, en connaissance de cause (consentement éclairé). Si l’enfant n’est pas apte à le faire, son avis doit tout de même être considéré, compte tenu de son âge et de sa maturité, comme un facteur d’autant plus déterminant (art. 301, al. 2 CC)57. Et lorsque l’enfant ne peut approuver une intervention médicale faute d’avoir été informé de manière adaptée, ou lorsqu’un enfant capable de discernement ne donne pas son accord, l’intervention médicale est injustifiée et viole par conséquent son intégrité physique58 et sa vie privée59.

Le consentement éclairé de l’enfant capable de discernement constitue donc une forme importante de son droit de participation dans le domaine de la santé. Cela ne signifie toutefois pas qu’adultes et enfants ne doivent pas décider autant que possible ensemble, après avoir pris au sérieux les arguments de l’enfant60.

Le droit de participer implique également l’obligation, pour les adultes impliqué·e·s (personnel médical ainsi que parents ou personnes responsables de l’enfant), d’accompagner et de soutenir l’enfant de manière adaptée à ses besoins émotionnels et cognitifs, de manière que, dans son état de santé individuel, elle ou il soit le plus apte possible à exprimer son avis61. S’y ajoute que la participation ne saurait être considérée comme un acte accompli une fois pour toutes. Il faut plutôt y voir un processus ou une attitude qui s’étend à toute la durée du traitement et se poursuit une fois celui-ci terminé (c’est-à-dire après la sortie de l’hôpital, par exemple)62.

Enfin, il est important du point de vue juridique de préciser que les enfants très jeunes, handicapés ou allophones qui ne sont notamment pas en mesure de donner un accord juridiquement valable, ont des droits de participation : le droit d’être informé, associé, entendu ainsi que le droit de s’exprimer, garantis à l’art. 12 CDE, ne connaissent en effet pas d’exception63.

Plan scolaire

Pour concevoir l’apprentissage et l’enseignement en tenant compte du point de vue individuel des enfants, il est important d’associer les élèves aux décisions concernant l’école64, surtout avec les nouvelles méthodes d’enseignement et d’évaluation des prestations scolaires.

Dans le baromètre des écoles mentionné ci-dessus, la moitié des parents interrogés déclarent que si leurs enfants se mettent certes volontiers aux nouvelles méthodes d’apprentissage (numériques, par ex.) et font leurs devoirs de manière autonome, ils ont toutefois besoin de beaucoup de soutien pour y parvenir65. Quant aux enfants, une majorité estime que l’enseignement en ligne devrait davantage prendre en compte le rythme et le mode d’apprentissage de chacun66. Une autre étude, zurichoise celle-là, qui a porté sur 4593 élèves et 5946 parents, montre que les élèves (surtout les plus âgé·e·s) saluent le fait de pouvoir organiser librement leurs journées et de pouvoir apprendre de manière autonome ; elles et ils estiment en outre mieux pouvoir se concentrer à la maison plutôt qu’à l’école67 et aimeraient continuer à étudier de cette manière68. La plupart des élèves ont toutefois dû se faire aider par leurs parents et ont trouvé difficile de ne pas pouvoir échanger avec leurs enseignant·e·s69.

Durant la fermeture des écoles, au printemps 2020, la question s’est posée de l’évaluation de l’apprentissage. La notation des prestations scolaires a été remise à plus tard, notamment pour préserver l’égalité des chances70, mais avec ou sans notes, il a tout de même fallu décider si les élèves allaient être promu·e·s ou pas. Les solutions adoptées ont varié d’un pays ou d’un État fédéral à l’autre. En Allemagne, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Pays de Galles, ce sont les notes obtenues avant la pandémie qui ont été prises en compte. En Écosse et aux États-Unis, on a totalement renoncé à rendre un carnet scolaire, tout en renforçant la confiance dans le personnel enseignant. En Suisse romande et au Québec, les institutions de la scolarité obligatoire ont supprimé les notes : les carnets scolaires mentionnent tous que l’élève a terminé l’année et passe au niveau suivant. Ces solutions sont d’autant plus intéressantes que l’on sait que la dépendance aux notes peut se révéler nuisible et saper l’apprentissage, en particulier en cas d’enseignement à distance, une situation qui creuse les inégalités et exige davantage d’autonomie et de capacité à s’automotiver de la part de l’élève71.

Bonne pratique : Seules les meilleures notes sont comptabilisées

Un exemple du Québec montre comment les intérêts des enfants peuvent être pris en considération lors de la notation.

« Notre prof de maths nous a dit que pour tous les examens – les partiels et les finaux – elle ne compterait que les notes au moins autant bonnes que notre moyenne du semestre. Les autres ne comptent pas. » Sabine, 9 ans72

Avec le retour à l’enseignement en classe, on pourrait par conséquent se demander s’il ne vaudrait pas mieux attendre avant de reprendre la notation, et pratiquer une évaluation différenciée jusqu’à ce que chaque élève ait pu atteindre un niveau minimum dans les apprentissages prévus au programme. Par ailleurs, le développement d’une culture participative de l’apprentissage (au lieu d’une culture de l’examen, axée sur les prestations et les notes), dans laquelle les élèves sont impliqué·e·s dans le processus d’évaluation, permettrait à ces derniers·ères de mieux s’observer en tant que sujets apprenants, de se fixer des objectifs et d’adapter constamment leur stratégie73.

Obligation de porter un masque et de se faire vacciner : quid de la participation de l’enfant ?

Manque de jurisprudence sur la participation dans le domaine de la santé et de l’instruction

On dispose de peu de jurisprudence au sujet du droit de participation de l’enfant dans le domaine scolaire74 et dans celui de la santé (consentement éclairé)75. À ce manque de doctrine s’ajoute le fait qu’avec la pandémie, il n’est plus possible de séparer en deux catégories distinctes (santé ou éducation) les diverses mesures de protection touchant les enfants, puisque l’obligation de porter un masque à l’école ou l’obligation de se faire vacciner, par exemple, relèvent des deux domaines. Pour une jurisprudence spécifique au COVID-19, nous pouvons toute-fois mentionner, concernant les mineur·e·s en Suisse, quelques décisions portant sur la proportionnalité des mesures en général76 ainsi que sur la vaccination et l’obligation de porter un masque en particulier, que nous présentons dans les paragraphes qui suivent.

Port du masque obligatoire

En janvier 2022, de nombreux cantons ont introduit, ou réintroduit, l’obligation de porter un masque dans les centres scolaires77. Selon un jugement rendu le 2 mars 2021 par la Cour de justice du canton de Genève, cette mesure est au demeurant proportionnelle pour les élèves dès 12 ans, en cela qu’elle permet de maintenir l’enseignement en classe, ce qui préserve le droit à l’instruction garanti à l’art. 28 CDE et prend en compte le bien de l’enfant (art. 3 CDE et art. 11 Cst.). Bien que le port du masque puisse être source entre autres d’irritations, de difficultés respiratoires, de gêne ou de distraction, rien ne laisse supposer, selon les juges genevois, qu’il représente un danger pour le développement des jeunes de plus de 12 ans (il en va autrement des enfants de moins de 12 ans, pour lesquels les Nations Unies recommandent de privilégier une approche fondée sur les risques)78. À l’échelle nationale, il n’existe pas d’obligation de porter le masque pour les enfants de moins de 12 ans, mais les cantons peuvent édicter des normes plus sévères. Durant l’année scolaire 2021-2022, plusieurs cantons ont d’ailleurs introduit cette obligation dans leurs écoles.

Obligation de se faire vacciner

Le vaccin contre le COVID-19 est maintenant aussi recommandé pour les 5 à 11 ans immunosupprimés ou présentant des maladies chroniques79. Dans son arrêt du 29 juin 2021, le Tribunal cantonal fribourgeois précise que les enfants peuvent décider seuls80 de leur volonté ou non de se faire vacciner, dans la mesure où ils sont capables de discernement et ont été informés de tous les points essentiels.81 La capacité de discernement n’est pas liée à un âge particulier : elle doit être examinée au cas par cas. Si un enfant n’est pas capable de discernement, l’accord de ses parents est requis, comme expliqué ci-dessus82.

Que se passe-t-il lorsque les parents (ou les personnes de référence) ne sont pas du même avis sur la vaccination de l’enfant ? Appelé à se prononcer sur le cas de parents en désaccord sur la vaccination contre la rougeole de leurs trois enfants (onze, six et trois ans), le Tribunal fédéral a estimé dans son arrêt du 16 juin 2020 que si les parents ne peuvent se mettre d’accord, c’est à l’autorité de protection de l’enfance de trancher la question, en vertu de l’art. 307 al. 1 CC83. Cette autorité doit ce faisant respecter les recommandations de l’Office fédéral de la santé publique ; elle ne peut y déroger que si, dans le cas d’espèce, le bien de l’enfant le requiert84. Le Tribunal fédéral estime qu’en cas de décision prise en commun par les parents, c’est en principe cette dernière qui s’impose. Dans le cas mentionné ci-dessus, il a jugé que les trois enfants devaient effectivement être considérés comme incapables de discernement – et ne devaient par conséquent pas être entendus – car ils n’étaient pas à même de comprendre les bénéfices et les risques d’une vaccination et ne pouvaient donc pas se forger leur propre opinion.

Cet avis a fait l’objet de critiques justifiées de la part de la doctrine85 : premièrement, un enfant de 11 ans peut, selon les cas, tout à fait être apte, après avoir reçu des informations adaptées à son âge, à décider de son propre chef de se faire ou non vacciner ; deuxièmement, même très jeunes, les enfants doivent être associés de manière sérieuse aux décisions, et être entendus. Il s’ensuit, également pour la vaccination contre le COVID-19, qu’un enfant jugé incapable de discernement doit tout de même être entendu et que son avis doit autant que possible être pris en compte. En cas de désaccord entre les parents, l’autorité de protection de l’enfance peut intervenir et décider dans l’intérêt de l’enfant. En revanche, lorsqu’un enfant capable de discernement ne partage pas l’avis de ses parents, c’est la volonté de l’enfant informé et capable de discernement qui l’emporte, selon l’art. 19c CC86.

Si aucun tribunal suisse n’a jusqu’ici été appelé à se prononcer sur l’obligation de vacciner les enfants, la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) l’a fait le 8 avril 2021 et a jugé légale une telle obligation en vigueur en République tchèque87. Cette décision ne concernait pas non plus la vaccination contre le COVID-19, mais les vaccins contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, les infections à haemophilus influenzae de type b, la poliomyélite, l’hépatite B, la rougeole, les oreillons et la rubéole. Dans son arrêt, la CourEDH soulignait, outre l’ample pouvoir d’appréciation dont bénéficient les États en matière d’obligation de vacciner, d’une part l’intérêt individuel de l’enfant de se faire vacciner et d’autre part l’argument de la solidarité sociale88. Elle estimait toutefois qu’un État ne saurait imposer une vaccination par la force, car ce serait porter atteinte au droit à l’intégrité physique. Cet arrêt ouvre-t-il grand la porte à une éventuelle obligation de vaccination contre le COVID-19, comme on a pu l’entendre89 ? On peut en douter, car il s’applique à des vaccins qui, contrairement à ceux contre le COVID-19, sont administrés depuis longtemps90. De plus, le rapport entre bénéfice individuel et bénéfice collectif n’est pas le même, puisqu’il est rare que les enfants de 12 à 15 ans tombent gravement malades du COVID-19 et que si le COVID long existe bel et bien, on ne connaît pas encore la proportion de personnes touchées91. En outre, bon nombre d’adultes étant maintenant vacciné·e·s en Suisse, le fait de protéger autrui et de faire preuve de solidarité sociale perd de sa valeur dans le cas du COVID-1992.

Lacunes dans la mise en œuvre

Le droit de participation de l’enfant est important en cela qu’il renforce son autodétermination ainsi que son bien-être et sa santé. Respecter le droit qu’a l’enfant de participer aux décisions qui le concernent, c’est le prendre au sérieux et l’associer aux réflexions durant les crises également ; ce n’est pas se décharger de sa responsabilité d’adulte. Les enfants doivent être informés de manière claire et adaptée à leur âge sur la pandémie et ses conséquences. Il s’agit de faire en sorte qu’ils puissent comprendre la situation et exprimer leurs sentiments et leurs besoins dans ces circonstances extraordinaires. Le COVID-19 étant un facteur de détresse psychologique pour les enfants et adolescent·e·s, il est d’autant plus important qu’elles et ils sachent quels aides et soutiens sont à leur disposition, et où les solliciter. Il s’agit aussi de les informer de manière adaptée à leur âge, de les associer de manière sérieuse et de leur demander directement leur avis sur les questions de vaccination, de tests et d’obligation de porter un masque.

Les lacunes qui caractérisent la mise en œuvre du droit de participation de l’enfant en Suisse93 ont été manifestes durant la pandémie également. Malgré de notables progrès, on n’est en effet toujours pas parvenu à mettre en place un système transversal, dans lequel le fait de considérer les enfants comme des sujets de droit serait une évidence et dans lequel ces derniers seraient associés à toutes les procédures et décisions les concernant. Qu’un enfant, en temps de pandémie, soit informé ou pas sur les mesures prises dans le cadre scolaire ou concernant la vaccination, et la manière d’informer, va dépendre de son lieu de résidence, de sa famille, de son centre scolaire et de ses enseignant·e·s. Sa participation aux décisions est elle aussi tributaire de facteurs individuels. L’inégalité de traitement que subit par exemple l’adolescente de notre exemple (une fille issue de la migration, chargée de s’occuper de son petit frère, car sa mère, qui élève seule ses enfants, travaille beaucoup) s’aggrave durant une pandémie et a des conséquences à long terme, notamment sur son parcours de formation.

Les enfants présentant une maladie chronique ou un handicap, les enfants vivant dans la pauvreté, ceux dont les parents sont des migrant·e·s, des requérant·e·s d’asile ou des réfugié·e·s ainsi que les enfants vivant en institution ou en prison présentent tous un besoin de protection à la fois particulièrement important et difficile à déceler en temps de crise, d’où la nécessité de jeter un regard professionnel et intersectionnel94 sur cette réalité95. Au moment de prendre des mesures de protection contre la pandémie, la Suisse devrait porter une attention particulière au droit des enfants à ne pas subir de discriminations. Or, préserver leur droit de participation est un premier pas dans ce sens, car il est impossible, sans la participation d’enfants comme Azrah, de connaître leurs besoins de protection concrets.

Une prise de conscience est de plus nécessaire de la part du monde politique et des spécialistes, pour prendre en compte le droit de participation de l’enfant dans le domaine de la santé, et cela sur tous les plans : individuel (famille et personnel médical), institutionnel (classe, école et hôpital) et politique (parlement des jeunes en temps de pandémie). D’autres mesures s’imposent sans doute, comme la collecte de statistiques qui prennent en compte l’âge, le genre, l’éventuel handicap, le statut socio-économique, les aspects socioculturels et la localisation géographique.

Recommandations

Pour une protection efficace des droits humains en Suisse (voir aussi les recommandations du chapitre 3) :

a La participation des enfants est un objectif contraignant de la politique de la Confédération et des cantons, auquel ils consacreront des outils de monitorage tels que statistiques et rapports annuels.
b Il existe un service fédéral consacré aux droits des enfants (« Bureau des droits de l’enfant » par ex.). Ce service encourage sur les plans stratégique et opérationnel la participation des enfants, dispose de la compétence de coordonner des mesures dans les cantons en temps de pandémie également.
c La Confédération et les cantons adoptent une vision large du droit de participation de l’enfant, qui se fonde sur l’information et comprend le droit d’être entendu, de prendre part aux décisions, d’être accompagné et éventuellement d’être représenté. Dans le domaine de la santé, cette vision va au-delà du consentement éclairé par exemple.
d Des spécialistes des droits de l’enfant sont inclus·es dans les task forces fédérales et cantonales créées en temps de pandémie.
e Les enfants sont représentés au sein des task forces fédérales et cantonales créées en temps de pandémie ; si ce n’est pas le cas, il leur est garanti tout au moins de pouvoir informer directement ces organes.
f Les cantons font de la participation des enfants un critère d’évaluation des centres scolaires et des établissements de la santé.
g Les établissements de la santé et de l’instruction publiques sont dotés de permanences pour les enfants (permanences tenues en présence ou via des moyens électroniques), dans lesquelles ces derniers trouvent des interlocuteurs·trices empathiques, par exemple des pairs.
h Lors de pandémies, une approche intersectionnelle minutieuse est privilégiée pour déterminer les besoins en protection et les mesures à prendre.
Notes de bas de page
^ Retour en haut de la page